
L’islam n’est pas un danger pour la démocratie (Pierre Kanuty)
Pierre Kanuty est Conseiller régional PS Ile-de-France
En France, il a fallu plus d’un siècle pour rallier le catholicisme à la République, mais on a fini par y arriver.
A rebours des constats pessimistes, cela peut marcher avec l’islam. Dans plusieurs Etats, islam et démocratie font bon ménage depuis des décennies et le vivre ensemble comme des formes de sécularisation sont des réalités à observer et à surveiller.
Comme toutes les religions, l’islam est confronté à la tension entre tradition et modernité, entre fondamentalisme et sécularisation, entre radicalité et adaptation à une nouvelle époque.
Les pouvoirs politiques ont su s’en émanciper pour le contrôler, en en faisant un étendard ou un élément d’idéologie comme en Turquie, mais dans les pays dont la population est majoritairement musulmane, si on met de côté l’Iran ou les pétromonarchies, ce n’est pas la religion qui a poussé les dirigeants à dévoyer la démocratie, mais la corruption ou la volonté de confisquer le pouvoir.
Du côté de l’Afrique noire subsaharienne
Le Sénégal, le Mali ou le Niger sont trois exemples utiles car ces anciennes colonies françaises ont bâtit leur Etat sur le modèle français en y intégrant leurs spécificités sans tensions majeures.
Le Président du Niger, le socialiste Mahamadou Issoufou, disait dans un discours d’investiture: « la lutte contre le terrorisme peut contribuer au renforcement et à la modernisation de nos Etats. Un autre facteur peut y contribuer également : il s’agit de la modernisation sociale. Celle-ci nécessitera une renaissance culturelle de notre société qui passe par une libération de l’individu du poids du tribalisme, […] par l’affranchissement de l’individu du carcan de l’ethnocentrisme et du régionalisme et sa protection contre le sectarisme, notamment religieux et contre les risques de radicalisation. L’accent doit être mis sur la responsabilisation de l’individu, le renforcement de sa loyauté par rapport à la patrie et son attachement au bien public. C’est là des conditions nécessaires pour mieux combattre le népotisme, la concussion et la corruption, renforcer la justice, l’égalité et la cohésion sociale. L’Etat doit créer les conditions d’une rupture réelle avec l’obscurantisme en diffusant le savoir partout, à travers notamment une démocratisation poussée de l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. »
Malheureusement, dans l’organisation actuelle du culte musulman en France, les musulmans d’Afrique noire sont marginalisés. Il est vrai que la pression géopolitique qui s’exerce sur les structures de l’islam de France n’a jamais été contrecarrée avec succès, car quand elle n’est pas théologique, elle est financière.
Plus près de nous : du côté de l’Europe centrale et balkanique
On l’oublie souvent, mais il y a des communautés musulmanes européennes depuis des siècles. En Albanie, au Kosovo, en Bosnie, en Macédoine ou encore en Bulgarie qui ne sont pas issus de l’immigration. Une grande partie de cette région fut sous domination austro-hongroise au cours de la seconde moitié du 19e siècle et le pouvoir impérial a légiféré en 1912, par « l’Acte de Reconnaissance » de l’islam après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie.
En 1979, Bruno Kreisky, a installé la Communauté des croyants musulmans d’Autriche (IGÖ) qui a pour missions de donner des cours d’éducation religieuse dans les établissements scolaires publics. Mais, si elle a le droit de recueillir une « taxe d’église » elle n’y a pas recours, pas plus qu’elle ne construit de mosquées.
En février 2015, la loi sur l’Islam, votée par la de coalition SPÖ-ÖVP interdit le financement étranger pour la construction des mosquées. Les imams seront rémunérés par l’Etat. Les principaux enseignements et prêches doivent se faire en allemand. Elle autorise la nourriture hallal et les aumôniers musulmans dans l’armée, les maisons de retraite, les hôpitaux, les prisons et y compris à l’école publique. En revanche, la loi demande aux 450 organisations musulmanes du pays de faire preuve d’une « approche positive de la société et de l’Etat » pour être agréées.
En Albanie, ce sont les élites musulmanes qui ont façonné les institutions de l’Etat avant le communisme. Si l’islam y est historiquement majoritaire, la grande majorité des Albanais de confession musulmane ne sont pas pratiquants et ils ont toujours cohabité avec les chrétiens, ce qui a fait échouer les tentatives saoudiennes ou iraniennes de détourner le renouveau musulman quand la liberté religieuse fut rétablie en 1990.
En Bosnie, la place de l’islam a diminué dans les affaires publiques ou privées. Comme en Albanie, la cohabitation avec les chrétiens a débouché à une sécularisation largement acceptée. Même si les autorités doivent y lutter contre une présence salafiste.
Ces cas européens prouvent qu’on peut conjuguer religion et sécularisation dans un ensemble démocratique. Mais cela ne peut se réussir sans mécanismes de protection qui passent notamment par l’éducation et l’intégration culturelle, économique et sociale.