HASSAN AL-TOURABI

Hassan al-Tourabi

16.05.2015 Michaël Prazan

Hassan al-Tourabi est certainement la figure la plus intéressante et la plus charismatique de la mouvance jihadiste des années 90. Né en 1932 à la frontière de l’Erythrée dans une famille de tradition soufie, Tourabi connaît bien l’occident, parle plusieurs langues, dont l’anglais et le français. Après un premier cycle en droit à l’université de Khartoum, il a obtenu un master à la London School of Economics de Londres, et passé une thèse à la Sorbonne où il a étudié de 1959 à 1964. A l’instar de Sayyed Qutb, son maître à penser, c’est au cours d’un périple aux Etats-Unis, alors qu’il était encore étudiant à Paris, qu’il a forgé son rejet de la laïcité et du capitalisme, et dans la Confrérie, l’idéologie islamiste qu’il a su imposer à la tête de l’Etat. Son radicalisme religieux est néanmoins tempéré par le pragmatisme du politicien habitué à composer avec la réalité parlementaire. Il n’est pas non plus étranger à une forme d’humanisme qui déplaira d’ailleurs fortement à Ben Laden (Tourabi parle par exemple de réconcilier l’islam avec les arts et la musique), mais dont on ne sait trop s’il est motivé par de véritables convictions ou de tortueux calculs politiques.

Dans la foulée d’une guerre civile entre le nord musulman et le sud chrétien qui fait 2 millions de mort, le général Omar al-béchir, un militaire ayant fait ses armes dans l’armée égyptienne pendant la guerre du Kippour, prend pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1989. Hassan al-Tourabi, à la tête des Frères musulmans soudanais, lui a prêté main forte dans le but d’instaurer la charia. Devenu le principal conseiller d’al-Béchir, il impulse dans l’ombre des réformes qui imposent le crime de blasphème, l’amputation pour les voleurs, la lapidation des femmes infidèles, la peine de mort pour les homosexuels.

Au début des années 90, non content de diriger le Soudan, Tourabi s’est lancé dans un projet qui aura de graves conséquences durant la décennie suivante. Il avait été très attentif à la guerre livrée par les djihadistes arabes contre le communisme en Afghanistan. Il avait observé l’ascension de Ben Laden et de Zawahiri, et déploré le désœuvrement des combattants qui, quand ils rentraient chez eux, finissaient inévitablement en détention. Il fallait canaliser cette énergie, offrir aux soldats de l’islam un havre de tranquillité et une plateforme qui leur permettrait d’échanger leurs vues et de poursuivre leurs entrainements militaires. Ce que voulait créer Tourabi, c’était un « komintern » islamiste, une internationale terroriste dont il aurait pris le contrôle comme il avait pris en main les destinées du Soudan. Le mouvement avait perdu sa guidance ; il lui fallait un nouveau chef. Ben Laden était important, mais il n’avait pas (encore) l’aura de son prédécesseur, Abdullah Azzam. Qui d’autre que Tourabi pouvait le mieux l’incarner ? C’est ainsi qu’il adressa des lettres d’invitation aux principaux chefs des organisations les plus radicales de l’islam politique. Zawahiri, Ben Laden, d’autres leaders d’Al Jihad, de la Gamaa al-islamiya, et même du Hezbollah chiite libanais en accusèrent réception. Tous répondirent positivement à son invitation et le rejoignirent à Khartoum au milieu des années 1990. Ben Laden y passera ses plus belles années. Il y fait des affaires et des rencontres déterminantes. Au contact du Hezbollah, il apprend des techniques nouvelles ; à savoir la conception et la réalisation des attentats suicides et simultanés (pratiquées la première fois au Liban en 1981 par le Hezbollah d’Imad Moughnieh) qui seront bientôt sa marque de fabrique. En tant qu’organisation du terrorisme international, c’est au Soudan que se forme et devient opérationnelle Al Qaïda. Mais en 1996, le « paradis soudanais » s’effondre sous la pression américaine. Le 25 juin 1995, un commando de la Gamaa al-islamiya avait tenté d’assassiner le président Egyptien Hosni Moubarak. Or, les dirigeants de la Gamaa al-Islamiya, comme de toutes les organisations islamistes inscrites sur la liste noire des Etats-Unis étaient à Khartoum. Tourabi est certes une autorité religieuse, c’est aussi un politique avisé à l’instinct de survie démesuré. Accusé d’être le principal soutien du terrorisme international, il cède aux Américains : Ben Laden, Zawahiri, et les autres sont expulsés du Soudan. Deux ans plus tard, conséquence directe du séjour de Ben Laden à Khartoum, les ambassades américaines de Nairobi et Dar es Salam sont soufflées par des attentats à la voiture piégée ; les deux premières attaques frontales d’Al Qaïda contre les Etats-Unis.

De son côté, l’homme fort des milieux politiques soudanais tombe en disgrâce en 1999. Malgré de nombreux séjours en prison, Tourabi est parvenu à se maintenir dans les cercles décisionnels. Ces dernières années, il a considérablement atténué son radicalisme islamique, poussant à l’ouverture religieuse – difficilement acceptable aux yeux des Frères musulmans – , qui prône par exemple la tolérance aux mariages interreligieux. Même entre Juifs et musulmans.

Michaël Prazan

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