Mediapart, la qatarie ?
11.06.2015 Mohamed Louizi
Il est de notoriété publique désormais que le Qatar achète des « voix » pour l’organisation des tournois sportifs internationaux ; finance des mosquées UOIF ; assure des fonds de roulement à des associations islamistes ; participe aux frais de gestion et de construction d’établissements scolaires privés, sous contrat d’association avec l’Etat ; accueille et finance un courant « Frère Musulman » très puissant depuis plus d’un demi siècle ; achète une chaire universitaire à Oxford, taillée sur mesure, pour y introniser un certain Tariq Ramadan ; abreuve les poulains qatarophiles de ce dernier – Nabil Ennasri & Co – dans l’Hexagone pour défendre des idées et projets islamistes sous couvert de lute contre l’islamophobie ; … Le Qatar s’est offert désormais la « voix » d’Edwy Plenel. Son livre « Pour les Musulmans » vient d’être traduit en arabe (en accès libre ici), publié et offert « gratuitement » par la revue « Doha Magazine » ( مجلة الدوحة ) à ses lecteurs ! Mon maître disait que le « gratuitement » n’existe pas en vérité. Il doit y avoir toujours quelqu’un qui paie l’addition et efface l’ardoise.
Mais à quelles conditions ? s’interrogeait-il. Je n’ai toujours pas compris certains « silences » de Mediapart. Des courriels que j’ai adressés à Edwy Plenel et à d’autres membres de la rédaction de Mediapart restent, pour l’instant, sans réponses. De nombreuses interpellations cordiales, sur certains fils de commentaires, ne semblent pas mériter l’attention des auteurs (Edwy Plenel, François Bonnet, Pierre Puchot …). Je ne sais pas si ces silences trouvent un début d’explication dans cette large diffusion gratuite du livre d’Edwy Plenel dans le monde arabe par un certain vecteur … qatari ?!
Par ailleurs, je ne sais pas si la rédaction de Mediapart a vraiment conscience de certains de ses choix, pour le moins incompréhensibles ?! Connait-elle les vrais desseins d’une politique culturelle qatarie faite de promotion d’un certain « modèle » pour le compte d’une certaine tendance visant à atteindre un certain « but ». Je ne sais pas si elle est au courant des tenants et des aboutissants de cette diffusion gratuite et qu’elles sont/seraient ses contreparties ?

Pour que cela soit clair, je ne suis pas contre la traduction, la diffusion gratuite d’une littérature cosmopolite, dans un monde arabe où la crise de l’édition et celle des livres sont à l’image d’autres crises structurelles, dont souffre le monde arabe, depuis bien longtemps. Bien au contraire, je suis archi pour toute diffusion « gratuite » et surtout « inconditionnelle » et « non orientée », de toute sorte de littérature et pas seulement de celle qui est désormais « instrumentalisée » par des cheikhs pétrodollars conquérants, dans une course de déstabilisation et de « chaostisation » du monde arabe et d’ailleurs. Le livre de Plenel est le quarante-neuvième livre gratuit, édité et diffusé par cette revue du ministère de la culture et des arts qatari. Une série commençant par « Tabaîa Al-Istibdad wa Massariâ Al-Istiâbad» (طبائع الاستبداد و مصارع الاستعباد) – Les traits de la répression et le combat contre l’esclavage – d’Al Kawakibi. L’on y trouve aussi, dans le trente-quatrième rang, la traduction du magnifique texte d’Etienne de La Boétie : « Discours de la servitude volontaire » ainsi que d’autres essais traitant des conditions du renouveau arabe souhaité. Bizarrement, aucun livre gratuit de cette série, ne traite du jeu trouble du Qatar et de son rôle dans ledit « printemps arabe » et dans le financement et le soutien permanent aux « Frères Musulmans » et aux groupes jihadistes. Aucun livre ne traite de la monarchie qatarie et de ses entorses aux droits de l’homme. Même un certain Tariq Ramadan n’a pas le privilège dont bénéficie désormais … Edwy Plenel !
Pour éclairer la lanterne de Mediapart, entre autres, je me chargerai prochainement et « gratuitement » de publier une enquête, en bonne et due forme, documentée et argumentée comme d’habitude, concernant l’historique incontestable de l’installation durable des « Frères Musulmans » au Qatar depuis les années cinquante du siècle dernier. En effet, je proposerai au lecteur de remonter le temps, plus de cinquante années en arrière, pour expliquer les débuts de la confrérie sur ce désert qatari lorsque des « frères » ont fui la répression égyptienne à l’époque de Gamal Abdel Nasser. J’expliquerai comment ces « frères » s’y sont installés et comment ils ont misé sur « l’enseignement », la « culture », les « jeunes » pour préparer et endoctriner les futurs « agents » du Tamkine. Je montrerai, en travaillant sur des documents historiques, que les « frères » sont à l’origine de la création du ministère de l’éducation et de la culture qui, aujourd’hui, diffuse « gratuitement » le livre d’Edwy Plenel. J’expliquerai comment ces « frères » se sont chargés de créer des établissements scolaires, de rédiger des programmes éducatifs officiels et de sélectionner et former les enseignants selon les standards idéologiques de la confrérie. J’expliquerai comment ces « frères » ont réussi à atteindre un tel pouvoir aujourd’hui dont les efforts sont fournis, en permanence, depuis plus d’un demi-siècle. J’expliquerai aussi comment ces « frères » ont fini, vers l’année 1999, par dissoudre, pour des raisons sécuritaires et stratégiques, leur Tanzim qatari, affilié jusqu’à lors aux Tanzim international des « Frères Musulmans » égyptien. Et pourquoi ils ont opté pour une présence discrète, efficace et sans étiquettes, sous forme, disent-ils, d’un courant large de pensée et d’action, très puissant et intelligemment disséminé dans les sphères du pouvoir, à l’échelle de l’Emirat, comme à l’échelle internationale : Médias, Education, Culture, Politique, Economie, Justice, Associations, Instances internationales, etc. Les agents de ce courant frériste, comme Al-Qaradawi et Tariq Ramadan, font toujours le boulot en Orient comme en Occident. Ils instrumentalisent quelques noms, quelques figures – comme celui d’Edgar Morin. Ils séduisent d’autres voix, d’autres alliés, par des procédés dont ils ont le secret : la victimisation à outrance ! La voix de Mediapart n’est plus à capter. Ici, Pierre Puchot nie l’existence de l’islamisme. Il ne qualifie plus, par exemple, le mouvement « Ennahda » tunisien, de Rached Ghannouchi, de parti « islamiste » mais uniquement de « parti musulman ». Comme s’il fallait rajouter le qualificatif « musulman » à un parti politique tunisien où tous les autres partis politiques, 144 au total, revendiquent, d’une manière ou d’une autre, une islamité – religieuse et culturelle – transcendant le jeu politique. L’on ne dit pas, par exemple, le « Parti socialiste … musulman ». Cela va de soit dans une Tunisie où 99 % de la population est considérée musulmane !
Là-bas, au Qatar, la « voix » d’Edwy Plenel est diffusée « gratuitement » et à grande échelle. Comme si les mécènes qataris voulaient primer Mediapart pour ses loyaux services. Si c’est cela l’objet de cette reconnaissance, qui en dit long, par ailleurs, sur certains « silences » assourdissants de Mediapart, maintenant c’est chose faite !
Mohamed Louizi
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