Faut-il interdire l’UOIF et Pegida ?

Comment réagir face à deux mouvements radicaux se jouant de la démocratie pour contrer ses principes? C’est une question aussi brûlante que délicate.

Ce week-end du 6 février 2016 se tenait, d’un côté à Lille, une rencontre intégriste sous la bannière de l’UOIF. De l’autre, des manifestations racistes, à Calais et dans d’autres villes d’Europe, sous la bannière de Pegida. Deux visages de la radicalité, de l’incitation à la haine, mais qui ne représentent pas exactement les mêmes défis, au regard de la loi et de l’opinion publique.

Dans le cas de Pegida, nous ne sommes pas seulement, comme l’écrivent de nombreux journalistes, face à un mouvement « islamophobe » (littéralement peur de l’Islam). Nous sommes face à un mouvement raciste et xénophobe, anti-migrants et anti-musulmans. Ce qui est bien plus grave.

À Dresde, où le mouvement a été fondé, Pegida a rassemblé 5000 personnes. En France, il séduit beaucoup moins, très peu de troupes même, au vu du contexte. Essentiellement celles que l’on a vu à l’œuvre lors de « l’Apéro saucisson pinard » contre les prières de rue: l’écrivain Renaud Camus, les Identitaires et leurs alliés anti-musulmans de Riposte laïque.

Ils étaient moins de 200 à Montpellier, où la manifestation était autorisée, et beaucoup moins à Calais, où la manifestation était interdite pour risque de « trouble à l’ordre public ». Notamment par crainte de confrontations avec les réfugiés ou des opposants. Pegida ayant bravé l’interdit, plusieurs de ses militants, dont un général à la retraite, ont fini au poste. Bien sûr, la fachosphère crie au scandale. Et même au « deux poids, deux mesures ».

L’UOIF contraint de faire profil bas

Car pendant ce temps, à Lille, la Rencontre annuelle des Musulmans du Nord de L’UOIF (l’Union des organisations islamiques de France) a pu se tenir, mais sans ses invités les plus sulfureux…

Les prédicateurs les plus extrémistes, ceux incitant au meurtre des apostats, des homosexuels, à la haine des juifs, ou ceux critiquant la coalition contre Daech, ont été décommandés… Par les organisateurs, mais sur pression du ministère de l’Intérieur. Bernard Cazeneuve a prévenu qu’il ferait poursuivre le moindre propos sortant du cadre de la liberté d’expression. Pour le reste, le Congrès a bien eu lieu. Car contrairement à ce que l’on peut penser, l’Etat d’urgence ne permet pas d’interdire un rassemblement, fût-il radical. Surtout lorsqu’il se tient dans un cadre privé, sans risque de trouble à l’ordre public, et non, comme Pegida, sur la voie publique.

Ce qui ne doit pas empêcher ni la vigilance, ni d’en débattre. L’alerte est venue de Mohamed Louizi. Un homme qui connaît bien ces rencontres du Nord puisqu’il a milité à l’UOIF, avec les frères musulmans de Lille, pendant des années. Il faut absolument lire son livre, Pourquoi j’ai quitté les frères musulmans, paru récemment aux éditions Michalon. Il démontre, avec une extrême précision, textes et vécu à l’appui, ce que nous sommes quelques-uns à dénoncer depuis des années. À savoir qu’il existe un double discours structurel, pensé et théorisé, au sein de cette confrérie militante très particulière que sont les Frères musulmans. Ceux que l’on appelle parfois les trotskistes de l’islam. Capables de dénoncer les attentats et l’Etat islamique côté face (les Frères musulmans et Daech se détestent et n’ont pas du tout la même vision de comment cheminer vers un Etat islamique). Tout en initiant une génération à l’islam le plus radical côté pile.

Le double discours structurel des Frères musulmans

Certains passages du livre de Mohamed Louizi sont franchement ravageurs pour l’UOIF et pour Amar Lasfar, l’homme qui représente La Ligue islamique du Nord et la mouvance frériste dans la région.

Il raconte par exemple la cérémonie où l’auteur a prêté secrètement allégeance aux Frères en sa présence. Un modèle d’obéissance absolue, qui, une fois que l’on intègre les préceptes d’Hassan Al Banna, le fondateur égyptien des Frères, n’exclut plus de passer au jihad armé si une société résiste au projet de radicalisation, culturelle et politique, menée patiemment par le mouvement, ses associations et ses écoles.

Un projet qui avance grâce à la complaisance d’élus locaux, comme à Marseille, Bordeaux ou Lille. Mais aussi bien sûr, grâce au soutien national apporté par Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a institutionnalisé l’UOIF au sein du Conseil français du culte musulman.

Les attentats de 2015 vont peut-être changer la donne. C’est en tout cas sous la gauche, pour la première fois, que le ministère de l’Intérieur hausse le ton vis-a-vis de l’UOIF.

Est-il possible ou souhaitable de faire plus?

Aux Emirats Arabes Unis, l’UOIF est considérée officiellement comme organisation terroriste. La démocratie française, elle, doit convaincre l’opinion publique avant d’interdire une organisation. C’est plus facile à faire avec les groupes d’extrême droite comme Jeunesses nationalistes, dissout il y a trois ans au titre de la loi votée contre les Ligues après le 6 février 1934. Ce serait beaucoup plus difficile avec l’UOIF, qui dissimule ses objectifs et laisse la radicalité ouvertement physique à d’autres. Avec un double risque.

Si la République interdit trop, elle trahit la démocratie et donc elle-même. Si elle se laisse piétiner, elle laisse le champ libre à ceux qui, ne croyant plus à la force de la loi, finiront par répondre à la haine par la haine.

Caroline Fourest

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Tariq Ramadan est-il Frère musulman ?

Ce passage démontre la fidélité de Tariq Ramadan à la pensée de Hassan Al Banna et aux Frères musulmans. Il est commenté par Antoine Sfeir, qui a bien connu Tariq Ramadan et gagné un procès contre lui…

Jeudi 17 décembre 2009, l’émission « Sur les docks » de FRANCE CULTURE diffusait « Tariq Ramadan et son double ». Un documentaire audio de Caroline Fourest qui, après des années d’enquête et son livre sur Frère Tariq, achève de démontrer ici son double discours.

Pour écouter l’ensemble du documentaire.

Pour aller plus loin

TARIQ RAMADAN ET SA DRÔLE DE THÈSE SUR HASSAN AL-BANNA

Tariq Ramadan et sa drôle de thèse sur Hassan Al-Banna

06.02.2016Caroline Fourest

Ce passage porte sur les diplômes de Tariq Ramadan. Il se présente comme universitaire. Après avoir été simplement intervenant musulman à Genève, il dirige une chaire islamique financée par le Qatar à Oxford. Son diplôme repose sur une thèse apologétique sur Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, à l’époque refusée par son directeur de thèse, Charles Genequand, spécialiste du monde arabe à l’université de Genève…

Jeudi 17 décembre 2009, l’émission « Sur les docks » de FRANCE CULTURE diffusait « Tariq Ramadan et son double ». Un documentaire audio de Caroline Fourest qui, après des années d’enquêtes et son livre sur Frère Tariq, achève de démontrer ici son double discours.

Pour écouter l’ensemble du documentaire

Pour aller plus loin

LES AMIS INTÉGRISTES DE JEREMY CORBYN

Les amis intégristes de Jeremy Corbyn

14.09.2015 Caroline Fourest

Faut-il se réjouir de la victoire de Jeremy Corbyn? La gauche radicale parle de « tremblement de terre ». D’autres y voient, au contraire, un suicide politique.

Tout dépend, en fait, de l’angle sous lequel on regarde Jeremy Corbyn. Vu sous l’angle économique uniquement, celui de la plupart des journaux, sa victoire a de quoi réjouir. Il existe encore une gauche capable de défendre l’Etat-providence en Angleterre.

Le nouveau leader du parti travailliste est fermement opposé aux politiques d’austérité. Il prône même des renationalisations, dans le secteur de l’énergie et des chemins de fer. C’est très rafraîchissant après tant d’années de dérégulations et de privatisations, sous Margaret Thatcher ou Tony Blair.

L’élection de Corbyn peut être vue comme une mise à mort du blairisme. Le signe qu’après Syriza et Podemos, il est possible de rêver d’une Grande-Bretagne qui ne pense pas qu’à torpiller l’Europe politique mais favorise, au contraire, une vraie politique de relance européenne. Ce serait réjouissant si c’était le cas. Mais cette victoire est trompeuse.

L’élection de Jeremy Corbyn ne va pas tuer le blairisme, mais plonger la gauche anglaise dans un très long coma. Car avec lui à la tête des travaillistes, sitôt certaines de ses positions connues du grand public, les conservateurs ont de quoi régner sur le 10 Downing street pour de très longues années.

Soutien aux victimes de l’anti… terrorisme

Les conservateurs se frottent déjà les mains à l’idée de l’affronter, tellement l’homme a accumulé les prises de positions douteuses au fil des années. Il n’est pas question de ses positions économiques.

Cette politique alternative ambitieuse, à contre-courant de beaucoup d’Anglais, mérite d’être débattue et défendue. Il est question de ses prises de positions en matière de politique internationale, de liberté d’expression ou de terrorisme. Des sujets parfois minorés dans le commentaire politique, et pourtant pas vraiment mineurs.

Des associations s’inquiètent par exemple des fréquentations complotistes et antisémites de Corbyn. Il y a ceux qu’il appelle « ses amis »: des cadres du Hamas et du Hezbollah, avec qui il partage de nombreuses tribunes en expliquant que c’est un plaisir et un honneur.

L’entourage de Corbyn le défend en expliquant qu’il ne connaissait pas les convictions négationnistes de deux de plusieurs de ses amis et qu’il appelle tout le monde « ses amis ».

C’est pourtant bien chez ses amis de la Mosquée de Finsbury, l’une des plus radicales d’Europe, reprise tout récemment aux djihadistes par les Frères musulmans, que Jérémy Corbyn a des bureaux… Un « endroit merveilleux » à l’entendre.

Il soutient aussi l’association CAGE, créée par des islamistes pour soutenir les victimes de l’antiterrorisme. Oui, vous avez bien entendu les victimes de l’anti-terrorisme et non du terrorisme. Question de priorité.

La gauche « inclusive » avec les extrémistes

Toujours au chapitre des positions douteuses, Corbyn donne volontiers des interviews à la télévision iranienne et à Russia Today, la chaîne de propagande du régime russe, celle qu’il préfère. Il l’a même décrite comme la chaîne la plus « objective » du paysage audiovisuel. Ce qui en dit long sur sa vision du monde.

En 2006, il manifestait contre la publication des dessins sur Mahomet. En compagnie d’intégristes anglais et à côté de qui nos islamistes à nous ont l’air de soixante-huitards débridés. À part ça, il est tout à fait désolé pour ce qui s’est passé le 7 janvier.

En résumé, Jérémy Corbyn est un pur produit de cette gauche radicale flirtant avec les pires extrémistes de la planète par esprit rebelle ou anti-américanisme primaire.

Sa priorité est moins de réduire les inégalités que de prôner une politique multiculturaliste « inclusive ». Une expression séduisante qu’il faut traduire par l’adhésion au modèle communautariste anglo-saxon, si favorable à la mise en concurrence des communautés aux dérogations intégristes, au détriment de l’égalité-hommes-femmes ou de la laïcité.

Il est assez effarant de se dire que pareilles casseroles ne lui ont pas nui au moment de son élection à la tête des travaillistes. Mais une chose est certaine: cela sera rappelé et fatal aux yeux de l’opinion anglaise lors d’une élection nationale.

Jeremy Corbyn n’a aucune chance de convaincre un large public 

Si la gauche travailliste voulait rester dans l’opposition, elle ne pouvait mieux choisir. Pour certains de ses sympathisants, ce n’est d’ailleurs pas si grave. Quand on est gauchiste dans l’âme et non progressiste, le but n’est pas de convaincre le plus grand nombre d’adhérer au progrès, mais d’avoir raison, seul contre tous, et de pouvoir ainsi conserver sa pureté.

Dans ce domaine, ceux qui défendent une gauche radicale alliée aux intégristes et aux tyrans au niveau international peuvent être tout à fait rassurés. Tant qu’ils seront incapables de proposer une alternative économique sans se défaire de cette forme d’indulgence voire d’aveuglement envers les intégristes ou les dictateurs, ils ne risquent pas de se salir les mains en gouvernant.

Malgré la crise, et tout ce qui lui souffle dans les voiles, cette gauche radicale-là n’attirera jamais la gauche démocrate. Dans une décennie marquée par le risque d’attentats, elle travaille uniquement à faire monter l’extrême droite, sans avoir aucune chance de peser réellement sur le sort de l’Europe, autrement qu’au bord du gouffre et dans le rôle de l’épouvantail.

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TUNISIE : DÉFAITE HISTORIQUE DES ISLAMISTES

Tunisie : défaite historique des islamistes

29.10.2014 Caroline Fourest

Les islamistes ont reconnu leur défaite. Elle est historique et vient démentir ceux qui, parmi les journalistes et les diplomates, n’ont cessé de répéter que les intégristes représentaient la Tunisie véritable. Ceux-là n’ont pas voulu voir la colère, profonde et populaire, contre Ennahdha et ses alliés.

Une photographie plus juste qu’après la Révolution

Le résultat annoncé n’est pas un revirement, mais le retour à une photographie réelle de la Tunisie. Le score des intégristes au lendemain de la Révolution s’expliquait essentiellement par le fait qu’ils étaient à la fois les martyrs les plus connus du régime de Ben Ali et les mieux organisés pour tirer profit de son départ. Les forces laïques s’étaient présentées en ordre très dispersé. Près d’une centaine de listes, parfois inconnues du grand public. Trois ans plus tard, la Tunisie a mûri. Les listes sont toujours nombreuses mais les Tunisiens ont souhaité voter utile pour placer Nidaa Tounes en tête et tirer les leçons de cet éparpillement. Tout valait mieux que le retour au pouvoir des intégristes, leur louvoiement face au terrorisme et leurs tentatives pour inscrire la charia dans la Constitution.

Même si elle a fini par être votée et qu’elle contient à peu près tout et son contraire -la liberté de conscience et le refus de porter atteinte au sacré-, cette Constitution a été adoptée dans un climat très lourd.

Les Ligues dites de protection de la Révolution, longtemps encouragées par la troïka au pouvoir, ont fait régner une terreur toute salafiste… Qui a culminé avec le meurtre de deux figures de la gauche tunisienne anti-islamiste, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Leurs morts, aggravées par la menace terroriste grandissante, ont provoqué un électrochoc dans un pays plongé dans une crise à la fois morale, économique et politique. Une crise qui a contraint les islamistes à quitter le gouvernement jusqu’aux élections, qu’ils espéraient gagner.

L’évolution tactique d’Ennahdha

Le fait que ce parti islamiste ait accepté de quitter le pouvoir pour laisser un gouvernement provisoire organiser les élections législatives n’est pas, contrairement à ce que l’on entend partout, la preuve qu’il ait renoncé à tout objectif d’islamiser la société, de la base jusqu’au sommet. Conformément à la doctrine des Frères musulmans, il s’agit d’un repli stratégique. Ne pas être au pouvoir quand cette échéance législative arriverait était le seul moyen de limiter la casse.

Et encore… Il aura fallu leur tordre le bras, la peur du scénario égyptien et d’assumer la mise en faillite du pays, pour qu’ils rendent les clefs d’un gouvernement qui est allé bien au-delà du mandat pour lequel il avait été nommé. C’est donc un gouvernement de transition qui a permis de mettre la Tunisie sur les rails de ces élections. Elles donnent raison à ceux qui ont cru à l’espoir soulevé par le printemps arabe, malgré le chaos et les difficultés.

Que penser de Nidaa Tounes ?

Béji Caïd Essebsi est un vieux renard de la vie politique tunisienne. Ministre sous Bourguiba, simple élu sous Ben Ali, retiré de la vie politique dans les années 90, il a gagné en popularité pour avoir bien géré, comme premier ministre, l’un des gouvernements provisoires de l’après révolution. Aidé par la peur des islamistes, il a réussi le tour de force de rassembler autour de lui à la fois des anciens du RCD et des gens bien plus à gauche. De ceux qui ont fait la révolution et veulent conserver ses acquis démocratiques, tout en craignant plus que tout les intégristes.

Le fait que Nidaa Tounes arrive en tête va permettre de sauver cette modernité, tout en conservant les acquis démocratiques. Surtout si Nidaa Tounes doit faire alliance avec un parti plus à gauche. Après les débats pour la survie du pays et l’affrontement entre laïcs et intégristes, le pays pourrait enfin connaître des débats plus classiques.

On espère déjà le jour où les Tunisiens pourront véritablement choisir entre un camp conservateur non dangereux, un centre et un véritable camp progressiste. En attendant, le « vote utile » a évité le pire. En chemin, il y aura encore de nombreuses crises politiques, des claquages de porte, des alliances étonnantes et des revirements… Mais c’est la loi de la démocratie. Si Nidaa Tounes parvient à les accepter sans céder à la tentation paternaliste, la Tunisie deviendra, après bien des sacrifices, la démocratie sûre que son peuple et sa société civile méritent.

Caroline Fourest

LA FAUTE ÉGYPTIENNE

La faute égyptienne

26.03.2014 Caroline Fourest

La justice Égyptienne vient de rendre un jugement odieux. Le tribunal d’Al Minya a condamné à mort 529 sympathisants des Frères musulmans pour le meurtre d’un policier. On leur reproche d’avoir contribué, tous ensemble, à cette mort intervenue dans le cadre des manifestations de soutien au président islamiste déchu, Mohammed Morsi, en août dernier.

Ce crime collectif, matériellement impossible, débouche sur une sentence monstrueuse. La peine de mort n’est jamais justifiable. Elle déshumanise toute la société qui l’applique. Mais une peine de mort collective, à l’issue d’un procès collectif et politique, trahit une justice tout simplement sauvage… Au service d’un processus politique inquiétant.

Après le procès absurde contre des journalistes d’Al Jazira, c’est une preuve supplémentaire que ce régime de transition, issu d’un « coup populaire » (soutenu par des millions de manifestants) et non d’un coup d’État, vire à l’État répressif. Il doit rendre, au plus vite, les clefs au peuple, avant de trahir l’espoir de restauration démocratique qu’il a su incarner.

Menace islamiste et démocratie

Quoi que l’on pense des Frères musulmans, sans doute l’internationale la plus dangereuse qui soit à l’échelle du monde, rien ne peut justifier d’utiliser à leur encontre des méthodes qui bafouent aussi grossièrement l’État de droit.

C’est une erreur que trop de gouvernements arabes ont faite et que leurs peuples leur demandent de ne plus faire depuis le printemps démocratique. Le général Sissi, si populaire, devrait entendre le message du peuple qui l’a porté. Avant que sa transition ne transforme une fois de plus les extrémistes des Frères musulmans en martyrs…

Avant de refaire toutes les erreurs que Nasser, en son temps, a commises face aux Frères.

Nasser et les Frères « martyrs »

Menacé par la confrérie (qui lui avait intimé l’ordre d’établir la charia), il a cru qu’on pouvait éradiquer ce danger, bien réel, en violant les droits de l’homme. Procès arbitraires, tortures, sentences collectives… Toute la sauvagerie de la police et de la justice Égyptienne a été mobilisée pour les briser. Elle n’a fait que les renforcer.

Les scènes de centaines de cadres des Frères musulmans mis en cage, puis relâchés (plus radicaux que jamais) ont donné lieu au cercle infernal que l’on sait. C’est en prison que Sayyed Qutb, l’un des cadres des Frères, a théorisé le droit de tuer les tyrans apostats et de passer au jihadisme. D’autres récits de tortures en prison, souvent à base de chiens, ont hanté des générations de jeunes Égyptiens au point de les faire basculer dans l’islamisme le plus radical, par refus du régime autoritaire de Nasser… Pendant que l’opposition démocrate et laïque, sans mosquées pour se réunir ni soutiens financiers étrangers, subissait le double fouet de la répression et de l’isolement.

La suite, nous la connaissons tous. Les cadres radicalisés des Frères musulmans ont essaimé en exil, dans les autres pays arabes et en Europe, où ils ont semé leur poison et lever des troupes pour préparer la revanche.

Dommages collatéraux algériens… et tunisiens ?

Les Algériens ont payé le plus lourd tribut. Tout juste sortis de leur guerre pour l’indépendance, alors que le FLN cherchait à « arabiser » les écoles, le pays manquait de cadres et de professeurs. Le grand frère Nasser s’est fait un plaisir de leur envoyer en priorité des enseignants issus de la confrérie des Frères musulmans, pour s’en débarrasser.

Une génération plus tard, des jeunes algériens formés à apprendre à réciter le Coran par cœur, dans un arabe qui n’était pas le leur, sont devenus non seulement acculturés mais fanatiques et ont ravagé l’Algérie. Des années noires qui ont fait plus de 100 000 morts.

Est-ce le destin funeste que l’Égypte actuelle souhaite à la Tunisie ? Sur les 529 condamnés à mort, seuls 153 sont en état d’arrestation. Les autres sont dans la nature et pourraient bien trouver refuge en Tunisie. Du moins si le président Moncef Marzouki, l’allié historique des islamistes tunisiens, saisit le prétexte des droits de l’homme pour les accueillir à bras ouverts. Ce qui semble se dessiner.

La faute Égyptienne se transformerait alors en fardeau supplémentaire pour la Tunisie, tout juste convalescente et déjà menacée par le retour de ses propres jihadistes partis en Syrie. Le printemps arabe, qui sortait enfin de l’hiver, pourrait replonger. Les Frères musulmans, réorganisés et de nouveau martyrs, pourraient de nouveau le gâter. Et cette fois pour longtemps.

Caroline Fourest

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Le Qatar et son drôle de prédicateur

Le Qatar et son drôle de prédicateur
Le Qatar et son drôle de prédicateur
30.03.2012 Caroline Fourest
Youssef Al-Qaradaoui était attendu comme le messie au congrès annuel de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Cette mouvance sous tutelle idéologique des Frères musulmans a considérablement élargi son audience depuis sa reconnaissance institutionnelle par Nicolas Sarkozy au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Leur mentor vient régulièrement en France. Ce ne sera pas le cas cette année. En raison du contexte dramatique et de l’alerte publique lancée par le journaliste Mohamed Sifaoui. Sous pression, les autorités françaises ont dû le déclarer persona non grata.
Est-il, comme le décrit le communiqué de l’UOIF, un « homme de paix et de tolérance », ou bien un prédicateur incitant à la haine ? Il suffit d’écouter son émission sur la chaîne Al-Jazira ou de lire ses livres pour se faire une idée. De fatwa en consigne, Youssef Al-Qaradaoui justifie de battre sa femme si elle se montre insoumise, admet que l’on puisse brûler les homosexuels pour « épurer la société islamique de ces êtres nocifs », et autorise les attentats kamikazes.
Il est convaincu que le « seul dialogue avec les juifs passe par le sabre et le fusil »et se félicite qu’Hitler ait su les « remettre à leur place ». Avant de poursuivre :« C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des croyants (musulmans). » Il se montre tout aussi impitoyable envers les « ennemis de l’islam » et autorise à les « tuer ». Autant dire que Mohamed Merah aurait approuvé.
Malgré ces sermons, des journalistes et des chercheurs complaisants qualifient parfois le téléprédicateur de « centre en islam », voire de « juste milieu ». Ce qui dénote une vision pour le moins paternaliste et caricaturale de la religion musulmane.
A moins qu’elle ne témoigne d’une forme de bienveillance envers son parrain : le Qatar, avec qui l’UMP, des politiques français et des investisseurs entretiennent les meilleures relations. Le petit émirat s’y connaît en lobbying, mais il présente surtout l’avantage d’offrir un partenaire arabe indispensable lorsque la France et les Etats-Unis souhaitent défaire – à juste titre – des tyrans comme Mouammar Kadhafi ou Bachar Al-Assad. D’où l’ambiguïté, complexe à décrypter, du rôle joué par le Qatar.
D’un côté, il contribue au « printemps arabe » et à la démocratisation, nécessaire pour que les théocrates cessent d’apparaître comme la seule alternative possible aux dictateurs.
De l’autre, il finance les mouvements islamistes capables de profiter de cette démocratisation. Non pas les salafistes les plus caricaturaux (plutôt financés par des mécènes wahhabites), mais les plus stratèges. Comme le Front islamique du salut (FIS) algérien ou Ennahda en Tunisie.
Ces derniers ne veulent pas imposer la charia comme loi civile par la force, mais convaincre de cette nécessité, après avoir gagné la bataille culturelle contre la sécularisation. Reste que ce plan en « étapes » – credo des Frères musulmans – passe par le combat contre les musulmans laïques. Aucun calcul de « realpolitik » ne devrait conduire à les abandonner.
Ne parlons pas de l’islam de France, où rien ne justifie de considérer M. Qaradaoui et ses amis de l’UOIF comme un « juste milieu ». A moins de vouloir faire le jeu de l’intégrisme sous prétexte de lutter contre le djihadisme.
 Caroline Fourest
LE MONDE | 30.03.2012

Tariq Ramadan et les Frères musulmans

Voici la version courte d’un documentaire d’une heure diffusé sur France culture le Jeudi 17 décembre : “Tariq Ramadan et son double”. L’extrait démontre l’appartenance de Tariq Ramadan aux frères musulmans.

Pour écouter le documentaire dans son intégralité en mp3 :
http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/10177-17.12.2009-ITEMA_20208272-0.mp3

Voir aussi
http://freretariq.wordpress.com

Le mur du Caire doit tomber

La révolution fait toujours peur. Celle du monde musulman réjouit autant qu’elle inquiète. Tout le monde pressent son caractère historique. Les uns s’enthousiasment sans penser à demain. D’autres redoutent le changement sans penser aux peuples. Quand l’actualité rejoint l’histoire, personne ne peut prédire la page que nous lirons demain. Cet élan peut déboucher sur une démocratisation et une sécularisation durable comme sur de nouvelles théocraties, déstabiliser le Proche-Orient comme pousser à la paix, raviver l’internationale islamiste comme la démoder.

Nous vivons un tournant comparable à la chute du mur de Berlin. Avec le même espoir et mille incertitudes. A l’époque, des ambassades s’accommodaient fort bien du glacis soviétique. Stable. Une vraie patinoire. Le fendre, c’était prendre un risque. Nous vivons désormais dans un monde multipolaire agité, où la liberté n’est pas allée sans poussée de fièvre, mafieuse, terroriste ou nationaliste. Mais qui regrette le mur de Berlin ?

Il y a peu de chances que nous regrettions ces régimes qui vont tomber. Quand bien même le pire en profiterait.

C’est la crainte exprimée par Benjamin Nétanyahou. Son inquiétude serait plus convaincante s’il avait su profiter de la « stabilité » de l’Egypte pour faire avancer le processus de paix. Au lieu de refuser toutes les concessions faites par l’Autorité palestinienne. Résultat, le processus de paix est enterré, l’Autorité palestinienne discréditée, le Hamas revigoré et la gauche israélienne au fond du trou. En quoi cela pourrait-il être pire ? Le conflit du Proche-Orient pourrit la géopolitique depuis trop longtemps. Il a perdu le droit de justifier qu’on diffère, en plus, la démocratisation arabe.

D’autant que, à part la stabilité, on ne voit plus bien la différence entre ces régimes et des théocraties. A force de vouloir couper l’herbe sous le pied des islamistes, leurs politiques sont tout aussi liberticides. A l’ONU, l’Egypte de Moubarak mène la guerre à la « diffamation des religions ». Dans son pays, le régime fait la chasse aux blogueurs critiquant l’Islam, à ses minorités sexuelles, et protège bien mal ses minorités religieuses. Evidemment, un régime intégriste serait pire. Mais, au moins, l’opposition égyptienne laïque pourrait s’organiser pour résister. Au lieu de devoir faire front avec les islamistes contre un régime intégriste qui ne dit pas son nom. Voilà pourquoi il faut souhaiter le changement. Pour avancer.

Cela n’interdit pas de redouter le rôle joué par les Frères musulmans en cas de démocratisation. Nous parlons d’une internationale d’inspiration totalitaire. Sa stratégie, mise au point dans les années 1930 par Hassan Al-Banna, lui a permis de gangrener l’Egypte et de se faire des alliés partout, grâce à un sens de la stratégie très élaboré. Une fois le verrou sauté, ils s’organiseront pour appliquer leur slogan de toujours : « Le Coran est notre Constitution. » En jurant sur la démocratie, ou même sur la Bible s’il le faut… Mais c’est là que les pessimistes peuvent se tromper, s’ils ne tiennent pas compte du contexte.

Nous ne sommes plus en 1979. La révolution islamiste a beaucoup déçu. Les jeunes Arabes connectés à Internet ont vu les vidéos de ces jeunes Iraniens massacrés par les sbires d’Ahmadinejad. Ils s’identifient plus à eux, ou aux jeunes Tunisiens, qu’aux « barbus ». Dans les rues, les quelques « Allah akbar »sont noyés par des cris de « liberté ». Aucun régime ne pourra plus ni les censurer ni les couper du monde.

Enfin et surtout, nous avons changé de génération. Le monde de la décolonisation a été celui du désenchantement et de la frustration. Cette crise identitaire a nourri le fatalisme et le fanatisme. Cette page se tourne enfin. Regardez, écoutez, tous ceux qui vous disent : « Je suis enfin fier d’être arabe. » Cette fierté retrouvée peut tout changer.

Caroline Fourest

Le Monde, samedi 5 février 2011