EMF – ÉTUDIANTS MUSULMANS DE FRANCE

EMF – Étudiants musulmans de France

06.06.2015 La rédaction

Si Jeunes musulmans de France sert de modèle aux jeunes de l’UOIF, Étudiants musulmans de France a été pensé pour recruter et politiser sur les campus. C’est l’une des préoccupations premières de l’UOIF, comme de tout mouvement s’inspirant de Hassan al-Banna. Dès sa création, en 1989, elle imagine une structure tournée vers le monde estudiantin pour rivaliser avec l’AEIF. Comme elle, il s’agit en priorité d’encadrer les étudiants étrangers musulmans venus faire leurs études en France, afin qu’ils ne soient pas contaminés par la culture ambiante. Puis, l’UOIF se réoriente vers des objectifs plus nationaux (en devenant l’Union des organisations islamiques de France et non plus en France) pour mieux encadrer les étudiants français musulmans. Le 8 novembre 1996, lors d’un congrès national à Limoges, l’UIEF devient Étudiants Musulmans de France (EMF). Mais, officiellement bien sûr, EMF tient à se dire indépendant de l’UOIF. Interrogé par Cécilia Gabizon du Figaro en 2002, Abdelkrim Amine, vice-président d’EMF, déclare à propos de l’Union : « Nous partageons leur vision d’un islam contextualisé, c’est-a-dire européen. Mais nous n’avons aucun lien hiérarchique avec l’UOIF. Enfin, nous recevons environ 10 000 euros par an des Saoudiens, une somme modeste et sans contrepartie »[1].

Comme chez tout satellite de l’UOIF, un petit groupe de personnes suffit à ouvrir une antenne. Si bien qu’EMF est implanté à Lille, Besancon, Nancy, Grenoble, Limoges, Toulouse et Bordeaux. Deux de ses activités essentielles consistent à monter des listes en prévision des élections universitaires et à organiser des colloques au sein des universités. Le 26 octobre 1999, par exemple, EMF organise un colloque intitulé « Penser et intégrer l’islam en Europe ». Officiellement, il s’agit de mieux faire connaître l’islam : « L’islam aujourd’hui est bien mal perçu et ce phénomène rend difficile la coexistence entre les musulmans et leurs concitoyens », explique l’EMF dans le texte de présentation du colloque. « Sans une réflexion approfondie et la promotion d’un réel dialogue, on risque fort de laisser s’approfondir les incompréhensions et les rejets mutuels », selon l’EMF qui se fixe pour devoir « d’engager une réflexion à plusieurs niveaux afin de mieux préparer l’avenir de nos sociétés et de construire ensemble l’Europe de demain ». Plusieurs conférences et tables rondes sont prévues sur les thèmes « laïcité ou laïcités, islam ou islams », « une culture islamique européenne ? », ou encore « les Musulmans d’Europe et leurs relations avec la scène internationale ». Dans les faits, ce type d’intitulés et le cadre universitaire permettent surtout aux jeunes cadres de l’UOIF d’entrer en contact avec d’éventuels soutiens et cautions universitaires comme le sociologue Michel Wieviorka, ou Henri Leclerc (le président de la Ligue des droits de l’homme). Lesquels interviennent aux côtés du directeur du centre islamique de Strasbourg, Messaoud Boumaza, et surtout du recteur de la mosquée Adda’wa de Paris, Larbi Kechat[2]. Mais l’universitaire favori des Étudiants musulmans de France reste Vincent Geisser, l’auteur de La Nouvelle islamophobie, un ouvrage où il reproche clairement aux musulmans libéraux, aux journalistes d’investigation et aux féministes d’être racistes non pas envers les musulmans mais bien envers les islamistes ! Le 5 décembre 2003, son entremise permet à EMF d’organiser une conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. Le 5 novembre 2004, il était invité par l’EMF de Grenoble.

Côté campus, l’entrée dans le jeu électoral universitaire se fait d’autant plus facilement que le nom, Étudiants musulmans de France, est pensé pour apparaître comme l’équivalent musulman de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Au départ, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) perçoit EMF comme un partenaire possible et même comme une association venant combler un manque. Elle-même organise des tables rondes communes avec EMF et l’UEJF. Mais après le début de la première Intifada, Yassir Fichtali, le président de l’UNEF, constate que ce type d’initiative n’est plus possible : aucune des deux parties ne veut plus se rencontrer, les Étudiants juifs de France et les Étudiants musulmans de France refusent de siéger à la même table. Après quelques initiatives avortées, l’UNEF commence à se lasser. D’autant qu’EMF n’est pas très implantée. En 2000, elle obtient moins de 1,2 % des voix. On ne voit guère sa signature que sur quelques communiqués, comme au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Elle s’associe alors avec l’Union des étudiants algériens de France pour s’élever contre les risques d’amalgames pouvant frapper les « Français d’origine arabe ou de confession musulmane » : « Nous refusons tout amalgame entre les extrémistes fanatiques et meurtriers et les musulmans, et nous nous élevons contre les actes de défiance ou de discrimination dont pourraient être victimes les Français d’origine arabe ou de confession musulmane », indique le communiqué commun publié par trois associations étudiantes (UEJF, EMF, UNEF) à l’occasion de la rentrée universitaire. Mais là aussi, la collaboration sera de courte durée. À cette époque, l’UOIF cherche à négocier sa place dans le processus d’institutionnalisation de l’islam de France et doit donc démontrer son implantation sur le terrain. Elle pousse EMF à s’occuper d’exister réellement. Fichtali raconte : « on voit à ce moment un débordement d’énergie dans une association qui jusqu’alors ne se présentait que sur quelques campus »[3]. De fait, EMF commence à faire des progrès, au moins au niveau des pourcentages. Même si le taux de participation aux élections universitaires est toujours très bas. En 2002, par exemple, seuls 100 000 étudiants sur 2 millions ont voté pour élire leurs représentants aux Conseils régionaux des oeuvres universitaires (CROUS). Dans ce contexte, la mobilisation de EMF porte assez vite ses fruits puisqu’elle obtient 8 % des voix lors de ce scrutin, contre 1,2 %, en 2000. Cette augmentation s’explique facilement : en 2000, EMF n’avait présenté des candidats presque nulle part. En 2002, elle a fait l’effort de présenter un candidat sur presque chaque campus. Le recrutement n’est pas très regardant. Toujours selon le président de l’UNEF, l’UOIF a délégué des militants pour repérer les étudiants visiblement maghrébins, leur parler en arabe et leur proposer d’être sur une liste : « le déclencheur est arrivé quand sur un campus lyonnais que je connaissais bien, je me suis fait aborder, en arabe, par un islamiste »[4] raconte Yassir Fichtali. Une pratique qui fait halluciner les militants de l’UNEF. Cette pratique est révélatrice : l’UOIF souhaite faire une démonstration de force au niveau des pourcentages universitaires, pour servir ses objectifs nationaux, et non pas influencer réellement les décisions prises au CROUS. D’ailleurs, très peu des onze élus ainsi obtenus vont se montrer assidus ou simplement préoccupés par ce qu’il s’y joue. La collaboration avec l’UNEF se détériore assez vite. Les élus d’origine maghrébine de l’organisation sont régulièrement pris à parti par ceux d’EMF, dont il ne faut pas oublier qu’ils ont pour modèle Farid Abdelkrim. Najet Boubekeur, étudiante à Villetaneuse, se fait même insulter : « Seules les étudiantes d’origine maghrébine se font insulter. On nous dit qu’on trahit notre race et nos origines si on se promène tête nue ! » Yassir Fichtali s’inquiète dans une déclaration recueillie par l’Agence France Presse. Il parle d’une « approche communautariste et confessionnelle (…) risquant de mettre à mal les valeurs de laïcité et de métissage de l’université française dont nous sommes porteurs »[5]

L’alliance avec l’UNEF n’étant plus possible, EMF cherche des soutiens dans l’autre camp. Le 3 décembre 2002, en prévision des élections à venir des représentants étudiants au Conseil d’administration du CNOUS, l’organisation s’allie avec la FAGE, prouvant là aussi que le positionnement politique démocratique — de droite ou de gauche — n’a aucune importance aux yeux de l’UOIF. L’essentiel est d’être visible au nom de l’islam. Jean-Baptiste Mougel, le président de la Fage, a confirmé à l’AFP avoir reçu le soutien de l’EMF pour cette élection, mais il a tenu à rassurer son électorat en présentant ce satellite de l’UOIF comme une association laïque, travaillant aux côtés de la Ligue de l’enseignement, dans une perspective d’intégration des étudiants musulmans : « Ils ne gèrent pas de salles de prières, ne font pas de propagande et mènent des actions culturelles ou sociales de proximité en direction de tous les étudiants », a-t-il dit. Une présentation angélique qui n’empêche pas l’UNI de protester. Très à droite, l’organisation recouvre régulièrement les campus d’autocollants nationalistes rappelant le credo du Front national : « la France, aimez-la ou quittez-la ». Même s’ils étaient réellement laïques et non intégristes, les Étudiants musulmans de France lui auraient sans doute hérisser le poil. Mais ce n’est pas EMF qui porte plainte pour racisme, mais la FAGE, qui poursuit l’Uni pour les propos tenus envers EMF, l’accusant par exemple d’être islamiste. Elle sera déboutée. Mais une fois encore, sitôt élus, les représentants de l’EMF boudent les réunions du CNOUS. Contrairement aux promesses de la FAGE, les seuls sujets capables de les mobiliser sont l’obtention de salles de prières et la lutte contre la mixité sur les campus. Localement, certaines institutions cèdent. Ainsi le directeur du CROUS de Lyon, Denis Lambert, met une salle à la disposition des étudiants souhaitant faire leur prière une fois par semaine, « dans le cadre des pratiques culturelles », et à la demande de l’association des Étudiants musulmans de France. Dans les cités universitaires, EMF se rend assez populaire en distribuant de la nourriture aux élèves en collaboration avec la Banque mondiale. Un réflexe digne du tiers-monde mais qui a toujours permis aux islamistes d’exercer leur prosélytisme grâce aux moyens financiers dont ils disposent. Dans ces tracts l’EMF parle de « 1 500 colis alimentaires distribués chaque année aux étudiants au sein des résidences universitaires. 3 200 repas organisés sur les Campus dans une ambiance conviviale et chaleureuse, soit plus de 400 étudiants lors des 8 soirées ; 100 étudiants accompagnés dans leurs rentrées universitaires (accueil, démarches administratives, logements, bourses…) ; 200 étudiants ont bénéficié l’année dernière d’aides financières ponctuelles dans des moments difficiles ». Dans un autre tract on peut lire que l’EMF propose 10 000 repas gratuits chaque année.

Quand elle ne recrute pas, EMF publie des communiqués pour soutenir la position nationale de la maison-mère. Le 10 décembre 2003, elle prend position contre l’éventualité d’une loi interdisant le voile islamique à l’école, estimant qu’elle serait « vécue comme une persécution à l’endroit exclusif de la communauté musulmane. (…) Nous rappelons à l’ordre les politiciens de ce pays en les mettant en garde contre une loi discriminante à l’endroit de la communauté musulmane ». Les étudiants de de l’EMF participent activement à la campagne contre l’interdiction des signes religieux à l’école et grossissent les rangs de la manifestation du 17 janvier 2004. Bien que sa maison-mère soit officiellement en léger froid avec Tariq Ramadan, les jeunes de l’EMF sont également toujours prêts à prendre la défense de leur prédicateur préféré. En novembre 2003, un communiqué du Bureau national proteste contre la manière dont Tariq Ramadan est (mal) traité par les médias : « Pas un jour, effectivement, ne passe sans qu’un reportage télévisé ou un article ne traite du ‘coup de force’ de Tariq Ramadan au FSE, intellectuel ‘habile’, voire ‘retors’, dans tous les cas adepte du ‘double discours’. (…) Cette campagne de dénigrement apparaît donc comme émanant d’une volonté de discréditer, et de détruire un homme. Attitude inacceptable que nous condamnons. Les propos tenus à son égard n’ont de fondés que les fantasmes et l’imaginaire de ceux qui les portent. (…) Nous, Étudiants musulmans de France, soutenons Tariq Ramadan, son engagement, son discours et sa personne ». Elle réaffirme non seulement son soutien mais prouve que, malgré la brouille officielle entre l’UOIF et Ramadan à propos du CFCM, ce dernier reste son penseur de référence : « EMF quant à elle n’a pas découvert Tariq Ramadan suite à une citation d’un article d’ailleurs tirée hors propos, mais travaille avec cet intellectuel dont les propos sont de nature à promouvoir le vivre ensemble. L’association Étudiants musulmans de France tient, tout d’abord, à rappeler que M. Tariq Ramadan participe, et ce de longue date, à la réflexion concernant la présence musulmane en France et en Europe. À ce titre, EMF a d’ailleurs souvent fait appel à lui et continue, dans le cadre de conférences ou de colloques, afin de promouvoir une participation citoyenne plus grande des Français de confession musulmane. Cette relation privilégiée nous permet de témoigner que cet intellectuel a toujours appelé à une citoyenneté participative et pleinement assumée de la part de tous les Français et a toujours refusé et condamné un repli communautaire ».

Le débat sur le voile et sur Tariq Ramadan aurait dû renforcer le prosélytisme de EMF, du moins si les détracteurs de la diabolisation de l’UOIF avaient vu juste. Les chiffres des dernières élections universitaires démontrent exactement le contraire. En pleine tempête médiatique propre à encourager les réflexes identitaires, et alors qu’EMF présente cette fois des candidats dans toutes les académies, sa liste plafonne aux élections du 29 mars au 2 avril 2004. Le double discours de l’organisation semble lasser. En effet, Ammar Rouibal, président de l’EMF à Grenoble, explique à l’AFP que les élus EMF de Lyon et Grenoble n’ont jamais formulé de demande spécifique pour les musulmans. Or, tout étudiant un peu politisé a pu constater le contraire, ne serait-ce qu’en lisant les tracts de la liste. Résultats, avec plus de candidats en lisse, elle obtient le même nombre de voix. En revanche, le taux de participation ayant augmenté, elle perd des sièges. Sur les 168 553 suffrages exprimés, EMF obtient 7 512 voix et 2 sièges seulement, contre 11 l’année précédente. Quelques mois après les élections, c’est le calme plat. Sur les sites, les derniers communiqués sont ceux des résultats. Parmi les liens, en revanche, on trouve toujours les derniers délires de Thierry Meyssan : « Dans cet extrait vidéo Thierry Meyssan déballe le plan machiavélique des américano-sionistes au sujet de l’Irak et de son futur », nous dit le site de l’EMF Grenoble[6].

[1] Cécilia Gabizon, « Les étudiants musulmans entrouvrent les portes du Cnous », Le Figaro, 19 décembre 2002.

[2] Personnalité de l’AEIF, Larbi Kechat est censé être en froid avec l’UOIF puisqu’il représente plutôt la branche des Frères musulmans égyptiens. Néanmoins on peut s’interroger sur la nature réelle du froid lorsque l’on voit les militants de l’UOIF intervenir sans discontinuer à la mosquée Addawa. Le 6 décembre 2003, Farid Abdelkrim intervenait au Centre socioculturel de la mosquée sur le thème : « Citoyen à part entière ou entièrement à part ? ». Parmi les exemples de la radicalité de la mosquée Addawa, notons cette amusante apologie de la burqa, « la burqa afgane est un vêtement nécessaire du fait des conditions climatiques afin de protéger la beauté des femmes de l’aridité de la région », Nacéra Hammouche, 1er mars 2003. La mosquée Addawa est aussi le lieu principal de prédication de Said Ramadan al Boutih. En janvier 2005, plusieurs islamistes formés à la mosquée Addawa ont rejoint les djihadistes irakiens.

[3] Entretien avec Yassir Fichtali

[4] Idem

[5] AFP, 29 mars 2002.

[6] Site Emf de Grenoble.

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