Bariza Khiari auditionnée au Sénat sur la place l’organisation et le financement de l’Islam en France

Dans le cadre de la Mission d’information sur la place l’organisation et le financement de l’Islam en France, Bariza Khiari, sénatrice de Paris, était auditionnée le 3 février 2016. Si une grande partie de son intervention décryptée plus bas est intéressante, notamment sur le voile, les menus de substitution…, un point pose question. Sa vision d’un débat français uniquement « fondamentaliste » ou « islamophobe » ?
Dans son intervention Bariza Khiari explique qu’elle prend la parole pour une raison assez claire. « Il m’a semblé important qu’il y ait une voix différente de celles des fondamentalistes, d’un côté, et de l’autre côté des extrémistes Islamophobes. » On ne peut que comprendre cette inquiétude. En effet on remarque de plus en plus que sur les plateau de télévision, les seules paroles légitimes sont celles des intégristes présentés comme représentants des musulmans ou de l’extreme droite qui, elle, dirait vrai. Cependant il existe des figures qui n’entrent pas dans ce cadre. Ces dernières sont régulièrement victimes de campagnes de diffamation très violentes sur le net. Certains sont des chercheurs, d’autres des journalistes ou des responsables d’associations. Certains sont athées, chrétiens, juifs ou musulmans. Nous avons parlé dans un article des mises à l’index de musulmans non estampillés : CABALES CONTRE MUSULMANS NON AGRÉÉS
A lire cette phrase de Bariza Khiari, on pourrait croire qu’elle s’indigne de l’expulsion du débat des personnes visées par les intégristes. Il faut cependant continuer à lire son intervention.
« S’agissant de la place médiatique qu’occupe l’Islam, la situation est caricaturale. On reproche souvent aux « musulmans modérés » leur silence. Mais celui-ci est en réalité une construction médiatique. Les grands médias s’entêtent à inviter sur leurs plateaux des personnes que je définirai comme des analphabètes bilingues, et qu’on s’obstine à considérer comme des représentants de l’Islam. Je ne citerai pas de nom. Lorsque Mme Caroline Fourest me dit que de telles personnes à la télévision font baisser le racisme, je dirais que cette baisse est bien relative comparée à la honte et à l’humiliation qu’elles suscitent parmi les Musulmans de France. Se sentir représenté par cela, ce n’est pas possible ! Si l’on voulait humilier les Musulmans, on ne s’y prendrait pas autrement ! »
Avec cette phrase, on ne comprend plus. Il y aurait donc d’un côté des « extrémistes islamophobes » et de l’autre des « fondamentalistes« , mais aussi une troisième catégorie : les « analphabètes bilingues ». On aurait aimé que la sénatrice donne les noms. Lors d’interventions publiques Bariza Khiari n’hésite pas à nommer les personnes qu’elle ne veut plus voir sur un plateau de télévision : Mohamed Sifaoui et Hacène Chalghoumi. Pourquoi ne pas l’avoir dit ? Pourquoi ne pas avoir non plus donné la liste des personnes autorisées à donner leur opinion ?
Lors des questions, Bariza Khiari va plus loin : « Me voyez-vous beaucoup sur les plateaux télévisés ? Non, car je n’y suis jamais invitée du fait que je représente ce qui n’est pas dans la ligne. J’ai un jour été pré-sélectionnée pour participer à une grande émission du soir, mais on ne m’a jamais rappelée. Par curiosité, j’ai alors regardé les personnes qui avaient été retenues à ma place pour parler de l’Islam. Ces personnes appartenaient toutes à cette catégorie que j’appellerai « analphabètes bilingues » ! « .
Pour lire l’article que nous avons consacré à Bariza Khiari.
Retranscription de l’intervention de Bariza Khiari.
Mme Corinne Féret, présidente. – Chers collègues, pour clore cette séance consacrée à des personnalités qualifiées ou experts de la question de l’Islam en France, nous avons l’honneur et le grand plaisir d’accueillir notre collègue Bariza Khiari, sénatrice de Paris, membre de la commission des affaires étrangères, mais surtout – et c’est à ce titre que nous l’entendons – spécialiste reconnue de la question des liens entre la pensée musulmane et la citoyenneté.
Dans ce cadre, vous avez publié récemment une note intitulée « Le soufisme : spiritualité et citoyenneté », publiée dans l’ouvrage Valeurs d’Islam de la Fondation pour l’innovation politique. Si vous en êtes d’accord, je me propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d’environ 15 minutes, au cours duquel vous pourrez nous faire partager votre regard sur les principaux courants de l’Islam et, surtout, la manière dont ils sont effectivement diffusés et pratiqués en France par nos concitoyens musulmans.
Il serait également très intéressant que vous nous présentiez votre propre vision des institutions de l’Islam en France : quelle est leur la capacité réelle à diffuser et à promouvoir cet « Islam des Lumières » que vous appelez de vos voeux dans le texte que je viens de mentionner ? Et à quelles pistes notre mission pourrait réfléchir, pour favoriser dans notre pays un dialogue constructif entre l’État et l’ensemble des musulmans ?
Je précise que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo, diffusée en direct sur le site du Sénat. Madame Khiari, ma chère collègue, vous avez la parole.
Mme Bariza Khiari, sénatrice de Paris. – Je suis heureuse d’être parmi vous et d’être auditionnée par des collègues, c’est du reste la première fois que cela m’arrive ! Je me suis posé la question de ma légitimité à être devant vous pour parler de cette thématique. En octobre 2004, alors que je venais d’être élue sénatrice, je n’aurais jamais imaginé que j’en viendrais à parler de l’Islam. Je remercie donc la Présidente et la rapporteure de cette commission, qui accorde une grande importance à ces questions, de m’avoir invitée.
J’ai essayé d’analyser tout mon cheminement pour comprendre comment j’en étais arrivée là. Ces questions me taraudaient-elles il y a une quinzaine d’années ? En fait, pas vraiment. Je savais en revanche que la question de l’égalité républicaine, minée par les discriminations, serait au coeur de mon mandat.
J’ai été très honorée lorsque le Président Poncelet m’a demandé, en 2004, d’être la marraine de l’opération Talents des Cités, qui se tient au Sénat depuis cette date. J’ai été également chef de file du groupe socialiste du projet de loi créant la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE). À partir de 2008, l’Islam est devenu, avec l’identité nationale, une question politique. Je perçois d’ailleurs cela comme une démarche qui consisterait à opposer l’identité nationale et l’Islam.
L’Islam est devenu une question politique et je ne pouvais rester en-dehors du débat. Il m’a semblé important qu’il y ait une voix différente de celles des fondamentalistes, d’un côté, et de l’autre côté des extrémistes Islamophobes. Parler de l’Islam en tant que musulmane serait, pour certains, verser dans le communautarisme. Je me demande pourquoi un musulman ne pourrait pas parler de l’Islam.
Il y a des radicalités religieuses d’un côté, et des radicalités politiques de l’autre. Au milieu, il y a un vide et il faut le remplir. Je pense que le fait qu’un certain nombre de musulmans dit modérés ne se soient pas exprimés a provoqué une brèche dans laquelle se sont engouffrés les fondamentalistes.
Au sein de ma formation politique (le PS), j’ai présenté de nombreuses contributions lors de tous les congrès, sur Islam et laïcité, Islam et République. Mais elle est demeurée totalement hermétique à ces questions, à l’exception de M. Laurent Fabius. D’autres instances m’ont alors ouvert leurs portes, comme une loge maçonnique ou l’épiscopat parisien où, à la demande du Père Matthieu Rougé, aumônier des Parlementaires, j’ai été invitée à m’exprimer aux côtés de Monseigneur André Vingt-Trois sur ces questions. J’ai également écrit un certain nombre d’articles dont, pour les démographes, une contribution sur les statistiques ethniques contre lesquelles je m’inscris. J’ai également participé au groupe de travail du Sénat sur la mission « La France dans 10 ans » dirigé par M. Jean Pisani-Ferry. J’ai aussi participé aux travaux de la Fondapol consacrés aux Valeurs d’islam et je suis à l’origine, avec notre collègue M. Roger Karoutchi, de l’intérêt que porte le Sénat aux minorités chrétiennes d’Orient. Au tout début, nous étions d’ailleurs les seuls à nous intéresser à cette question. À partir du moment où nous voulons que la diversité soit respectée en France, il nous paraissait essentiel de défendre la diversité au Moyen-Orient, consubstantielle de l’identité de cette région. D’autres collègues se sont progressivement agrégés à notre démarche et notre groupe est désormais important.
Ai-je une légitimité pour parler de l’Islam ? Théologique ? Certainement pas. Mais je suis l’une des rares élues, au niveau national, qui s’assument à la fois comme farouchement républicaine et laïque, et sereinement musulmane. Personnellement, je ne mets pas mon Islam dans ma poche, tout en étant républicaine et laïque. À cet égard, être laïc et chrétien, ainsi que laïc et juif, ne pose pas de problème, tandis qu’être laïc et musulman semble susciter une forme de suspicion, qu’il faut donc lever. Comme beaucoup d’élus ici, je suis saisie par nos concitoyens d’un certain nombre de questions. J’y suis particulièrement sensible et tout ceci m’a permis de développer une réflexion sur ce sujet.
Quelle est la place de l’Islam en France ? Je formulerai, tout d’abord, quelques considérations générales. Deuxième religion de France, l’Islam est une religion du livre qui n’est en rupture ni avec le judaïsme, ni avec le christianisme car il en est le continuum. L’Islam fait ainsi partie de ce que l’on appelle le socle abrahamique. A la question déjà posée à M. Antoine Sfeir, j’aurais formulé une autre réponse que la sienne : l’Islam a connu sa Renaissance avant son Moyen-Âge ! Elle appartient au socle abrahamique et, afin d’illustrer mon propos, je voudrais vous conter une petite anecdote. Je suis une élue du XVIème arrondissement de Paris et j’habite dans un immeuble bourgeois. Lorsque je suis arrivée dans cet immeuble, une voisine m’a fait part de l’interrogation des autres habitants sur la manière dont je réagirais au sapin de Noël traditionnellement installé par la copropriété dans l’entrée. Lorsque je lui répondis que je n’en étais nullement gênée, ma voisine a semblé incrédule. Il m’a alors fallu lui rappeler que Jésus était également l’un de mes prophètes et que le Coran consacrait une sourate entière à Marie, mère de Jésus. Tout d’un coup, je démontrais à cette dame que nous avions quelque chose en commun, et cela a paru la déranger.
La population musulmane de France est en majorité sunnite de tradition malékite. C’est le rite le plus ouvert des quatre écoles juridiques de l’Islam, à savoir le Hanafisme, le Hanbalisme, le Chafirisme et le Malékisme. On retrouve principalement cette dernière école en Afrique du Nord et un peu dans l’Afrique subsaharienne ; c’est pourquoi, l’immigration en France est à 95 % de rite malékite. Je suis personnellement l’héritière d’un Islam européen qui s’est développé en Espagne andalouse dans la coexistence des juifs et des chrétiens. C’est un Islam d’une grande ouverture et c’est également la belle période de l’Islam. Isabelle la Catholique a expulsé les Juifs et les Musulmans qui, du coup, ont irrigué le Maghreb, voire plus loin. Cette civilisation arabo-judéo-chrétienne a jailli de Cordoue et a irrigué le monde.
Je revendique cet héritage d’un Islam européen. Et c’est cet héritage-là qu’il faut que nous retrouvions ! Je serais tentée de dire que nous sommes passés d’une civilisation arabo-judéo-islamique à une situation qui se serait bédouinisée : nous sommes devenus les otages impuissants d’une wahhabisation de l’Islam dans le monde musulman, et l’Europe en est largement gangrénée.
On dit souvent qu’il faut déconsulariser l’islam de France, c’est-a-dire libérer les lieux de culte de l’emprise des pays d’origine. L’idée est séduisante, mais d’une certaine façon, l’Islam déconsularisé existe déjà : c’est celui des imams autoproclamés, de ceux qui sont financés par les organisations caritatives du Moyen-Orient – et je précise, pas par le régime, car il faut faire une différence, lorsqu’on évoque le financement par les Saoudiens, entre le régime et les organisations. Je rappellerai que l’Arabie Saoudite, dans son histoire, a séparé le pouvoir religieux, qui est libre, et le pouvoir politique. Les Saoud ont délégué la question de l’Islam aux tenants du Wahhab et donc ces groupes-là, grâce à l’aumône légale (« Zakat »), disposent de moyens considérables qui proviennent pour partie des pétrodollars. L’Islam a ainsi été réduit à une vision binaire, entre le licite (« Hallal ») et l’illicite (« Haram »). L’Islam a perdu de sa verticalité, c’est-a-dire de sa spiritualité. Je considère que la wahhabisation est une catastrophe qui ronge l’Islam sunnite et touche à présent nos quartiers.
S’agissant de la place démographique de l’Islam, il est toujours difficile de parler de religion dans les enquêtes. Je ne sais comment l’Institut national d’études démographiques (INED) et l’Institut national des études territoriales (INET) sont parvenus à ce résultat, mais ce sont d’après eux 8 % de la population qui se déclarent musulmans parmi les 18-50 ans. De ce résultat, on peut extrapoler à un peu plus de deux millions le nombre de personnes se revendiquant dans cette tranche d’âge et autour de quatre millions pour l’ensemble de la population.
S’agissant de la place médiatique qu’occupe l’Islam, la situation est caricaturale. On reproche souvent aux « musulmans modérés » leur silence. Mais celui-ci est en réalité une construction médiatique. Les grands médias s’entêtent à inviter sur leurs plateaux des personnes que je définirai comme des analphabètes bilingues, et qu’on s’obstine à considérer comme des représentants de l’Islam. Je ne citerai pas de nom. Lorsque Mme Caroline Fourest me dit que de telles personnes à la télévision font baisser le racisme, je dirais que cette baisse est bien relative comparée à la honte et à l’humiliation qu’elles suscitent parmi les Musulmans de France. Se sentir représenté par cela, ce n’est pas possible ! Si l’on voulait humilier les Musulmans, on ne s’y prendrait pas autrement !
Les médias formatent notre représentation. Dans les feuilletons, qui sont par nature récurrents, le voyou ou le violeur est le plus souvent arabe ou noir, et non le médecin ou le policier ! Lorsqu’en revanche nos concitoyens vont aux urgences hospitalières, le médecin est bien souvent noir ou arabe, en raison du déficit de la Sécurité sociale, parce qu’il fait office de variables d’ajustement du budget de l’hôpital.
Avec les antennes paraboliques, que l’on voit si nombreuses dans nos banlieues, on ne capte qu’une seule chaîne francophone parlant de l’Islam. Or, cette chaîne est saoudienne ; il s’agit de « Ikra », ce qui signifie « Lire » en arabe et qui désigne, par ailleurs, l’un des premiers versets du Coran. En revanche, 150 chaînes arabophones peuvent aussi être captées partout sur le territoire. Celles-ci ont une indéniable influence en France, sur les habitudes vestimentaires notamment, en suscitant une forme de mimétisme.
J’ai essayé d’apporter mon soutien à une chaîne qui devait être créée par des Français et s’appeler Mitaqh, (« La Charte »), mais qui n’a jamais pu voir le jour, faute des financements nécessaires.
Quelle est la place de l’Islam dans la culture, point qui retient tout particulièrement l’attention de votre mission ? De nombreux efforts ont été conduits par les grandes institutions culturelles pour promouvoir les arts et les cultures d’Islam. Je pense notamment à l’Institut du monde arabe et je rends un hommage appuyé à M. Jack Lang qui y a conduit un travail vraiment remarquable. Je pense également au Louvre, qui a organisé une très belle exposition sur le Maroc, ainsi qu’à Arte, qui a diffusé une série passionnante sur le Coran. En outre l’une des plus prestigieuses maisons d’édition d’art, Diane de Seillers, a publié, il y a trois ans, une version versifiée du chef d’oeuvre d’Attar, la Conférence des Oiseaux, intitulé aussi Cantique des Oiseaux, et dont les illustrations se retrouvent dans les Musées de Téhéran.
Mais le bruit dominant est occupé par une « islamophobie savante » qui postule que le monde musulman n’a rien apporté au monde moderne. On pourrait également souligner qu’en mettant en avant des télé-polémistes comme M. Eric Zemmour, les médias ont finalement accrédité l’idée que l’Islam n’existe que dans sa radicalité ou sa médiocrité. Au cours des travaux de la commission d’enquête sur le Djihadisme, on a ressenti l’humiliation des musulmans.
S’agissant de la place de l’Islam dans le monde intellectuel, j’ai conduit l’an passée à l’Élysée une délégation d’une dizaine de personnalités de haut niveau, se reconnaissant dans la sphère de l’Islam. Elles demandaient, entre autres, la création d’une chaire provisoire de deux ans au Collège de France, qui aurait permis d’élaborer un discours transverse sur l’Islam européen. Celui-ci eût été un contre-discours face aux Salafistes. Cette idée a séduit. Quelques mois après, une nouvelle chaire a été mise en place au Collège de France, mais intitulée « Le Coran, manuscrit ancien »… Une telle démarche se retrouve partout et nous n’avions pas besoin de cela en France ! Nous n’avons pas été entendus pour élaborer un discours qui aurait pu être utile par la suite.
S’agissant de la place politique, la configuration du modèle français est, sinon bloquant, du moins particulier. La droite formatée par le nationalisme a quelques petits problèmes avec l’étranger, l’immigré. La gauche est, quant à elle, formatée contre l’Église, a aussi quelques problèmes avec les croyants, donc les musulmans. Se surajoute le fait que de nombreux exécutifs municipaux ont reproduit, à l’échelle locale, le modèle colonial du caïdat : on fait ainsi élire sur sa liste un Monsieur Diversité qui va être chargé de gérer la communauté, les liens avec les mosquées, les associations dédiées. De ce fait, les questions qui se posent ne remontent à l’élu qu’en cas de problème !
En politique, le citoyen de confession musulmane a l’impression d’être l’objet d’une farce où alternent gauche et droite. Une telle pratique se voit partout, que ce soit à droite ou à gauche. Tantôt variable d’ajustement d’une gauche en mal d’électeurs et cherchant à catalyser les mécontentements, tantôt repoussoir pour une droite soucieuse de donner des gages à son électorat le plus radical et de séduire les soutiens de l’extrême droite. Si cela perdure, il ne faudra pas s’étonner de voir fleurir pour les prochaines élections davantage de listes communautaires.
Tout à l’heure, vous avez posé une question sur la citoyenneté à M. Antoine Sfeir, qui évoquait SOS Racisme. Sur la question de la citoyenneté, SOS racisme a été la bonne conscience de la gauche. Il fallait faire de grands concerts pour calmer le jeu, mais en réalité, on n’a jamais rien fait. Je ne suis pas contre l’antiracisme, il en faut ! Mais l’antiracisme et la lutte pour l’égalité et contre les discriminations ne sont pas les mêmes choses, elles impliquent des outils et des méthodes différents. Un quinquennat n’y suffit pas, et il faut s’inscrire dans la durée pour pouvoir déployer une ingénierie fine, longue et ambitieuse. Je n’ai donc pas de problème à dire que l’antiracisme a été la bonne conscience de la gauche. D’ailleurs, alors qu’un SOS racisme mobilisait avant tout les garçons, quelques dizaines d’années après, il s’est agi de faire de même avec les filles autour de l’association Ni putes ni soumises ! D’où la difficulté d’assurer la primauté de la citoyenneté sur l’identité. Lorsqu’on veut constitutionnaliser la déchéance de nationalité, c’est instaurer une déchéance de l’identité, car dans nationalité, il y a nation, et dans nation il y a identité ! On constitutionnalise quelque part une idée de l’identité française. Après, vous vous posez la question sur ce qui se passe dans les quartiers !
On s’interroge toujours sur la question de la comptabilité de l’Islam avec la République, mais cette question est généralement envisagée de manière unilatérale. À des fins de compréhension, je vais inverser les termes de la question, quitte à faire un peu de provocation, et demander en quoi le cadre républicain est compatible avec les dogmes de l’Islam.
Pour faire simple, l’Islam repose sur cinq piliers et quelques prescriptions susceptibles d’impacter la société.
Les cinq piliers sont la shahada – c’est-a-dire la profession de foi -, la prière, le pèlerinage, l’aumône et le ramadan. La shahada, c’est du domaine intime, ça n’entrave pas le cadre républicain. L’aumône légale, la Zakat, est la charité qui n’entrave pas non plus le cadre républicain. Le pèlerinage n’est pas plus une remise en cause de la République. C’est par ailleurs un enjeu économique important : une réglementation existe, la réglementation européenne sur les voyages à forfaits, mais son application n’a pas été évaluée. Près de 25 000 Français ou résidents français se rendent à la Mecque pour un budget moyen de 4 000 euros. Certains y consacrent l’économie d’une vie de labeur et des déceptions existent, quant au sérieux des tours opérateurs. Il faudrait sans doute regarder d’un peu plus près cette situation.
La prière, et notamment la prière collective du vendredi, a posé des problèmes, avec les prières de rue. Mais cette situation me semble aujourd’hui quasiment réglée. Pour le reste, en quoi, la prière dans les lieux de culte constituerait-elle une entrave aux principes de la République ? Pas du tout ! En revanche, le financement de la construction des lieux de culte soulève une série de questions liées à sa compatibilité avec la loi de 1905.
Le ramadan, qui est une période de jeûne de plus en plus suivie, peut éventuellement poser la question de l’absentéisme pour les fêtes. Il y a en Islam deux jours fériés canoniques, le jour de la fin du Ramadan et de la fête de l’Aïd quelques temps après. En quoi cela peut-il gêner ? Dans l’entreprise, il est toujours possible de poser une journée de RTT. À l’école, on pourrait prendre une circulaire disposant que ces jours-là, il vaut mieux ne pas fixer d’examen. Dès lors, la seule question posée est celle des jours fériés. Pour ma part, je ne pense pas que la création de nouveaux jours fériés soit justifiée. Cela peut se régler de cette manière-là et, à mon sens, cela ne pose pas de problème réel.
A ces cinq piliers, il faut rajouter une prescription forte, qui est de nature cultuelle et culturelle : la non-consommation de porc et la consommation de viande halal qui peut impacter la vie en société, s’agissant notamment des cantines scolaires. Il faut être clair sur ce point. On mange casher, mais on ne mange pas hallal ; c’est la viande qui est hallal, c’est-a-dire qui est licite ou illicite. Ça se règle, de manière assez facile, avec un système de self-service ou avec un repas de substitution.
Vu sous l’angle des cinq piliers et des interdits alimentaires, la pratique de l’Islam ne pose donc au cadre républicain aucun problème majeur. Il y a certes le voile dit islamique, mais celui-ci n’est pas une prescription coranique ; il est le symbole d’autre chose !
Enfin, dernier point, je souhaitais aborder la question des carrés confessionnels. À ma connaissance, il n’existe en France qu’un seul cimetière musulman et quelques carrés confessionnels. Aujourd’hui, une très grande majorité de musulmans demandent à être inhumés dans leur pays d’origine. Mais c’est souvent pour la génération passée, du fait du mythe du retour. Inhumer un musulman qui a toujours vécu ici dans un cimetière en France ne devrait pas poser d’énormes problèmes. Il y a peut-être, à cet égard, un petit effort à faire : l’inhumation en France traduit une sorte d’intégration par la terre, ce symbole me paraît extrêmement fort. Comme l’écrivait le grand poète turc, Nazim Hikmet, deux visions s’offrent au regard du mourant : « le visage de sa mère et les rues dans lesquelles il a vécu. » Le fait que le musulman soit enterré là où il a vécu marque l’acceptation par la terre.
S’agissant du financement, on pourrait envisager un dispositif franco-français passant par la Zakat ainsi que l’organisation de la filière hallal. La Zakat est l’aumône légale canonique. Cette aumône, qui est symbolique et d’un petit montant, doit être versée le jour de la fête de l’Aïd qui doit permettre à chaque musulman, fût-il nécessiteux, d’être à l’unisson des autres et de participer à la fête. On dit ainsi que « l’on sort la Zakat avant la prière du matin ».
Un musulman doit aussi verser un pourcentage sur tout l’argent qu’il possède. Ce pourcentage s’élève à 2,5 % de l’ensemble de ses avoirs. S’y surajoute les intérêts, car l’usure n’est pas accepté par l’Islam. On pourrait ainsi dire que les principes de la finance islamique s’inscrivent pleinement dans l’économie sociale et solidaire et sont autant de principes éthiques que l’on essaie d’insuffler finalement dans la sphère financière. Il s’agit de montants qui, mis bout à bout, ne sont pas négligeables et qu’il ne s’agit surtout pas d’opposer à l’impôt républicain. Ce dernier est en effet acquitté en contrepartie d’un service rendu. Ce financement de l’Islam vient en plus de l’impôt républicain et ne se confond nullement avec lui.
Le halal est aujourd’hui une activité mal réglementée et non contrôlée. La définition d’une norme hallal est attendue par nos concitoyens de confession musulmane ou non. Ils veulent pour les uns avoir l’assurance de manger licite et pour les autres, ne pas manger halal. Les enjeux du halal ne sont pas que cultuels, mais relèvent du droit à l’information des consommateurs. Il devrait y avoir un droit à l’information des consommateurs ainsi qu’un respect de règles sanitaires. C’est aussi une vraie question économique, car la grande majorité des poulets qui sont consommés lors du Pèlerinage de la Mecque par quelques millions de personnes est d’origine française. Une dîme prélevée sur le kilo de viande pourrait être reversée à la Fondation des Oeuvres de l’Islam, de même que cette fondation pourrait être en mesure de recevoir des donations des fidèles français. Encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens, à l’instar de fondations plus connues, comme celle de la lutte contre le cancer. Que fait la Fondation des oeuvres de l’Islam en direction des musulmans ? Cette fondation, dont la création par M. Dominique de Villepin était une bonne idée, pourrait communiquer davantage sur ses activités et pourrait demander la Zakat. Je pense que des sources de financement peuvent être dégagées en dehors des fonds étrangers. Il faut simplement nous en donner les moyens. A la tête de cette structure, il faudrait mettre un banquier !
Je n’ai pas évoqué la question du Conseil Français du Culte musulman (CFCM) et de sa représentativité, car vous avez très certainement déjà réfléchi à ces questions !
La compatibilité de l’Islam et de la République, vue sous l’angle d’un musulman sérieux et soucieux de pratiquer son culte tranquillement, ne se pose vraiment que dans deux cas : la possibilité d’avoir un repas de substitution à l’école et celle d’être enterré en France conformément aux rites islamiques. Alors pourquoi grossir les problèmes ? À moins qu’on ne veuille faire de l’Islam une matière inflammable ? On est un peu habitué du fait.
Pour conclure mon propos, la dédiabolisation de l’Islam est le test de crédibilité de notre république laïque. Nous devons être capables de lutter contre l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques, sans stigmatiser les musulmans, et de donner à chacun les moyens d’exercer dignement sa pratique religieuse, sans transiger sur la laïcité.
La ligne de conduite qui doit être la nôtre est aussi simple sur le plan théorique qu’elle est exigeante du point de vue de la pratique. Pour moi, la loi doit protéger la foi, aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. Les musulmans de France ont surtout besoin d’être considérés comme des citoyens à part entière, et non comme des citoyens à part, d’autant que, selon un principe de la philosophie tiré du droit musulman, la règle qui s’applique aux habitants musulmans d’un pays non musulman est la règle du pays d’accueil.
Enfin, l’Islam de France est lié à notre histoire coloniale et à ses vicissitudes. En cela, l’Islam est porteur d’une histoire récente et douloureuse, qui comporte des épisodes comme la décolonisation, mais aussi de rituels et d’une spiritualité spécifiques. Il est actuellement le vecteur d’une recomposition identitaire. Afin que l’Islam se recentre sur sa dimension spirituelle, il est essentiel, me semble-t-il, d’empêcher son instrumentalisation, aussi bien par les intégristes que par les Islamophobes. Ces derniers se nourrissent l’un de l’autre et cannibalisent l’espace médiatique. L’Islam est devenu un sujet politique. On doit savoir en parler et je remercie cette mission d’information de m’avoir écoutée.
Mme Corinne Féret, présidente. – Merci beaucoup pour toutes ces informations.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. – Je souhaite tout d’abord remercier notre collègue Mme Bariza Khiari pour son intervention. Il est important que les choses soient dites. Cette mission est née dans l’esprit d’André Reichardt et le mien à la suite des travaux de la commission d’enquête sur le Djihad ; nous en avions longuement discuté avec Mme Bariza Khiari, puis il a fallu que tout cela mâture.
Je reviens d’une mission en Arabie Saoudite. J’y ai constaté, d’abord, que la zakat est désormais interdite en Arabie saoudite, de façon à pouvoir contrôler les flux financiers qui en résultent.
Mme Bariza Khiari. – On ne peut interdire la Zakat. C’est un pilier canonique.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. – Elle est interdite dans les lieux publics. Elle est probablement organisée autrement. En ce qui concerne les pèlerinages, 47 organisations touristiques reçoivent un agrément délivré par le Ministre du Pèlerinage. Si ces dernières manquent aux règles déontologiques, précisément pour ne pas gêner les pèlerins ou les décevoir, les autorités saoudiennes, parmi lesquelles le Ministère du pèlerinage, peuvent le leur retirer. Ce point nous a été confirmé par le Ministre du pèlerinage et le Gouverneur de la Mecque la semaine dernière. Nous auditionnerons prochainement la fondation pour les oeuvres de l’Islam de France. Le Hallal sera également une thématique de choix pour nos prochaines auditions. L’audition de notre collègue est en fait fondatrice puisqu’elle vient de soulever l’ensemble des questions auxquelles nous espérons pouvoir apporter des réponses. Merci beaucoup pour cette brillante prestation.
M. André Reichardt, co-rapporteur. – Je voudrais également remercier notre collègue Bariza Khiari pour cette très bonne intervention et sa présentation de l’Islam en France qui m’apparaît particulièrement exhaustive. Vous souhaitez qu’on s’oppose à l’instrumentalisation de l’Islam, c’est une question qui revient sans cesse depuis le début de nos travaux.
M. Antoine Sfeir a mis l’accent sur les problèmes sociaux et culturels des communautés musulmanes dans ce pays, mais, tout compte fait, il n’a pas beaucoup parlé de l’Islam. Or, notre problème est de mesurer quel rôle a l’Islam dans la montée terrible des communautarismes et le départ des apprentis djihadistes, ainsi que dans les attentats dramatiques que nous avons éprouvés.
Pouvez-vous approfondir cette question du rôle que joue ou non l’Islam dans ces phénomènes ? J’étais à une conférence, il y a deux jours à Strasbourg, à l’occasion de la commémoration du premier anniversaire des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher. Un représentant de l’Islam, à la table ronde, y a déclaré que le terrorisme n’était qu’un phénomène politique et nullement religieux. Il en était presqu’à nier le rôle que pouvait jouer l’Islam dans cette évolution et mettait l’accent sur l’énorme précarité que connaissaient les communautés musulmanes dans notre pays. Selon vous, l’Islam comme religion a-t-il une part dans cette radicalisation et cette montée des communautarismes ?
J’ai été surpris par votre analyse de l’Islam écartelé entre la radicalité ou la médiocrité. Comment se fait-il qu’en France, il n’existe pas d’élite musulmane, comme il y en a au Royaume-Uni ou en Allemagne, qui puisse tirer cette religion vers le haut ? Ce point me paraît fondamental.
Mme Bariza Khiari. – La dernière question me paraît la plus simple. Me voyez-vous beaucoup sur les plateaux télévisés ? Non, car je n’y suis jamais invitée du fait que je représente ce qui n’est pas dans la ligne. J’ai un jour été pré-sélectionnée pour participer à une grande émission du soir, mais on ne m’a jamais rappelée. Par curiosité, j’ai alors regardé les personnes qui avaient été retenues à ma place pour parler de l’Islam. Ces personnes appartenaient toutes à cette catégorie que j’appellerai « analphabètes bilingues » ! Je ne conçois pas d’être représentée dans les médias par de tels individus ! On ne nous tend pas le micro ! Une élite républicaine sortie de nos grandes écoles, qui se reconnaît dans la sphère de l’Islam, ça existe pourtant ! On a dû créer le Club XXIème Siècle, qui a fourni plusieurs ministres d’ailleurs, pour que cette élite puisse être visible. Dans la sphère économique, nous sommes représentés puisque les compétences priment sur l’origine. Mais ce n’est pas le cas dans les sphères politiques, citoyennes et médiatiques !
Je siège au Comité d’éthique aux côtés de journalistes et de représentants des médias, que j’interpelle souvent. J’ai présenté quelques propositions pour qu’on regarde autrement cette question de la diversité à l’écran, qu’on abandonne ces représentations identitaires formatées. Des patrons de chaînes se sont intéressés à moi, non pour que je passe à l’écran, mais pour que je les aide pour changer les mentalités au sein même de la télévision. Je suis membre du Comité d’éthique de BFM TV, où l’on a fait quelques progrès, avec des visages nouveaux. Un habitant des quartiers ne se sent souvent représenté par personne, faute de visage ni de modèle positif d’identification. Tout le monde ne peut pas s’identifier à Zinedine Zidane ou à Djamel Debbouze. Cet habitant a peut-être besoin de s’identifier au médecin, à l’avocat ou encore à l’enseignant qui passera à la télévision.
L’élite existe et elle est brillantissime. Elle a dû se battre. Si je regarde mon propre parcours au Sénat, mes collègues ont reconnu mes compétences. Quand je présidais les débats, ils ont oublié mon appartenance. Encore faut-il être visible, alors que pour le moment les élites semblent ne pas exister, faute de la visibilité suffisante. Pendant ce temps-là, les radicaux sont sur les plateaux télévisés et on nous dit qu’ils représentent l’Islam de France. Bien évidemment, on peut penser que l’Islam n’existe que dans sa radicalité et sa médiocrité, puisque ces personnes-là les incarnent totalement.
La question de la discrimination sociale est compliquée, comme l’a constaté la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes. À l’évidence, les discriminations sont aussi des morts sociales. Pour autant, tous les gens discriminés ne vont pas au djihad ! Il y a donc autre chose. La question est plutôt celle de l’humiliation de tous les musulmans du monde, comme en atteste la diversité des provenances géographiques des recrues de Daesh. Dans le logiciel d’un musulman, lorsqu’on détruit Bagdad puis Damas, c’est comme si l’on tuait pour la seconde fois les Omeyyades et les Abbassides. Quelque part, on lui dit : « Tu n’existes pas, tu n’as jamais existé et tu es un moins que rien. » Je pense que les conditions de vie sont un terreau, car les personnes inactives sont plus facilement identifiables et sont des cibles privilégiées pour la propagande, à l’inverse des personnes occupées. Mais cet aspect ne me paraît pas principal, il y a manifestement autre chose.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. – Que fait-on des 50 % de convertis ?
Mme Bariza Khiari. – C’est vrai, le rapport à l’idéologie se pose également. Dans ma jeunesse, nous avions le choix entre plusieurs idéologies. Celles-ci sont aujourd’hui tombées et il n’y a plus de sens. On ne donne plus de sens à la vie ni à l’avenir. Comme le faisait remarquer Olivier Roy, Daesh représente la seule offre idéologique disponible sur le marché. Ces convertis cherchent du sens ainsi qu’une chaleur humaine qu’ils n’ont peut-être plus dans leur vie familiale, car les familles se décomposent et se recomposent. Sans être une spécialiste de la question, c’est ce que je ressens actuellement.
M. Michel Amiel. – Je vais reposer la même question qu’à M. Antoine Sfeir, car je suis resté un peu sur ma faim. Pourquoi l’Islam ? Vous avez évoqué un âge d’or initial suivi par une ère d’obscurantisme. Vous avez ensuite évoqué l’Islamophobie savante. Il y a quelques années est sorti un ouvrage de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel. Ce livre a déchaîné les passions, ce qu’on n’aurait guère pu imaginer pour un ouvrage aussi érudit. Il semble donc que l’Islam a bien une place particulière dans nos sociétés. Par ailleurs, est-ce que le terrorisme musulman, qui est un phénomène mondial, existerait sans les pétrodollars ? En effet, il y a eu, par le passé, des groupes terroristes, comme la Bande à Baader ou les Brigades rouges. Mais ils ont fait long feu, alors que le terrorisme Islamique perdure, du fait qu’il est financé dans la durée. Les relations entre un phénomène religieux et terroriste ainsi que les finances qui l’alimentent, me paraissent devoir être abordées.
M. François Grosdidier. – Après avoir entendu notre collègue M. André Reichardt, je regrette que la thématique de notre mission ne soit pas consacrée à l’organisation de l’Islam de France, au lieu de l’Islam en France. Durant mes vingt ans de mandat parlementaire, je constate que nous n’avons jamais pu, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, traiter le fond du problème de l’Islam et de son organisation en France. C’est bien que nous en parlions aujourd’hui et que nous recentrions le débat sur l’organisation elle-même. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt ce qui a été dit sur le hallal et la nécessité de réglementer les ressources financières, ainsi que sur la Fondation des oeuvres de l’Islam de France qui se révèle être, jusqu’à présent, un échec complet ! Rien ne se passe pour différentes raisons ; mais on y retrouve les mêmes divisions et les mêmes acteurs qu’au sein du Conseil national du Culte musulman. Il faudra, à un moment ou un autre, aller beaucoup plus avant sur cette question de la grande division de l’Islam de France, elle exige que nous approfondissions suffisamment nos travaux pour parvenir à des propositions et aider l’Islam de France à sortir de sa pauvreté qui n’est pas intellectuelle, mais financière, et qui le place sous la totale dépendance de financements étrangers dont l’influence n’est pas forcément positive. Notre mission n’aboutira et ne fera avancer les choses qu’à cette condition. Il faudrait ainsi cerner la part des financements étrangers dans l’apparition du Djihadisme et la création de son vivier de combattants. Quelle est la part des discriminations sociales et celle des conflits internationaux dans ce phénomène ? Il incombera à notre mission de formuler des propositions : votre audition nous a permis de dégager des pistes, à nous de les approfondir.
Mme Evelyne Yonnet. – Beaucoup de choses ont été dites. S’agissant de la télévision, je me souviens d’une émission très intéressante du service public diffusée le dimanche matin, qui retraçait l’histoire de l’Islam dans le monde. Les intellectuels sont toujours mis de côté, à l’instar ce que qui s’est passé en Algérie dans les Années 90. Ma question est simple : parmi les cinq piliers se trouve la Zakat. Or, nous voyons des musulmans, tous les samedis et dimanches, faire la quête sur les marchés afin de financer la mosquée qu’on projette de construire dans ma ville. C’est tout de même très lourd pour un Musulman de donner 2,5 % de ses avoirs ! Tous les musulmans le font-ils et si tel est le cas, est-il encore nécessaire de réfléchir au financement des lieux de cultes en France ? C’est tout de même une vraie question car, à partir du moment où les collectivités territoriales mettent à disposition un terrain, il n’y a plus de financement public possible, à moins de solliciter ceux des pays étrangers mentionnés précédemment. Avant votre audition, je ne savais pas que la Zakat était aussi stricte, d’autant que les musulmans de notre département ne sont en général pas très riches.
Mme Bariza Khiari. – L’Islam est une matière inflammable en France, car on l’utilise à des fins politiques. Chaque fois qu’il y a une élection, les partis politiques s’en emparent, dans le contexte de montée des populismes qui se nourrissent de ce type de difficultés. Nous sommes tous dans des partis politiques et nous savons ce qui peut en être fait. L’ouvrage évoqué était absolument abominable et un contre-ouvrage a même été rédigé par des Normaliens pour montrer ce que l’Islam a apporté au monde.
S’agissant des groupes terroristes qui sévissaient auparavant en Europe, ils ont fait long feu faute d’argent, c’est tout à fait exact. Dans le cas du terrorisme islamiste, la cagnotte fonctionne soit avec les moyens que nous avons évoqués tout à l’heure, soit par le travail clandestin, le petit banditisme et le commerce informel. Daesh rémunère mensuellement ses recrues destinées pourtant à une mort certaine. Lors d’une précédente audition, le Ministre de la défense nous indiquait que les pertes essuyées par les combattants de Daesh étaient immédiatement compensées. On se pose ainsi la question de l’attractivité de Daesh : pourquoi la coalition n’utilise-t-elle pas les musulmans dits modérés pour travailler à un contre-discours idéologique face aux radicaux ? Il y a vraiment tout un travail à mener dans la durée. La question des modèles positifs d’identification se pose avec acuité dans les médias et nos sphères politiques. Les musulmans « normaux » ne sont pas entendus, on ne leur tend pas le micro et, par voie de conséquence, ceux qui ont réussi ne peuvent donc pas faire rêver les jeunes des quartiers ! Un jeune qui devient député, conseiller régional ou figure sur une liste, à moins qu’on l’utilise pour le caïdat colonial et non pour ses compétences, fait avancer la diversité.
Je n’ai pas beaucoup parlé de l’organisation, car c’est un sujet en soi. Le CFCM a été construit difficilement, sur le modèle choisi pour les Juifs de France par Napoléon. Ce n’est pas vraiment une réussite, car dans l’Islam sunnite, il n’y a pas de clergé, ce qui pose déjà certaines difficultés. En outre, cet Islam consularisé, qui dépend des pays d’origine, me semble problématique. Il faut couper le lien ; ça devrait être possible avec une nouvelle génération de musulmans qui sont plus indépendants vis-a-vis du pays d’origine. Que fait le CFCM ? On a créé des notables qui parlent aux institutions et aux Pouvoirs publics, mais plus aux musulmans. Ces gens-là ne parlent pas à leurs ouailles. C’est une réelle difficulté à laquelle s’ajoute celle de la formation des imams, dont certains ne parlent pas couramment le français et ne connaissent pas très bien nos usages.
Nous pouvons former des imans dans la zone concordataire, qui est une singularité de notre république laïque. Pour le moment, nous avons délégué leur formation à Rabat, ce qui n’est pas une mauvaise chose, car le Maroc demeure le réceptacle de cet Islam européen. Le Roi du Maroc, qui est commandeur des croyants, applique un Islam du juste milieu. Des professeurs y expliquent la laïcité. Mais nous pourrions très bien réintégrer cette démarche de formation en France dans un espace concordataire !
Mais ça suppose aussi des moyens, avec le soutien de la Fondation des oeuvres de l’Islam dont l’idée initiale est, me semble-t-il, tout à fait pertinente. Il faut à sa tête un banquier venu de la sphère de l’Islam, qui soit capable de rechercher des fonds et d’étudier des projets à financer, avec à ses côtés des personnalités qualifiées. Elle pourrait aussi financer des activités culturelles.
En termes d’organisation, on peut donc mieux faire.
Les musulmans pieux respectent la Zakat. Je me souviens de mon père qui calculait le montant de tous les comptes des membres de la famille, ainsi que celui de l’intérêt, pour sortir la Zakat. 2,5 % c’est lourd, tout de même, et les commerçants doivent également donner 2,5 % du montant de leur stock, sauf s’il s’agit d’un stock périssable. À cela s’ajoutent également les impôts ! Mais si vous faîtes appel à la charité des musulmans pour aider à construire un Islam spirituel, libre et responsable, vous aurez du monde !
Mme Corinne Féret, présidente. – Je vous remercie, ma chère collègue, pour votre intervention et toutes ces précisions.
Mme Bariza Khiari. – J’ajouterai juste que mon texte intitulé « Soufisme : spiritualité et citoyenneté » a été repris dans un ouvrage des Presses universitaires de France qui mérite d’être consulté.News
