“L’opération martyre réjouit Allah !”
25.11.2015 Fiammetta Venner
Le Conseil européen de la Fatwa et la recherche a été officiellement inauguré à Londres les 29 et 30 mars 1997. Un recueil de ses Fatwas a été préfacé par Tariq Ramadan et publié par l’UOIF. Youssef Al Qaradhawi l’a dirigé. On pouvait y trouver Rached Ghannouchi, Fayçal Mawlawi, Abdoullah Ibn Youssouf al-Joudai, Ahmed al-Rawi, Mustafa Ceric ou Youssouf Ibram.
Il nous a semblé important de revenir sur les distinctions opérées en 2003 par le Conseil (dominé par la Confrérie) entre les différentes formes de terrorisme. Celles qui seraient légitimes et celles qui le seraient moins.
Le 28 juillet 2003, le Conseil européen pour la Fatwa, réuni à Stockholm pour sa 11ème session, a émis un avis qui commence par distinguer plusieurs formes de terrorisme : « le terrorisme colonialiste, le terrorisme d’État, le terrorisme international, le terrorisme politique, le terrorisme permis par la loi islamique, celui qui ne l’est pas, et les opérations martyres ».
Bien entendu, cette nouvelle catégorisation sert à refuser de classer les « opération martyres » parmi les actions terroristes : « Les opérations martyres perpétrées par les factions palestiniennes pour résister à l’occupation sioniste n’entrent en aucun cas dans le cadre du terrorisme interdit, même s’ils se trouvent des civils parmi les victimes ».
Cela pour plusieurs raisons que nous reproduisons au maximum dans leur intégralité. Les coupures ne sont là que pour faciliter la lecture et ne modifient en rien le fond :
« En premier lieu, vu la nature colonialiste et raciste de la société israélienne qui a naturellement tendance à l’occupation et [l’usurpation], [on peut dire qu’il] s’agit bien là d’une société militaire. Tous ceux qui ont passé le cap de l’enfance, les femmes comme les hommes, sont incorporés à l’armée. Chaque Israélien est un soldat de l’armée, soit par son statut, soit parce qu’en tant que soldat de réserve, il peut être appelé à n’importe quel moment à la guerre. C’est là un fait qui n’a pas besoin d’être prouvé. Les soi-disant ‘civils’ sont des ‘soldats’ de l’armée des fils de Sion ».
« Deuxièmement, la société israélienne possède une caractéristique unique qui la différencie des autres sociétés : c’est une ‘société d’envahisseurs’ non originaires de la région, venus de Russie, d’Amérique, d’Europe ou de pays d’Orient pour occuper la Palestine et s’y implanter. (…) Les victimes de l’invasion ont le droit de lutter contre les envahisseurs par tous les moyens dont ils disposent afin de les chasser de leurs habitations et de les renvoyer chez eux. (…) Ceci entre dans le cadre du djihad par nécessité, selon l’appellation des guides religieux, et non du djihad par choix. (…) La mort d’enfants innocents au cours de ce djihad n’est pas préméditée, mais résulte des impératifs de la guerre. (…) Même avec le temps, des soi-disant ‘civils’ [israéliens] ne cessent pas d’être des envahisseurs, des oppresseurs malfaisants et tyranniques ».
« Troisièmement (…), la loi islamique précise que le sang et la propriété des personnes du Dar al-Harb ne sont pas protégés. En luttant contre les musulmans, ces personnes perdent le droit à la protection de leur sang et de leur propriété ».
« Quatrièmement, les guides religieux musulmans, ou du moins la plupart d’entre eux, ont établi qu’il est permis de tuer des musulmans si l’armée ennemie se cache derrière eux, se servant d’eux comme boucliers humains, les plaçant au front afin que le feu, les flèches et les lances des musulmans les atteignent en premier. Les instances religieuses ont permis de tuer ces musulmans innocents forcés de se tenir au front de l’armée ennemie (…) car autrement l’armée envahirait le pays, anéantirait sa descendance et ses récoltes. Il n’y a d’autre alternative que de sacrifier certains [de ces musulmans] pour défendre la communauté [musulmane] dans son ensemble. Ainsi, s’il est permis de tuer des musulmans innocents pour protéger la communauté dans son ensemble, il est à plus forte raison permis de tuer des non-musulmans pour libérer la terre musulmane de ses occupants et oppresseurs ».
« Cinquièmement , dans la guerre moderne, toute la société, toutes ses classes et tous ses groupes ethniques sont mobilisés, afin de fournir le carburant matériel et humain nécessaires à la victoire de l’État. Chaque citoyen doit se charger d’une fonction. Tout le front domestique — professions libérales, travailleurs et industriels — se tient derrière l’armée combattante, sans nécessairement porter les armes. C’est pourquoi les spécialistes affirment que l’entité sioniste forme en réalité une armée ».
« Sixièmement, il existe deux types de Fatwas : les Fatwas à appliquer en situation de calme ou le choix est permis, et les Fatwas à appliquer en situation de détresse et de nécessité. Il est permis à un musulman, en cas de nécessité extrême, de faire ce qui lui est interdit en temps de choix. (…) Ainsi, l’un des guides religieux a adopté la règle qui veut que : ‘la nécessité autorise les interdits’. Nos frères en Palestine sont, sans l’ombre d’un doute, dans l’extrême nécessité de ces opérations martyres visant à repousser les usurpateurs ennemis et à semer l’horreur dans leur cœur afin qu’ils s’en aillent, qu’ils retournent d’où ils viennent. (…) Quelle arme peut atteindre l’ennemi, l’empêcher de dormir, lui ôter le sentiment de sécurité et de stabilité, si ce n’est celle de ces bombes humaines — un jeune homme ou une jeune femme qui se fait sauter au milieu de l’ennemi ? Voilà une arme que l’ennemi ne possédera jamais, même si les États-Unis lui accordent des milliards et les armes les plus puissantes, car c’est là une arme unique, qu’Allah a placée entre les seules mains des croyants. C’est une forme de justice divine sur terre. (…) C’est l’arme avec laquelle les faibles miséreux affrontent le puissant tyran. (…) Ceux qui s’opposent aux opérations martyres et les qualifient de suicides commettent une grande erreur. Le but de l’auteur d’une opération martyre n’a rien à voir avec le but de celui qui se suicide. Quiconque considère ces deux âmes s’aperçoit de l’immense différence qui existe entre elles. [L’auteur du] suicide se tue pour se tuer, parce qu’il a échoué dans les affaires, en amour, son examen, ou quelque chose de cet ordre. Il était trop faible pour affronter la situation et a choisi de fuir la vie pour la mort. Contrairement à lui, l’auteur d’un attentat suicide ne pense pas à lui-même. Il se sacrifie pour un but supérieur, face auquel tous les sacrifices deviennent insignifiants. Il se vend à Allah en échange du Paradis. Allah a dit: ‘Allah a acheté leurs âmes et leurs biens aux croyants parce qu’ils hériteront le Paradis’. Alors que [l’auteur du] suicide meurt pour fuir le monde, celui qui exécute une opération martyre meurt en allant de l’avant et en attaquant. Contrairement au suicide, qui a pour seul objectif d’échapper au conflit, l’opération martyre a un but précis, qui est de réjouir Allah ».
On comprend que cette Fatwa figure en bonne place sur le site Internet du Hamas, mais a-t-elle bien sa place dans un Conseil prétendant représenter l’islam d’Europe ?
Non seulement, un tel Conseil radicalise les musulmans européens mais il n’a aucune chance de modérer les autres musulmans puisque ses avis ne concernent que les Européens. Sert-il au moins à lutter contre les amalgames « islam = barbarie » ? C’est la question posée en 2002 par Martine Gozlan à Fouad Alaoui : « Ce conseil de la Fatwa afin d’éviter les amalgames entre la barbarie et l’islam a-t-il condamné des pratiques comme la lapidation, la flagellation, l’amputation ? » La réponse d’Alaoui est clairement décevante : « Ce n’est pas son rôle. Ce Conseil ne s’exprime que sur les pratiques de l’islam en Europe. Il ne rentre pas dans les affaires de tel ou tel pays »[1]. Un peu plus loin, il dira même qu’« il n’est pas de l’intérêt d’une instance musulmane de se positionner contre tel ou tel État ».
[1] Propos recueillis par Martine Gozlan, Marianne, 7 au 13 janvier 2002.
Texte en partie issu du livre de Fiammetta Venner, Opa Sur l’Islam de France, Calmann Levy.
