BIENVENUE CHEZ LE GRAND SATAN, NADIA YASSINE

Bienvenue chez le Grand Satan, Nadia Yassine

18.12.2015 La rédaction

Soucieux de la stabilité du royaume, les États-Unis restent depuis plusieurs années les observateurs attentifs du premier mouvement islamiste marocain, Al Adl Wal Ihsane. La porte-parole officieuse de l’organisation, Nadia Yassine, qui avait reçu lors de son procès en 2005 le soutien du Département d’Etat, a régulièrement été invitée à intervenir dans les universités américaines.

L’annonce avait surpris au Maroc. En 2005, Nadia Yassine, lors de son procès intenté par le royaume, avait reçu le soutien inattendu du Département d’État américain. Un coup de pouce, au nom de la liberté d’expression, qui n’était évidemment pas passé inaperçu dans le royaume. Fort de ce soutien, la fille du fondateur du mouvement Adl Wal Ihsane (AWI) a vraisemblablement pris un certain plaisir à embarrasser le pouvoir chérifien. En se présentant comme défenseur des valeurs d’ouvertures, de liberté, elle s’est positionnée aussi comme un interlocuteur respectable aux yeux des États-Unis.

Après les multiples fractures opérées par l’administration Bush, Barak Obama avait désiré dès sa prise de mandat en 2009 un changement de cap majeur en matière de relations internationales et un rapprochement avec le monde arabe. Mais le dialogue avec cet aire culturelle se réduisant pour lui à un échange inter-religieux, il s’était surtout traduit politiquement par un rapprochement des islamistes dits « modérés » (Discours d’al-Azhar, au Caire).

Nouvelle idylle ? 

AWI pouvait aussi constituer le poil à gratter utile du royaume. « Les États-Unis n’hésitent jamais à utiliser toute carte qui leur permettrait de préserver le moindre de leurs intérêts » dit Nadia Yassine, mais « nous sommes certainement l’une des dernières cartes que choisirait l’Amérique pour fonder son Grand Moyen-Orient » se défendait-elle dans l’hebdomadaire marocain Al Michaal (18/08.2006). « Puisque la prudence et le réalisme américains s’appuient sur des études et des prévisions rationnelles, elle ne peut que nous considérer comme un acteur politique qu’elle ne peut négliger dans ses calculs impérialistes. Ce qui illustre bien notre popularité effective et non une idylle entre nous et l’Amérique de Bush ».

Les invitations maintes fois réitérées de Nadia Yassine aux Etats-Unis avaient en effet laissé place à quelques commentaires suspicieux, voire de rumeurs conspirationnistes. Nadia Yassine, des accointances avec Washington ? Serait-elle achetée par les États-Unis ? Toujours dans Al Michaal en 2006, Yassine se défendait de ces accusations: « Pourquoi cet intérêt soudain pour les voyages des leaders de la Jamaâ ? Ces voyages ne furent évoqués qu’après la rumeur qui avait suivi mon séjour aux États-Unis et selon laquelle j’étais allée exposer l’idée de la république; ce qui est totalement faux. Mon intervention était dans le cadre d’une université parfaitement indépendante de la politique américaine officielle ». Quitte à retourner la situation quelquefois, Nadia Yassine se défend contre des accusations imaginaires d’anti-américanisme : « Les États-Unis doivent comprendre, quant à eux, qu’il y a des lois historiques qu’ils ne peuvent ignorer, comme ils le font maintenant, sans en payer tôt ou tard le prix. Si vous évoquez encore mes visites aux universités américaines, je vous répondrais que critiquer la politique dévastatrice d’un État ne veut pas systématiquement dire stigmatiser son peuple et haïr sa société civile ».

La tournée des universités

Nadia Yassine s’exprimera dans des universités de Washington, Cambridge, New-York… C’est même une véritable tournée qu’elle réalise du 3 au 20 avril 2006 en collaboration avec les universités de Harvard, Darthmouth, Fordham, Georgetown. Au Darthmouth College (Etat du New Hampshire) elle répond ce 6 avril aux questions d’une pléiade d’éminents chercheurs et spécialistes de l’islam et du Moyen-Orient. Elle est invitée à dîner par l’anthropologue Dale Eickelman et sa femme, qui lui feront même visiter la région de Hanover. Le 14 avril, elle intervient à Harvard à Cambridge (Etat du Massachusetts) sur le thème « Réformes juridiques au Maroc : Opinions d’une féministe marocaine dissidente ». Le titre est élogieuxLa dissidence de Nadia Yassine résiderait-elle dans son féminisme ? [Voir article « L’imposture féministe »]. C’est toujours avec cette carte « féministe » qu’elle se présente aux États-Unis, comme en Europe. Même si le mot la gène, il reste bien plus payant en Occident que le mot « islamiste ». Du reste, Nadia Yassine a toujours le souci immédiat de donner au mot « féministe » une couleur plus identitaire et confessionnelle qui passe finalement plutôt bien dans un pays comme les Etats-Unis où la religion tient une place centrale, y compris dans la vie politique.

A la fin de la conférence d’Harvard, elle signe son livre «Full Sails Ahead » (« Toutes voiles dehors » , publié en 2003). Reçue avec toujours autant d’égards, elle présentera également son livre le 18 avril à l’université de Fordham à New York, avant un dîner en son honneur, puis le 20 avril à l’université Georgetown, à Washington. Son organisation est quelquefois présentée comme un « groupe social », « une organisation caritative » et elle, comme une féministe œuvrant à la « réorganisation de la société marocaine et de la politique sur des bases islamiques et démocratiques ». Le Center Berkeley de l’Université de Georgetown dans sa courte présentation de AWI, parle même des activités du mouvement : « diffusion du message de l’islam, organisation d’événements, fourniture de services sociaux aux pauvres, arrangement de mariages »… 

La Fondation Carter, créée en 1982 par l’ancien président Jimmy Carter, parle même de Nadia Yassine comme d’une « activiste des droits de l’homme », partie prenante des « forces de modernisation » de la société marocaine. Elle participe selon la Fondation à ce « carburant commun », religieux ou laïque de défenseurs des droits de l’homme qui « défie le despotisme» (Nadia Yassine. Meet The Featured Human Rights Defenders, CarterCenter.org). Le mot « réforme » outre Atlantique, agit aussi tel un mot magique, comme nécessairement synonyme de « progrès ». Aussi, Nadia Yassine, préfère-t-elle toujours insister sur la nécessité qu’il y avait de réformer la Moudawana (1), plutôt que d’en détailler les éléments précis. Elle parle ainsi de l’ancien « statut désastreux de la femme marocaine », sans rapport pour elle avec le Coran et la tradition du prophète et rappelle inlassablement qu’elle seule, la première, avait décrit la Moudawana comme pouvant être réformée, car non sacrée.

La stabilité avant tout

Même si les États-Unis affichent un soutien à la démocratie et aux droits de l’homme, ils semblent parallèlement terrifiés par les perspectives démocratiques dans le monde arabe. C’est d’ailleurs une crainte partagée avec la monarchie marocaine qui a perçu le Printemps arabe comme une véritable menace. Pour les États-Unis, le scénario catastrophe serait, dans cette région, l’arrivée par les voies démocratiques d’un régime hostile à leur politique, comme c’est généralement le cas des régimes islamistes.

Sous la gouvernance démocrate, l’intérêt pour le mouvement Al Adl Wal Ihsane n’a pas faibli. Nul doute d’ailleurs que l’état américain a suivi cette imposante marche pour la Palestine organisée ce 25 octobre dernier à Casablanca par WAI et le Mouvement Unité et Réforme (MUR). Il aura certainement aussi scruté les mots de déni du porte-parole d’Al Adl Wal Ihsane face aux dérapages antisémites de cette marche essentiellement composée des militants adlistes. En 2014, le think-tank WINEP publiait un rapport recommandant à l’administration Obama de diriger une réconciliation entre le Palais royal marocain et la mouvance islamiste de WAI. Pour Washington, une normalisation politique serait à même de préserver la sécurité et la stabilité du Maroc. Et c’est bien cette voie qui est privilégiée, celle de la sécurité avant tout : soutenir les régimes autoritaires amis des États-Unis, en poussant à des réformes mineures qui assureront la continuité de ces régimes. La sécurité avant la démocratie en somme. Un choix à double tranchant qui pourrait bien aussi favoriser les mouvements les plus radicaux.

Yann Barte

(1) La Moudawana (ou Code du statut personnel marocain) est le droit de la famille marocain codifié en 1958. Elle a été amendée en 1993, puis plus largement révisée en 2004. C’est l’actuel Code de la famille marocain.

(2) WINEP (The Washington Institute for Near East Policy), fondé en 1985, est un think-tank influent spécialisé sur les questions afférentes au MoyenOrient.

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