Al-Bannaoun (البناؤون) et Al-Qotbiyyoun (القطبيون)
25.05.2015 Mohamed Louizi
Deux principaux courants qui sont nés, à l’intérieur même de la confrérie, dès l’assassinat d’Hassan Al-Banna en 1949, qui ont pris forme depuis les années cinquante et qui continuent de coexister, malgré tout, et de rythmer la dynamique interne, avec des oppositions très conflictuelles – justement au sujet du recours systématique à la violence et aussi au sujet du culte secret – avec un rapport de force très déséquilibré, toujours en faveur des tenants d’un discours va-t-en-guerrier, que les cosmétiques langagiers, là-bas comme ici, n’arrivent plus à masquer.
Il s’agit, premièrement, du courant minoritaire, dit Al-Bannaoun (البناؤون), relatif à Al-Banna, un courant plutôt réformiste, modérément jihadiste et rejetant le takfirisme, représenté, dans une certaine mesure, par le deuxième guide-suprême Hassan el-Houdaybi et puis, plus clairement, par le troisième guide Omar el-Tilmisani.
Et deuxièmement, le courant majoritaire, dit Al-Qotbiyyoun (القطبيون), les Qotbistes, une branche dure de la confrérie, acquise à la pensée de Sayyid Qotb, visant le pouvoir politique, à tout prix, et vénérant le Jihad armé et l’usage de la violence, si nécessaire. Les têtes d’affiche de ce courant, tous ou presque, étaient, ou sont toujours, membre de la direction des milices de jeunes paramilitaires de la confrérie, connu sous le nom d’ « al-Tanzim al-Khas » (التنظيم الخاص), que fonda Hassan Al-Banna en 1940.
Depuis 1996, avec l’arrivée du cinquième guide-suprême, Mustafa Machhour, le courant réformiste a été affaibli, mis à l’écart, et rendu très minoritaire par les qotbistes. Depuis, ce sont bel et bien les membres du noyau dur de ce courant qui ont poussé Mohamed Morsi à se présenter aux élections présidentielles de 2012, pour atteindre ainsi le but ultime, tracé dans le plan secret du Tamkine, découvert par la police égyptienne en 1992, à la marge de la fameuse « Affaire Salsabîl », chez l’un des qotbistes les plus redoutables. Il s’agit de Mohamed Khayrat al-Chater, qui devait être le candidat des « frères » en 2012 et que Mohamed Morsi a du remplacer, pour raison de casier judiciaire non vierge.
Toutefois, le plus qotbiste de tous, c’est l’actuel guide-suprême par intérim, qui a fuit l’Egypte, selon de nombreuses sources concordantes, à l’aube de la chute du régime des « frères », en 2013. Il s’agit de Mahmoud Ezzat, surnommé «L’homme de fer», ou « le chef de fil du courant qotbiste », ou le « Monsieur X des frères » ou bien « Le renard ». Il était le bras droit d’un certain Sayyid Qotb jusqu’à sa pendaison, en 1966.

© ML
Aujourd’hui, il vit quelque part à Gaza, au Qatar, au Yémen, ou en Turquie. Les informations concernant son lieu de résidence actuel sont contradictoires. Ce qui est sûr et certain, c’est qu’il a fuit quelques part. Ses stratégies qotbistes, ses choix idéologiques et politiques sont, en partie, responsables du chaos égyptien actuel.
Cela ne justifie en aucun cas l’injustice et la barbarie des condamnations à mort des membres et responsables de la confrérie qui n’ont pas fuit leur pays. L’histoire retiendra les responsabilités effectives du régime corrompu en Égypte depuis des décennies, au moins depuis l’ère d’Hosni Moubarak, plongeant l’Egypte dans la misère généralisée. L’histoire retiendra le rôle des militaires dans l’instrumentalisation d’une colère populaire légitime, après un an de gouvernance islamiste inquiétante et très approximative, tâchée de nombreuses fautes incompréhensibles et insoutenables[21]. L’histoire retiendra aussi les responsabilités morales, des uns et des autres.
L’histoire retiendra certainement, enfin, la fuite de l’architecte d’un si très mauvais édifice, qui a fini par s’effondrer, tuant d’abord ses propriétaires. Il court, il court le « renard ». Il est passé par ici. Il repassera par là. Le « renard » est bien caché. Mais Mohamed Morsi, le président élu démocratiquement, puis destitué par un coup d’état militaire sanglant, est en attente d’une énième exécution, opérée par une « machine de la mort », coupant les têtes, en régime forcé, au vu et au su du monde entier.
Qui a énoncé, en premier, le but du Tamkine à tout prix ? Qui est responsable de semer la première graine de la violence dans la tête des « frères », et dès leurs jeunes âges? Qui a entretenu ensuite, cette jeune plante maudite ? Qui a continué à arroser cet arbre lugubre?
Mohamed Louizi

