L’UOIF, les Frères et la famille Ramadan
29.04.2015 Fiammetta Venner
Non seulement l’UOIF s’inspire des Frères musulmans, mais elle travaille en réseau, presque exclusivement, avec des islamistes formés par les Frères : Ghanouchi, Mawlawi et Qaradhawi. Des références auxquelles il faut ajouter la famille Ramadan et le Centre islamique de Genève, avec qui l’UOIF collabore de façon très étroite. Le Centre islamique de Genève est l’un des QG européens des Frères musulmans.
Il a été fondé en 1961, grâce à l’argent saoudien, pour islamiser le Vieux continent et fédérer contre « le matérialisme athée » à l’initiative de Saïd Ramadan, chef en exil de la branche internationale des Frères musulmans. Surnommé le « petit Banna » parce qu’il était le disciple favori de Hassan al-Banna, Saïd Ramadan a épousé la fille préférée de Banna, Wafa et ils ont rêvé ensemble de voir triompher l’islam totalitaire de Banna depuis l’Europe. Le Vieux continent est même devenu un enjeu en soi à la génération suivante, lorsque les enfants de Saïd Ramadan et Wafa al-Banna furent en âge de prendre la relève. Tous sont administrateurs du Centre islamique de Genève et les deux plus jeunes fils nés en Suisse, Hani et Tariq Ramadan, ont tout particulièrement repris le flambeau depuis la mort du père, en 1995.
Le directeur officiel du Centre, Hani Ramadan, fait partie des conférenciers les plus sollicités par les différentes associations de l’UOIF. Il a même rédigé plusieurs brochures de la collection Islam, le saviez-vous ?, des prospectus édités par l’UOIF pour être distribués au Congrès du Bourget et servir de corpus théorique aux militants de base. L’une d’elles, Le Sens de la soumission, insiste sur le fait qu’un bon musulman est totalement soumis à Dieu. L’autre, Islam et démocratie, explique que l’islam est incompatible avec la démocratie telle que l’entendent les occidentaux[1]. On imagine aisément l’influence exercée par le directeur du Centre islamique de Genève, digne successeur du petit et du grand Banna, sur les militants de l’Union. Comme son grand-père, Hani Ramadan est hanté par l’idée d’être contaminé par la décadence de l’Occident : « N’observons-nous pas aujourd’hui encore en effet, que dans nos sociétés modernes, malgré le progrès des sciences et le confort matériel, nous sommes envahis par toutes sortes de maux qui traduisent une dérive constante vers l’adoration du Taghut sous tous ses aspects ? Ne serait-ce qu’au niveau d’une sexualité débridée qui s’exprime dans les relations hors mariage, dans la prostitution, l’homosexualité, le harcèlement, le viol, la pédophilie, l’inceste ? »[2]. Le spectre de la libération des mœurs fait partie de ses obsessions. Dans ses interviews, le directeur du Centre islamique de Genève ne perd jamais une occasion de rappeler qu’en islam « l’homosexualité est une impasse, aussi bien du point de vue de la loi révélée que de la logique : on n’ouvre pas une porte avec deux clés »[3]. En 1998, il a publié un livre, la Femme en Islam, dans lequel il défend le droit à la polygamie comme le meilleur moyen de lutter contre le risque d’adultère et manifeste sa haine vis-a-vis des laïques souhaitant interdire le voile à l’école : « Le voile, en Islam, est le signe de la soumission de la croyance aux commandements divins. Pourquoi donc vouloir empêcher une jeune lycéenne d’exprimer sa conviction ? La contraindre à se dévoiler, n’est-ce pas refaire le geste de l’inquisition impitoyable et des bourreaux communistes ? (…) Contre les extrémistes laïcs, l’islam restera en tous les cas une école de sagesse et de tolérance : ‘Pas de contrainte en religion’, dit le Coran. Leçon que les tortionnaires laïcs ne nous ont pas apprise ! »[4] Ce livre a fait scandale en Suisse. Mais Hani Ramadan n’a été congédié de l’Éducation nationale suisse qu’après avoir publié une tribune dans le journal Le Monde, dans laquelle il justifie la lapidation comme « une punition, mais aussi une forme de purification » et le sida comme un châtiment divin : « Qui a créé le virus du sida ? Observez que la personne qui respecte strictement les commandements divins est à l’abri de cette infection, qui ne peut atteindre, à moins d’une erreur de transfusion sanguine, un individu qui n’entretient aucun rapport extraconjugal, qui n’a pas de pratique homosexuelle et qui évite la consommation de drogue ». Moralité : « Les musulmans sont convaincus de la nécessité, en tout temps et tout lieu, de revenir à la loi divine »[5].
Voilà, en quelques phrases, la pensée de l’un des théoriciens islamistes servant de modèle aux fidèles de l’UOIF. Intervenant souvent à ses côtés, son frère, Tariq Ramadan[6], est un modèle pour tous les jeunes de l’Union depuis 1992, date à laquelle il est intervenu pour la première fois au Congrès annuel du Bourget, puis a répondu à toutes les invitations des associations satellites de l’UOIF. Cette année-là au Bourget, le jeune prédicateur est attendu comme le Messie par tous les participants. Il revient tout juste d’une formation rapide sur les questions islamiques en Égypte, mais le public a beaucoup entendu parler de lui grâce à sa parenté avec Hassan al-Banna et Hani Ramadan. Il tombe immédiatement sous le charme. Depuis, Tariq Ramadan a exercé une influence décisive sur la stratégie et la rhétorique de l’UOIF — qui sort de l’enfermement séparatiste pour devenir plus politique, et donc plus efficace, à son contact. En 2003, nous y reviendrons, les cadres de l’UOIF vont se brouiller avec Tariq Ramadan au sujet du CFCM, mais le prédicateur n’a jamais cessé d’être admiré et invité par les associations satellites de l’UOIF. D’ailleurs, lorsque France 2 programme un Envoyé spécial critique sur le prédicateur en novembre 2004, l’UOIF monte aussitôt au créneau pour prendre sa défense et demander à la chaîne de déprogrammer ce documentaire. Preuve que les liens ne sont pas si distendus que cela. Entre Frères, la division ne peut jamais durer vraiment longtemps, même si les stratégies à court terme peuvent diverger ponctuellement. Même si la moindre dispute sur la forme est souvent interprétée, hâtivement, comme une guerre sur le fond démontrant l’indépendance de pensée de l’UOIF vis-a-vis des Frères musulmans. C’est ce que l’Union aimerait faire croire.
Fouad Alaoui, son secrétaire général, tient à prouver son indépendance : « Nous n’éprouvons pas le besoin d’appartenir à une école de pensée extérieure. Nous nous considérons comme une école de l’islam de France ». Pourtant, lorsqu’on le pousse dans ses retranchements, il confesse volontiers être en contact régulier avec le Syrien al-Houweidi, l’un des ambassadeurs officiels de la confrérie[7]. Autant dire que la fin de la tutelle formelle vis-a-vis des Frères musulmans en tant qu’organisation n’a rien d’une rupture idéologique et tout d’une émancipation, visant en priorité l’efficacité sur le plan national. Mais cette indépendance formelle et ce recentrage n’annoncent pas pour autant une modification idéologique. L’UOIF reste une organisation ayant pour modèle la pensée et la méthode de Hassan al-Banna, prenant pour références des prédicateurs formés par les Frères musulmans, travaillant en réseau avec les Frères musulmans et, plus que tout, défendant le même islam que celui des Frères musulmans.
Fiammetta Venner
Repris de OPA sur l’islam de France : Les ambitions de l’UOIF
[1] Prospectus édités par l’UOIF et distribués au Congrès du Bourget en 2003.
[2] Hani Ramadan, Aspects du monothéisme musulman, Tawhid, Lyon, 1998, p. 98.
[3] « L’impasse de l’homosexualité », interview réalisée par Yann Gessler pour Le Nouvelliste du 25 janvier 2003.
[4] Hani Ramadan, La Femme en Islam, Lyon, Tawhid, 2000.
[5] « La Charia incomprise », publié par Le Monde le 10 septembre 2002.
[6] Malgré l’influence décisive exercée par Tariq Ramadan sur l’UOIF, je ne développerai pas plus ici sur le personnage. Son parcours et son discours ont été parfaitement décryptés dans : Caroline Fourest, Frère Tariq, Paris, Grasset, 2004, 425 p.
[7] Xavier Ternisien , Le Monde, 13 décembre 2002.