
L’imposture féministe de Nadia Yassine
Parfaitement bilingue, experte en communication, Nadia Yassine, s’est toujours paré, en Occident, avec un certain succès, des atours plus présentables du féminisme et de la modernité. Son projet politique est beaucoup moins glamour: l’instauration, au Maroc, d’une république islamique basée sur la charia.
C’est sa marque de fabrique : le féminisme, islamique s’entend ! C’est aussi sa carte de visite pour séduire l’Occident. « Moderniser l’islam en le féminisant » reste le leitmotiv de la pasionaria du mouvement islamiste marocain. En réalité, il s’agit bien plus d’islamiser le féminisme ! Le livre référence de son père, cheikh Yassine, auquel elle voue une véritable admiration, ne trompe d’ailleurs aucun lecteur sur le projet politique. Le titre ? « Islamiser la modernité » (et non moderniser l’islam). La femme occidentale y est présentée comme détournée de « son cours naturel » (la maternité) pour n’être réduite qu’à être une « poupée maquillée » « jetée en pâture à l’homme, objet consentant de désir ». Une conséquence du « postulat bestial », entendez le postulat darwinien qui fait de nous « des singes évolués traversant cette vie sans destin et sans signification » et contre lequel père et fille s’insurgent.
C’est un peu une constante des modèles totalitaires : la femme n’a pas d’existence en dehors de la famille et la maternité fait la femme. Nadia Yassine aime répéter qu’elle a été la première à déclarer que le Code de statut personnel (ou Moudawana, régissant le droit de la famille au Maroc) n’était pas sacré, et donc réformable. De même, elle aime établir un lien entre le patriarcat et la monarchie héréditaire marocaine, une « néo-patriarchie », convaincue qu’en s’attaquant à l’un, on atteint également l’autre. Pourtant, elle juge « normal » que son mouvement soit dominé par des hommes, « c’est une loi de la nature. Les hommes dirigent toujours les grandes organisations. Mais il y a beaucoup de femmes à la base » rétorque-t-elle à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel en juillet 2007. Elle affirme souhaiter la libération de la femme musulmane. Reste qu’en plein débat sur le Code de la famille, elle a choisi son camp. Alors que le 12 mars 2000 les féministes défilent à Rabat, elle, manifeste aux côtés des islamistes à Casablanca «pour le respect des valeurs musulmanes» et «contre les élites occidentalisées». Elle freinera des quatre fers les réformes du Code de la Famille « pour des raisons politiques » dit-elle, et non religieuses : « C’est bien d’avoir plus de liberté, mais dans la pratique ? Comment une femme peut-elle user de son divorce par exemple, si elle n’a ensuite aucun travail et termine à la rue ? » (Der Spielgel, 3/07/2007). « Nous nous sommes également opposés à la réforme parce qu’elle a émergé après la conférence de Pékin (1), imposée à nous par le monde extérieur. Notre société peut être en difficulté, mais nous devons trouver nos propres remèdes (Monde diplomatique, 2/04/2004). Une fois le texte entré en vigueur en 2004, Nadia Yassine saluera pourtant le nouveau Code de la Famille: « Le discours du roi s’inspire d’une relecture intelligente des textes sacrés. C’est un retour aux sources de la religion » dit-elle. Rédigé de façon un peu schizophrénique, entre la charia et la Déclaration des Droits de l’Homme, le nouveau texte n’a effectivement pas le caractère révolutionnaire que beaucoup ont voulu lui donner. Il est resté un compromis, encore timide, et qui attend toujours aujourd’hui sa version 2. On ne touchera pas de front à la polygamie (rendue toutefois plus difficile), ni au mariage précoce, encore moins à l’épineuse question de l’héritage, même pas mise sur le tapis en commission royale consultative… Pour Nadia Yassine, la charia est d’ailleurs « une source de droit, d’organisation de la société, de liberté ». Même si elle regrette qu’on la réduise à une liste de châtiments corporels et qu’elle aime évoquer l’ijtihâd (2), elle y voit la loi elle-même.
Sous le vernis de la modernité, un autre âge
Son discours a toujours le vernis séduisant de la modernité. Elle parle « féminisme », « droits de l’Homme », « démocratie »… Mais une démocratie sans droits de l’Homme, des droits de l’Homme sans sa dimension universaliste… Des mots creux. « Nous croyons qu’il nous faut un parlement qui prenne des décisions démocratiques, même si elles sont sévères, contre une certaine minorité qui demeure accrochée à la corruption et à la débauche » déclare-t-elle ainsi dans un hebdo marocain. Mais quel sort « sévère » réserve-t-elle à ces minorités ?
Interrogée à Paris devant des lecteurs du Monde sur la question du mariage précoce, elle répond : « Je n’aimerais pas voir ma fille mariée à 14 ans, mais de là à prendre ma réalité pour celle de tous les Marocains… ». Le viol institutionnalisé de mineures n’émeut donc pas notre « féministe » qui s’oppose à une loi sur le sujet. En 2014, le mariage précoce concernait encore 102.197 jeunes filles mineures, parmi lesquelles beaucoup encore de 14 ans et moins. La part des mariages en dessous de l’âge légal a presque doublé en une décennie, passant de 7% en 2004 à près de 12% en 2013.
Nadia Yassine se méfie de l’étiquette « féministe ». Elle ne l’accepte qu’en précisant chaque fois qu’il s’agit d’un féminisme lié à la sphère culturelle musulmane. « Vous pouvez m’appelez féministe si vous voulez. Mais je parle d’une culture différente, islamique » (Der Spielgel, 3/07/2007). « Si c’est pour défendre la cause des femmes, alors je me considère comme féministe. Mais je ne défends pas le féminisme à la Simone de Beauvoir, un féminisme occidental » (Le Journal des Alternatives, Canada, 25/09/2008). « Promouvoir un féminisme à l’occidental revient à se tromper d’histoire et de repères » dit-elle encore lors du congrès sur le féminisme islamique organisé a Barcelone en octobre 2005. Nadia Yassine affiche d’ailleurs un profond mépris à l’égard des féministes laïques, qu’elle appelle « matérialistes », notamment les féministes marocaines « [Elles]ne constituent qu’une partie d’une petite élite, vivant dans une bulle intellectuelle et imitant l’Occident » au contraire des islamistes qui « représentent les gens » (Der Spielgel, 3/07/2007). Finalement, du féminisme en Occident, elle ne retient que les âneries essentialistes des militant(e)s différentialistes : « Je pense qu’effectivement il y a une prédisposition des femmes au dialogue et à une compréhension plus humaine de nos différences » dit-elle par exemple dans la revue italienne Volontari per lo sviluppo (Volontaires pour le Développement) en avril 2007. Il ne semble pourtant pas que la féminisation du Parlement avec l’arrivée massive des femmes islamistes du PJD ait beaucoup fait avancer la cause des femmes…
Si elle est contre la parité, les quotas, ce n’est donc pas parce qu’elle rejette l’essentialisme de genre, mais « parce qu’il ne faut pas imiter l’Occident » et par respect à l’ordre naturel assurant la suprématie masculine. Détourné des principes universalistes, sexiste, à la fois religieux et identitaire, le féminisme de Nadia Yassine, a assurément tout de l’imposture.
(1) : 4ème Conférence mondiale sur les femmes: Lutte pour l’égalité, le développement et la paix
Beijing, 4-15 septembre 1995.
(2) : Effort de réflexion et interprétation des textes fondateurs de l’islam.