Faut-il interdire l’UOIF et Pegida ?

Comment réagir face à deux mouvements radicaux se jouant de la démocratie pour contrer ses principes? C’est une question aussi brûlante que délicate.

Ce week-end du 6 février 2016 se tenait, d’un côté à Lille, une rencontre intégriste sous la bannière de l’UOIF. De l’autre, des manifestations racistes, à Calais et dans d’autres villes d’Europe, sous la bannière de Pegida. Deux visages de la radicalité, de l’incitation à la haine, mais qui ne représentent pas exactement les mêmes défis, au regard de la loi et de l’opinion publique.

Dans le cas de Pegida, nous ne sommes pas seulement, comme l’écrivent de nombreux journalistes, face à un mouvement « islamophobe » (littéralement peur de l’Islam). Nous sommes face à un mouvement raciste et xénophobe, anti-migrants et anti-musulmans. Ce qui est bien plus grave.

À Dresde, où le mouvement a été fondé, Pegida a rassemblé 5000 personnes. En France, il séduit beaucoup moins, très peu de troupes même, au vu du contexte. Essentiellement celles que l’on a vu à l’œuvre lors de « l’Apéro saucisson pinard » contre les prières de rue: l’écrivain Renaud Camus, les Identitaires et leurs alliés anti-musulmans de Riposte laïque.

Ils étaient moins de 200 à Montpellier, où la manifestation était autorisée, et beaucoup moins à Calais, où la manifestation était interdite pour risque de « trouble à l’ordre public ». Notamment par crainte de confrontations avec les réfugiés ou des opposants. Pegida ayant bravé l’interdit, plusieurs de ses militants, dont un général à la retraite, ont fini au poste. Bien sûr, la fachosphère crie au scandale. Et même au « deux poids, deux mesures ».

L’UOIF contraint de faire profil bas

Car pendant ce temps, à Lille, la Rencontre annuelle des Musulmans du Nord de L’UOIF (l’Union des organisations islamiques de France) a pu se tenir, mais sans ses invités les plus sulfureux…

Les prédicateurs les plus extrémistes, ceux incitant au meurtre des apostats, des homosexuels, à la haine des juifs, ou ceux critiquant la coalition contre Daech, ont été décommandés… Par les organisateurs, mais sur pression du ministère de l’Intérieur. Bernard Cazeneuve a prévenu qu’il ferait poursuivre le moindre propos sortant du cadre de la liberté d’expression. Pour le reste, le Congrès a bien eu lieu. Car contrairement à ce que l’on peut penser, l’Etat d’urgence ne permet pas d’interdire un rassemblement, fût-il radical. Surtout lorsqu’il se tient dans un cadre privé, sans risque de trouble à l’ordre public, et non, comme Pegida, sur la voie publique.

Ce qui ne doit pas empêcher ni la vigilance, ni d’en débattre. L’alerte est venue de Mohamed Louizi. Un homme qui connaît bien ces rencontres du Nord puisqu’il a milité à l’UOIF, avec les frères musulmans de Lille, pendant des années. Il faut absolument lire son livre, Pourquoi j’ai quitté les frères musulmans, paru récemment aux éditions Michalon. Il démontre, avec une extrême précision, textes et vécu à l’appui, ce que nous sommes quelques-uns à dénoncer depuis des années. À savoir qu’il existe un double discours structurel, pensé et théorisé, au sein de cette confrérie militante très particulière que sont les Frères musulmans. Ceux que l’on appelle parfois les trotskistes de l’islam. Capables de dénoncer les attentats et l’Etat islamique côté face (les Frères musulmans et Daech se détestent et n’ont pas du tout la même vision de comment cheminer vers un Etat islamique). Tout en initiant une génération à l’islam le plus radical côté pile.

Le double discours structurel des Frères musulmans

Certains passages du livre de Mohamed Louizi sont franchement ravageurs pour l’UOIF et pour Amar Lasfar, l’homme qui représente La Ligue islamique du Nord et la mouvance frériste dans la région.

Il raconte par exemple la cérémonie où l’auteur a prêté secrètement allégeance aux Frères en sa présence. Un modèle d’obéissance absolue, qui, une fois que l’on intègre les préceptes d’Hassan Al Banna, le fondateur égyptien des Frères, n’exclut plus de passer au jihad armé si une société résiste au projet de radicalisation, culturelle et politique, menée patiemment par le mouvement, ses associations et ses écoles.

Un projet qui avance grâce à la complaisance d’élus locaux, comme à Marseille, Bordeaux ou Lille. Mais aussi bien sûr, grâce au soutien national apporté par Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a institutionnalisé l’UOIF au sein du Conseil français du culte musulman.

Les attentats de 2015 vont peut-être changer la donne. C’est en tout cas sous la gauche, pour la première fois, que le ministère de l’Intérieur hausse le ton vis-a-vis de l’UOIF.

Est-il possible ou souhaitable de faire plus?

Aux Emirats Arabes Unis, l’UOIF est considérée officiellement comme organisation terroriste. La démocratie française, elle, doit convaincre l’opinion publique avant d’interdire une organisation. C’est plus facile à faire avec les groupes d’extrême droite comme Jeunesses nationalistes, dissout il y a trois ans au titre de la loi votée contre les Ligues après le 6 février 1934. Ce serait beaucoup plus difficile avec l’UOIF, qui dissimule ses objectifs et laisse la radicalité ouvertement physique à d’autres. Avec un double risque.

Si la République interdit trop, elle trahit la démocratie et donc elle-même. Si elle se laisse piétiner, elle laisse le champ libre à ceux qui, ne croyant plus à la force de la loi, finiront par répondre à la haine par la haine.

Caroline Fourest

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