Le discours de l’UOIF est-il compatible avec la démocratie ?
01.06.2015 Emmanuel Razavi
L’Organisation des Frères Musulmans fut créée en 1928 en Egypte par Hassan Al Banna, un enseignant. Ce mouvement, qui prône l’organisation de la société autour des valeurs de la charia, serait présent dans 70 pays d’après son Guide. Bien qu’elle s’inscrive originellement dans une historicité Moyen-Orientale, l’Organisation est également présente aux Etats-Unis et en Europe. Mais L’Islam qu’elle prône est-elle compatible avec nos démocraties ? Eléments de réponse.
En France, les disciples des Frères Musulmans sont à l’origine de la polémique sur le voile. Ils comptent aussi parmi ceux qui, les premiers, ont jeté l’anathème sur les dessinateurs de Charlie Hebdo lorsqu’en 2006, l’Union des Organisation Islamiques de France (UOIF), dont les responsables se réclament de la pensée « Frériste » attaquèrent en justice l’hebdomadaire dans lequel avait été publiées des caricatures du prophète. En judiciarisant l’affaire, les clercs français de la confrérie comptaient sans doute imposer au pays des droits de l’Homme et de la liberté d’expression leur vision d’un Islam politique et « prescrire » aux journalistes et dessinateurs de presse les limites à ne pas franchir.
Bien que l’UOIF ait perdu le procès qui l’opposait à nos confrères de l’hebdomadaire satirique, cette tentative d’imposer sa vision de l’Islam fondamentaliste en attaquant tous ceux et celles qui la critiquaient ou osaient la parodier commença à faire peur, tant les débats avaient été passionnés. L’UOIF et ses alliés mettaient en effet au rang d’islamophobes les caricaturistes qui avaient l’outrecuidance de « moquer » la religion musulmane, mais aussi ceux qui, plus sérieusement, se permettaient de débattre de ses dérives sectaires au sein de la société française. Combien de journalistes, combien de responsables politiques eurent alors peur de se trouver affublés de l’étiquette « islamophobe » parce qu’ils pointaient du doigt cette structure, où tout simplement l’islamisme politique dont elle se réclame ?
L’attitude des responsables de l’UOIF eut alors pour effet de diaboliser toute forme de débat critique sur des thèmes tels le port du voile ou la non mixité dans les piscines.
Aujourd’hui, l’UOIF, en se disant « proche » du courant de pensée incarné par la mouvance des Frères musulmans égyptiens, revendique sa proximité avec une organisation islamiste dont la doctrine semble bien loin de nos valeurs démocratiques. Contrairement aux affirmations de ses dirigeants, elle ne semble pas davantage représenter l’Islam – ou la majorité des citoyens de confession musulmane – de France.
A toutes fins utiles, il est important de préciser que l’organisation égyptienne des Frères Musulmans, qui prône l’organisation de la société autour des valeurs de l’Islam et le retour au califat, a compté parmi ses proches des éléments liés à Al Qaïda, à commencer par Oussama Ben Laden qui eut pour mentor Abdallah Azam, véritable égérie des Frères, perçu dans les années 80 comme « l’imam du Jihad ». Autre précision : Selon la charte du Hamas – la branche palestinienne de l’organisation égyptienne – les croyants doivent « porter le drapeau du jihad contre tous les oppressants pour débarrasser la terre et le peuple de leur impureté, de leur bassesse et de leurs plaies ». Cette même charte explique qu’il n’existe pas de solution à la question palestinienne, excepté le jihad. Enfin, elle assume pleinement le fait « que le jihad devient le devoir individuel de chaque musulman » et que « l’invasion sioniste (…) s’appuie sur les organisations qu’elle a créées, à savoir les francs-maçons, les clubs Lions, le Rotary, pour les opérations d’infiltration et d’espionnage. (…) ».
Dans l’hexagone, l’Union des Organisations Islamiques de France dispose d’un centre de formation à l’Islam dans la Nièvre, lequel compta comme membre de son conseil scientifique, des années durant le cheikh islamiste Youssef Al Qardawi, prédicateur qui, en pleine intifada, encourageait les jeunes palestiniens à se faire sauter dans les bus israéliens !
Autant dire qu’il est difficile de voir la compatibilité de l’UOIF (et des dizaines de structures associatives proches de celle-ci) avec notre démocratie, son fondement et sa filiation étant contraires au principe de laïcité qui régit le rapport au fait religieux.
Surtout, cette association – placée sur la liste des organisations terroristes par les Emirats Arabes Unis en 2014 ! – assume une historicité qui prouve qu’elle situe son action bien au-delà de la seule pratique religieuse, et qu’elle porte un projet d’islamisation de la société à laquelle elle veut imposer son dogme.
Il est toutefois utile de na pas faire porter à l’UOIF la seule responsabilité du discours et de la méthode islamiste. D’abord parce que d’autres courants islamistes existent en France et plus largement en Europe, à commencer par le salafisme, lequel revendique la pratique d’un islam fidèle à celui des origines, exclusivement fondé sur la sunna, incarnant la « pratique » de l’Islam des premiers siècles. Un salafisme bien loin d’être, lui aussi, compatible avec les valeurs républicaines et démocratiques, qui a conduit des centaines de jeunes sur la voie du Jihad. Sans qu’on l’interdise pour autant.
Ainsi, le mal est fait. Et le ras-le bol de nos contemporains a pour effet de déplacer le curseur de la bien-pensance vers l’extrême droite, le temps des amalgames entre islam et terrorisme ayant remplacé celui du discours complaisant. Une situation d’autant plus dommageable à la cohésion de notre société que la majeure partie des citoyens français de confession musulmane, parfaitement intégrés, ne doivent pas être assimilés aux fondamentalistes, encore aux assassins qui ont commis les attentats contre Charlie Hebdo.
Alors que faire ?
La réponse est au fond assez simple. Pour protéger ses concitoyens (y compris musulmans), l’Etat, comme l’a justement dit le premier ministre français Manuel Valls, doit « combattre le discours des Frères musulmans dans notre pays (…) combattre les groupes salafistes dans les quartiers ».
Mais comment combattre ce « discours » et ces idées d’un autre temps ? La France doit-elle interdire les organisations se revendiquant de l’Islam prôné par les Frères Musulmans ?
Le gouvernement ne devrait-il pas confier cette réflexion à une commission d’experts indépendants composée de théologiens musulmans, de responsables du renseignement, de juristes, de sociologues et bien sûr de spécialistes de la mouvance Frériste qui étudieraient le fonctionnement de cette organisation, ainsi que le fond de son discours?
On ne peut en effet prétendre combattre cette mouvance islamiste sans à un moment se poser la question de son interdiction.
Avis au Premier Ministre français…