UOIF : 200 ASSOCIATIONS FANTÔMES

UOIF : 200 associations fantômes

06.06.2015 Fiammetta Venner

Que représente l’Union des organisations islamiques de France ? Médias et politiques s’accordent pour expliquer que l’UOIF est la première représentante des musulmans français et leur accordent une place en fonction de cette a priori. Mais dans la réalité de combien de militants peut-elle se revendiquer ? C’est ce que nous avons voulu savoir.
L’Union des organisations islamiques de France compterait plus de 200 associations. Le conditionnel est de mise car ce chiffre, repris par tous les observateurs, vient de l’Union elle-même et n’a jamais été vérifié. Sur son site internet, l’UOIF diffuse une liste de 59 noms et déclare : « Pour une liste plus complète, nous contacter ». À plusieurs reprises, j’ai demandé à l’UOIF la liste des associations en question. On a fini par me répondre que cette liste était confidentielle. J’ai donc limité ma première enquête à cette liste qui, au fond représente sans doute bien l’UOIF puisqu’elle a décidé d’en faire sa vitrine[1]. Pour la plupart, de toutes petites structures, pensées sur le même mode, afin de représenter l’Union dans une région. Mais encore ? La législation française permet à tout citoyen de demander en préfecture les statuts d’une association légalement déclarée. Ce que j’ai fait pour chacune d’elle. Sur les 59 associations : 12 ne sont répertoriées nulle part, ni en préfecture, ni même dans l’annuaire. Sur les 47 associations restantes, seule une dizaine semble avoir une réalité autre que spectrale.

La plupart des statuts de ces associations satellites sont construits sur la même base. Le statut de membre se perd sous certaines conditions, ce qui est fréquent, mais les motifs possibles d’exclusion restent assez originaux : quasiment toutes s’autorisent la possibilité d’exclure un membre pour apostasie. Pour l’Association des musulmans de Picardie, par exemple : « la qualité de membre se perd par la radiation prononcée par le Conseil d’administration pour défaut d’application de l’Islam et des présents statuts ». L’association Islam sans frontières considère que pour être membre, il faut : « être musulman pratiquant ». On perd son statut de membre en cas de « reniement de valeurs auxquelles se rattache le musulman ». On n’en saura pas plus sur la manière dont l’apostasie est prononcée. En cas de dissolution de l’association, la plupart des statuts prévoient que « les biens mobiliers et immobiliers de l’association seront automatiquement cédés au profit de l’UOIF ». Une autre particularité frappe à la lecture de ces documents : aucune femme n’est présente dans les bureaux des associations (c’est-a-dire au niveau décisionnel). Un autre exclut même qu’une femme puisse être membre. Dans son article 9, elle déclare « toute personne du sexe féminin est exclue de l’association quelque soit son âge ». La formulation est amusante. Le « quel que soit son âge » est rédigé sur le mode d’une formulation non discriminatoire… dans la discrimination. Le fait de parler d’« exclusion » est également amusant. Car pour être exclue, il faut d’abord avoir eu le droit d’intégrer l’association !

D’autres associations, celles où militent des convertis ou des membres de niveau d’études plus élevé, sont dotées de statuts plus élaborés, feignant davantage le respect des principes républicains. C’est par exemple le cas de l’Association des musulmans de Picardie. Le président et le secrétaire sont tous deux enseignants. Le trésorier, Pascal Vanlanduyt, est un converti. L’article 2 des statuts de l’association de l’AMP déclare vouloir « organiser périodiquement des colloques de dialogue interreligieux, des conférences et des débats permettant une meilleure compréhension de l’islam loin de tout fanatisme et extrémisme dénués de fondements. D’établir et d’améliorer les relations avec le monde associatif, (…) de défendre l’islam et les musulmans contre les répercussions de l’amalgame fait entre cette religion de tolérance et l’extrémisme ». À noter, le très joli « loin de tout fanatisme et extrémisme dénués de fondements ». À ne pas confondre avec le fanatisme qui s’appuie sur des « fondements », comme le fanatisme fondamentaliste par exemple…

Plus sérieusement, de nombreuses associations déclarées sont à la limite de la légalité. En effet, selon la loi de 1901, une association doit organiser chaque année une assemblée générale et un compte-rendu, même partiel, doit être envoyé en préfecture. Or presque aucune organisation satellite de l’UOIF n’a rempli cette obligation. Certaines associations revendiquées par l’UOIF n’ont même pas été déclarées en préfecture. C’est le cas, par exemple, de l’Association de l’éducation et l’enseignement d’Ahlluin, ou encore de l’Association socioculturelle et éducative de Thuir. Inconnues au bataillon. Notons cependant que si la loi de 1901 est très souple, elle a le mérite de permettre en échange un certain contrôle : il va de la responsabilité des préfectures de veiller à l’application de la loi et au refus de l’incitation à la haine. La radiation pour « manquements aux principes sacrés de l’islam » — ce qui revient à traiter un membre d’apostat et donc à le désigner à un châtiment qui doit être la mort selon la loi musulmane — pourrait rentrer dans ce cadre. Il en est de même pour des associations n’ayant pas procédé à des élections depuis près de dix ans, alors que ses statuts en imposent une par an[1].

Voilà qui nous amène à la question du nombre : si l’UOIF a gonflé le nombre de ses associations satellites, elle peut tout aussi bien exagérer le nombre de ses sympathisants. Nous le verrons plus bas, son Congrès annuel du Bourget — qui sert de point de ralliement à tous ses adhérents mais aussi à ses sympathisants et même aux curieux — ne réunit pas 60 000 personnes mais plus probablement 10 000. Ce dernier chiffre est incontestablement une estimation large du réseau que représente réellement l’Union des organisations islamiques de France. Ses forces vives, elles, se concentrent autour d’une dizaine d’associations ayant une véritable existence, dont deux mosquées : celle de Lille et celle de Bordeaux.

[1] D’autres associations proches de l’UOIF ont joué à contourner la légalité. C’est le cas de l’Union des jeunes musulmans (UJM), l’association de Lyon sous la houlette de Tariq Ramadan, qui a créé une Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée. Ce qui, comme son nom l’indique, est réservé à des individus et non à des personnes morales, donc aux associations. Mieux, l’UJM peut désormais s’appeler SODELIM mais continuer à percevoir des subventions en tant qu’UJM.

[1] Association culturelle éducative et sportive La Madrassa, A.S.C.C.M.T, Association musulmane Foi et unicité de Sarcelles, Association cultuelle musulmane vietnamienne, Association des Français musulmans de Villiers le Bel, Association éducation culturelle enfants Africains, A.I.A.E.L.A, Association musulmane africaine en France, Association de coopération islamique de la communauté africaine, Association islamique et culturelle du Calvados, Association culturelle musulmane de Saint-Nazaire et sa région, Association musulmane de Sully/Loire, Association culturelle islamique, Association islam sans frontières, Association islamique d’Alençon et sa Région, Association socio-culturelle des musulmans de Haute-Normandie, Association islamique de l’Ouest de la France, Communauté musulmane du Loiret, Ligue islamique du Nord, Association de la mosquée et du Centre islamique de Reims, Association des musulmans de Lorraine, Association islamique clémence, Association des musulmans de Picardie, Association islamique de l’Est de la France, Association cultuelle islamique de Laon, Association des musulmans en Alsace, Association de la solidarité islamique des Ardennes, Association culturelle Islamique de Dole et sa Région, Association islamique, Association solidarité musulmane, Association de l’éducation et l’énseignement, Centre culturel et mosquée des musulmans de Tourcoing, Croissant de l’Islam, Association « ASSALAM », Association espoir, La jeunesse musulmane de France en Bourgogne, Centre culturel islamique de Franche-Comté, Association soleil pour la culture et l’éducation de la jeunesse, Association de la fraternité islamique, Centre islamique, Association musulmane de Saint Chamond, Association action espoir, Association islamique culturelle de la Haute-Loire, Association socioculturelle et éducative de Thuir, Association pour la promotion culturelle des familles d’Orange, Association culturelle islamique, Association d’orientation islamique, Association culturelle les amis du Maghreb, Association des musulmans des Alpes Maritimes, A.C.E.P., Association des musulmans de Libourne, Association des musulmans de la Gironde, Association activités recherches culture et sport, Association des musulmans de Limoges pour la Fraternité, Association des musulmans de la Charente, Association culturelle islamique de la Charente-Maritime, Association des musulmans de la Réole, Association mosquée de Pau

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LE LYCÉE AVERROÈS

Le lycée Averroès

06.06.2015 Fiammetta Venner

Le lycée Averroès se veut l’emblème de l’école privée musulmane. Créé en 2003, il devient lycée sous contrat en 2008. C’est le deuxième établissement musulman sous contrat en France, et le premier proche de l’UOIF

Sur les plaquettes distribuées en 2010, le lycée justifie son existence du fait de la loi interdisant les signes religieux à l’école publique. En réalité, le lycée existe depuis 2003, soit un an avant son vote… Après trois refus d’agrément de l’Education Nationale. Son concepteur, Amar Lasfar, est membre de l’UOIF et imam de la mosquée de Lille-Sud.

Dès 1987, il organise des groupes de soutien scolaire. Une activité qu’il déléguera plus tard au jeune Hassan Iquioussen, un prédicateur connu pour ses propos intégristes. Amar Lasfar est souvent présenté comme le référent à Lille pour les adolescentes voilées. En 1990, il défend une élève voilée au lycée Sévigné à Tourcoing. En 1994, il soutient 15 élèves voilées du Lycée Faidherbe à Lille. Mais Amar Lasfar est aussi un homme d’affaires. Selon Infogreffe, il possède deux sociétés. La première, Salam Tours, est une agence de voyage généraliste dont le chiffre d’affaire se monte à 535 563 € en 2009, avec un bénéfice de 39 000 €. Il a compté jusqu’à 12 employés grâce à des succursales à Lyon et à Caen. Amar Lasfar possède aussi une société de location de logements, qui gère son patrimoine immobilier. Toute son énergie d’entrepreneur est mise au service de la construction du Lycée. D’abord hébergé dans la mosquée, il est prévu que l’établissement déménage ailleurs. Une promesse verbale, faite il y a 2 ans.

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Des enseignants-prédicateurs 

Au lycée Averroès, les enseignants sont bien souvent… des prédicateurs. Hassan Iquioussen fait partie des personnalités qui y donnent des cours d’éthique. Disciple de Cheikh Abdelhamid Kichk, l’idole des Frères musulmans égyptiens, il est très porté sur les formation politique des jeunes militants. Dans certaines de ses cassettes, il met en garde contre ce qu’il appelle l’« intégration par le jambon ». Rien n’est plus détestable à ses yeux que ces Français d’origine maghrébine souhaitant s’intégrer au point de ne plus respecter les interdits de l’islam, comme le fait de ne pas manger de porc. Il compare d’ailleurs ceux qui souhaitent s’intégrer à des prostitués :

«Il y a un frère, il fait beaucoup de politique. Ben vous savez, il mange du jambon, il boit du vin. Il a tout fait. Et là, après 20 ans. 20 ans d’intégration jambon, vous savez ce qu’il a dit. Il l’a dit avec amertume. Il regrette. Il dit : ‘Regarde Hassan. J’ai tout fait, j’ai tout fait pour qu’ils m’acceptent. Tout ? Ça veut dire quoi tout. Ça veut dire, tout ce qui faisait ma personne, mon charme, je l’ai sacrifié. Je me suis prostitué culturellement, intellectuellement, culinairement, vestimentairement. J’ai tout renié. J’ai tout avalé. Et malgré ça, ils m’ont quand même dit : ‘vous n’avez pas votre place en France’’ ».

Iquioussen fait partie de ces prédicateurs qui ont traumatisé les relations homme-femme au sein des quartiers populaires, à force de mettre en garde contre la mixité en dehors du cercle familial : « Une mixité sans limite est haram puissance dix ». Autrement dit, c’est un péché puissance dix. Iquioussen prévient :

« nous sommes responsables devant Dieu avant d’être responsables devant les autres humains et Dieu va nous questionner sur notre comportement. (…) On sera questionné sur le positif et sur le négatif. Et c’est ça qui fait de vous un citoyen extraordinaire ». Or un citoyen « extraordinaire », c’est-a-dire islamiste, ne doit pas aller en boîte de nuit, ni au café, ni même réviser avec des filles : « Ce que font nos jeunes aujourd’hui… ils vont vers le contact. Tu les trouves dans les cafés, dans les boîtes de nuit…. ils vont à la chasse… beaucoup de jeunes vont à l’école pour ça… tout est fait pour attirer l’attention… c’est mauvais, c’est dangereux… aujourd’hui il y a des jeunes qui contournent les interdits islamiques »

Dans une cassette audio sur « La Palestine, histoire d’une injustice », diffusée par les Éditions Tawhid (également éditrice des cassettes de Tariq Ramadan), Iquioussen se répand pendant plus d’une heure sur la vilenie et l’ingratitude constitutives des Juifs depuis l’Antiquité : « Il y a eu beaucoup de prophètes chez les enfants d’Israël car ils oublient souvent. Ce sont des ingrats, un peuple qui a besoin d’être rappelé à l’ordre vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». Qu’importe que l’Islam, par la voix du chroniqueur musulman Tabari, chiffre lui même à 1, 2 millions le nombre de prophètes (dont Moïse), Iquioussen n’est visiblement pas là pour faire un cours d’histoire sur les religions… Il explique notamment qu’Abraham, Moïse et David « étaient des musulmans »… et ce plusieurs siècles avant la naissance de Mahomet ! Il poursuit en expliquant que les Juifs ont provoqué Nabuchodonosor et les Romains par leur arrogance. « La théorie des Juifs dit qu’ils sont le Peuple élu et que Dieu a créé les êtres humains pour les servir comme des moutons, des esclaves ». Mais le meilleur est à venir. La tradition musulmane raconte qu’une juive de la communauté de Médine a tenté d’empoisonner Mahomet (lequel cherche alors à convertir la communauté juive en question). Dieu le protège et le sauve. Et Iquioussen commente : « La femme s’est-elle convertie ? Non. Voyez l’entêtement. Retenez ça parce que vous allez comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Les Juifs n’ont cessé, depuis ce temps, de comploter contre l’islam et les musulmans ». Le prédicateur impute tous les malheurs du monde, en particulier ceux des musulmans, aux Juifs. La scission entre sunnites et chiites serait due « à un Juif yéménite converti pour détruire l’islam de l’intérieur ». La fin du califat, l’âge d’or imaginaire des fondamentalistes, à Mustapha Kemal… décrit comme « un Juif converti hypocritement à l’islam, toujours pour détruire l’islam et les musulmans de l’intérieur ». Ici la paranoïa rejoint le goût de la métaphore : les expressions être « juif » ou « vendu aux Juifs » servent à désigner les traîtres de la communauté musulmane. Ce qui l’amène à évoquer Nasser. Le leader de la cause arabe est qualifié de « traître des traîtres, l’ennemi de la Palestine et de la cause arabe, un suppôt de l’Occident ». Arafat, qui incarne la résistance laïque au détriment des islamistes, en prend aussi largement pour son grade. Le sionisme est d’ailleurs l’occasion de marteler que les Juifs n’ont pas le droit de se plaindre de la Seconde Guerre mondiale puisqu’ils sont directement responsables… de la Shoah. Laquelle ne serait qu’un complot entre les Juifs et Hitler pour justifier l’occupation de la Palestine.

« Les textes aujourd’hui le prouvent. Les sionistes ont été de connivence avec Hitler. Il fallait pousser les Juifs d’Allemagne, de France… à quitter l’Europe pour la Palestine. Pour les obliger, il fallait leur faire du mal ». Heureusement, « le Hamas, avec sa branche armée, fait du bon boulot ».

Dévoilée par Cécilia Gabizon dans Le Figaro du 28 octobre 2004, l’affaire porte un coup à la volonté de l’UOIF de paraître respectable. Iquioussen est prié de se faire discret. Pas au lycée Averroès. Amar Lasfar indique : «c’est une affaire close, car M. Iquioussen a présenté ses excuses et s’est expliqué sur ce dérapage. Il a d’ailleurs enseigné après cela au Lycée Averroès car c’est quelqu’un qui maîtrise bien son sujet ».

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Iquioussen a été chargé les premières années de délivrer le cours Ethique musulmane. Par faute de temps, en 2006, il a démissionné. Il a été remplacé par Fatiha Ajbli. Diplômée d’un DEA de sociologie sur les « convertis », elle est intervenue au congrès de l’UOIF sur le statut de la femme. De 2003 à 2005, elle faisait partie des personnalités qualifiée au CFCM, poussée par l’UOIF. Lors de la crise des otages français en Irak, le 28 août 2004, elle déclare — toute de rose voilée — : « Je refuse que mon foulard soit tâché de sang !» Les images feront le tour du monde. Lors de l’attaque israélienne sur Gaza, elle a publié un poème sur Oumma.com. Fatiha Ajbli est aujourd’hui chargée des cours d’éthique au Lycée Averroès.

D’autres prédicateurs, non moins problématiques, passent par le lycée Averroès pour une conférence occasionnelle. Hani Ramadan, par exemple, est venu faire un cours. Il est le rédacteur de plusieurs brochures de la collection Islam, le saviez-vous ?, des prospectus édités par l’UOIF pour être distribués au Congrès du Bourget et servir de corpus théorique aux militants de base. L’une d’elles, Le Sens de la soumission, insiste sur le fait qu’un bon musulman est totalement soumis à Dieu. L’autre, Islam et démocratie, explique que l’islam est incompatible avec la démocratie telle que l’entendent les occidentaux[1]. Hani Ramadan est hanté par l’idée d’être contaminé par la décadence de l’Occident :

« N’observons-nous pas aujourd’hui encore en effet, que dans nos sociétés modernes, malgré le progrès des sciences et le confort matériel, nous sommes envahis par toutes sortes de maux qui traduisent une dérive constante vers l’adoration du Taghut sous tous ses aspects ? Ne serait-ce qu’au niveau d’une sexualité débridée qui s’exprime dans les relations hors mariage, dans la prostitution, l’homosexualité, le harcèlement, le viol, la pédophilie, l’inceste ? »[2]

Le spectre de la libération des moeurs fait partie de ses obsessions. Dans ses interviews, le directeur du Centre islamique de Genève ne perd jamais une occasion de rappeler qu’en islam « l’homosexualité est une impasse, aussi bien du point de vue de la loi révélée que de la logique : on n’ouvre pas une porte avec deux clés »[3]. En 1998, il a publié un livre, la Femme en Islam, dans lequel il défend le droit à la polygamie comme le meilleur moyen de lutter contre le risque d’adultère et manifeste sa haine vis-a-vis des laïques souhaitant interdire le voile à l’école :

« Le voile, en Islam, est le signe de la soumission de la croyance aux commandements divins. Pourquoi donc vouloir empêcher une jeune lycéenne d’exprimer sa conviction ? La contraindre à se dévoiler, n’est-ce pas refaire le geste de l’inquisition impitoyable et des bourreaux communistes ? (…) Contre les extrémistes laïcs, l’islam restera en tous les cas une école de sagesse et de tolérance : ‘Pas de contrainte en religion’, dit le Coran. Leçon que les tortionnaires laïcs ne nous ont pas apprise ! »[4]

Hani Ramadan a été congédié de l’Éducation nationale suisse qu’après avoir publié une tribune dans le journal Le Monde, dans laquelle il justifie la lapidation comme « une punition, mais aussi une forme de purification » et le sida comme un châtiment divin :

« Qui a créé le virus du sida ? Observez que la personne qui respecte strictement les commandements divins est à l’abri de cette infection, qui ne peut atteindre, à moins d’une erreur de transfusion sanguine, un individu qui n’entretient aucun rapport extraconjugal, qui n’a pas de pratique homosexuelle et qui évite la consommation de drogue ». Moralité : « Les musulmans sont convaincus de la nécessité, en tout temps et tout lieu, de revenir à la loi divine »[5].

Autre intervenant, Cheikh Mohamed Hassan. En septembre 2010, il est venu parler aux élèves d’éthique musulmane. Le contenu du cours est confidentiel. Mais quand on écoute les prêches de Cheikh Mohamed Hassan il y a de quoi s’interroger. Il explique par exemple que « la grippe porcine » ou « le sida » ne sont que les conséquences des choix des infidèles.

«La communauté internationale n’est infectée que parce qu’elle s’est égarée de la voix d’Allah et du prophète. »[6]

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Un lycée « inspiré de l’orthodoxie musulmane » 

Dans ses propres brochures, le ton est donné :

« Le caractère propre du lycée Averroès est circonscrit à un ensemble de valeurs et de comportements inspirés de l’orthodoxie musulmane. »

La mosquée Al Imane est la mosquée de référence du lycée. On y trouve des liens vers l’UOIF et vers le site de Tariq Ramadan. On ne peut pas être plus clair. Ce qui fait dire au groupe d’experts réunis par le PS en vue de rédiger une brochure sur les « inquiétantes ruptures de Nicolas Sarkozy » que le Lycée Averroès est le « premier lycée privé musulman fondamentaliste ». La citation exacte est : «Le projet sarkozyste réjouira l’UOIF dont le représentant lillois, Amar Lasfar, a créé le premier lycée privé musulman fondamentaliste, le lycée Averroès. Après avoir soutenu les jeunes filles voilées dans les collèges et lycées publics, cette organisation a désormais l’ambition de créer des établissements islamistes pour les accueillir.» Interrogé par 20 minutes, Amar Lasfar fulmine « On ne va pas se laisser faire (…) En période préélectorale, les politiques se permettent les coups les plus bas, poursuit-il. L’islam devient un enjeu électoraliste. » Martine Aubry, qui connaît bien Amar Lasfar en tant que maire de Lille (elle s’est rendue aux meetings de la Ligue islamique du Nord qu’il dirige), refuse de s’exprimer publiquement. Au journal local de France 3, la présentatrice dira tout de même qu’elle désapprouve le qualificatif donné par le rapport national du PS. Bernard Roman, cité par Marianne, déclare : «Je ne vois pas sur quoi on se base. Je connais la mosquée de Lille Sud et je n’ai pas le sentiment qu’elle soit noyautée par des Islamistes. Alors quels indices pour le lycée Averroes ? C’est un peu osé». Il s’agit de Gilles Pargneaux, premier secrétaire fédéral du Nord qui s’exprime publiquement. Il parle de « maladresse » et appelle à « dissocier l’enseignement donné [à Averroès] et les positions de l’UOIF qui, elles, sont incompatibles avec l’esprit laïque ».

Difficile à suivre. Amar Lasfar est le représentant de l’UOIF. Certains enseignants du lycée sont à l’UOIF. On y diffuse « un ensemble de valeurs et de comportements inspirés de l’orthodoxie musulmane ». Mais il ne faut pas amalgamer le lycée avec l’UOIF[7]!

Visiblement, certains élus du Nord ne demandent qu’à jouer sur les mots… Il est vrai que les créateurs de l’école, affiliés à l’UOIF, font tout pour montrer un visage tolérant. Les photos des élèves montrent des jeunes filles voilées et d’autres pas. Dans sa plaquette, le lycée explique son existence par la volonté de permettre à « leurs enfants de vivre harmonieusement leur double identité : française et musulmane » Filles et garçons sont séparés pour les moments de détente. Il existe un réfectoire pour les filles, un autre pour les garçons. Pour le reste, le lycée est un succès. En 2008, il obtient 100% au bac. L’occasion pour la préfecture et la mairie de Lille d’adresser un message de félicitation au directeur qui a, comme de nombreux directeurs d’établisssements privés, choisi de ne présenter que ceux qui réussiraient… Makhlouf Mamèche, directeur adjoint le dit avec délicatesse. « Ce qui fait notre fierté, c’est le suivi de tous nos élèves jusqu’à leur réussite. » Des louanges que reproduiront les sites islamistes.

Sur l’un d’entre eux, safirnews, un commentaire est plus désabusé. « Mr Makhlouf présente un discours erroné et faux, concernant le recrutement des élèves; il n’est pas dans la même vision que son directeur, en l’occurrence monsieur El hassan O. En 2007, j’étais reçu par ce dernier, suite à une démarche de mes enfants (jumeaux), qui souhaitaient vivement intégrer le lycée Averroès, ils avaient tout juste la moyenne ce qu’il les a pénalisé » et «cette moyenne ne permet pas à un élève d’intégrer cette structure », selon Mr E.O, directeur du lycée… »

Qu’importe. Suite aux « impressionnants » résultats, HEC proposera immédiatement un partenariat. Le 16 Juin 2008, le lycée devient sous contrat et donc doit accepter des enseignants de l’éducation nationale. Problème, à partir de là, les enseignants seront des professeurs titulaires recrutés et payés par l’Etat. Amar Lasfar rappelle tout de même qu’il faudra rester dans la ligne : « Aujourd’hui, nos enseignants vont être recrutés par l’Education Nationale. Le rectorat va nous envoyer une liste d’enseignants titulaires. Il s’agira pour le directeur de l’Etablissement de veiller à ce que cette nouvelle donne n’affecte pas le lycée ».

Fiammetta Venner

[1] Prospectus édités par l’UOIF et distribués au Congrès du Bourget en 2003.

[2] Hani Ramadan, Aspects du monothéisme musulman, Tawhid, Lyon, 1998, p. 98.

[3] « L’impasse de l’homosexualité », interview réalisée par Yann Gessler pour Le Nouvelliste

du 25 janvier 2003.

[4] Hani Ramadan, La Femme en Islam, Lyon, Tawhid, 2000.

[5] « La Charia incomprise », publié par Le Monde le 10 septembre 2002.

[6] 1 http://fr.truveo.com/video-detail/cheikh-mohammed-hassan-la-grippe-porcineah1n1/

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[7] Comprenant le problème de logique, le politicien tentera de minimiser : «il s’agit

d’une maladresse car le lycée privé a eu les autorisations de l’Education Nationale. Il conviendra de vérifier si son fonctionnement est conforme à la séparation de l’église et de l’Etat et à la laïcité et à ce moment là, les autorités prendront leur décision sur la signature ou non d’un contrat d’association. Mais il s’agit, je le répète, d’une maladresse rédactionnelle. »

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LES FRÈRES MUSULMANS ÉGYPTIENS : POUR UNE CRITIQUE… DES VŒUX PIEUX

Les Frères Musulmans égyptiens : pour une critique… des vœux pieux

25.05.2015 Tewfik Aclimandos

Un jihadiste hostile aux Frères musulmans, Hânî al Sibâ’i, affirmait un jour [1] que « les capitales occidentales rêvent d’islamistes ayant renoncé à la charia et reconnaissant Israël ». Il ajoutait que les Frères, étant opportunistes, feraient volontiers ces concessions pour accéder au pouvoir. De nombreux chercheurs et experts semblent avoir le même rêve. Reste à savoir si, opportunistes ou non, les Frères sont prêts à faire des concessions. La solution idéale à la « crise » des régimes arabes, nous expliquent un nombre croissant de « transitologues [2] » et de spécialistes de l’islamisme [3], seraient l’intégration dans d’éventuels processus démocratiques de formations islamistes ayant accepté le cadre de l’État national et les règles du jeu démocratique, renoncé à la violence et à l’application des dispositions les plus controversées de la charia, et reconnu l’existence de l’État d’Israël. Mais cela est-il possible ?

Sans prétendre formuler un modèle valable pour toutes les configurations islamistes, je tenterai ici de décrire ce que je sais des Frères musulmans égyptiens. Je voudrais tester les propositions énoncées plus haut, fruits de la rencontre de la transitologie, de l’agenda de la première administration Bush et d’un certain type d’analyse de l’islamisme, qui s’agrègent désormais dans une sorte de « savoir conventionnel » s’exprimant dans la presse, les policy briefs et les revues scientifiques, Foreign Affairs n’étant pas la moindre. Ce « savoir conventionnel » se retrouve dans certains cercles intellectuels de gauche qui prônent un dialogue des civilisations ou un respect inconditionnel, excluant toute critique de « la religion des dominés », et érigent les islamistes en représentants de l’islam (on pense à l’extrême gauche, ou à des intellectuels proches de la revue Esprit). Ce savoir doit être précisé, nuancé ou réfuté. Il faut auparavant poser des questions élémentaires de méthode, relatives aux matériaux et aux données disponibles, et réfléchir à leur mode d’emploi et à la construction de « modèles explicatifs » de la confrérie. Je résumerai à cette fin ce que l’on sait aujourd’hui des Frères, de leur organisation, de leur idéologie, puis j’exposerai mes vues sur le débat en cours. Mes assertions principales sont simples, mais oubliées : avant de spéculer sur les évolutions possibles, il convient de tenter une phénoménologie de la Confrérie, d’autant plus que cette dernière est un « donné massif » et donc difficile à manier par décret. Celle-ci semble induire une « socialisation sectaire », au sens sociologique du terme, impliquant une socialisation en interne, combinée à une mise à distance et une dépréciation du réel, que l’on subjectivise en une construction manichéenne. Il convient aussi d’étudier les textes doctrinaux de la Confrérie, et la littérature qu’elle produit. Si on ne peut deviner ce que son lectorat en pense, l’on peut au moins affirmer qu’elle le marque, et qu’elle reflète au moins la pensée réelle des auteurs.

Discours des Frères

Les analyses sur les Frères aujourd’hui se fondent essentiellement sur l’étude des discours produits par la confrérie et ses cadres, en plus de la rituelle mention de son travail social et d’indications assez sommaires sur le profil sociologique et la supposée psychologie des militants [4].

Mais quels discours étudie-t-on ? Le plus souvent le programme des Frères, leur plateforme électorale et les déclarations de ceux qui sont omniprésents dans les divers espaces médiatiques. L’exégèse subséquente tend à se féliciter de l’acceptation progressive de la démocratie, à souligner la « normalité » des Frères – une force politique « comme les autres » –, à relever toutes sortes d’indices montrant des « progrès » ou, au contraire, des « manques », des « lacunes » et des « régressions » [5], expliqués par la présence aux postes clés de théocrates très vilains et très âgés [6], par la tentative du sommet de préserver la cohésion interne de la formation et de tenir compte de ce que la base peut accepter [7], ou par le fait que les régimes arabes ont les islamistes qu’ils méritent (plutôt que l’inverse) [8].

En se contentant d’analyser les positions publiques, on risque la méprise, surtout sans travail de contextualisation – or l’entreprise est difficile car la confrérie, illégale, garde « ses » secrets. J’affirme cela en rappelant que l’actuel programme de la confrérie renforce les thèses des sceptiques (dont je suis). J’admets volontiers qu’il faille prendre les plateformes et les déclarations des principaux dirigeants, comme étant souvent un indicateur de ce que la confrérie veut dire (ou faire croire) à ses militants et ses interlocuteurs, bien disposés ou hostiles, ou de ses priorités du moment, ou encore qu’il faille les considérer comme l’enjeu et le résultat de luttes intestines, débouchant soit sur la victoire d’une tendance, soit sur une motion de synthèse qui perd de vue le destinataire du message. Il est plus délicat d’y voir une preuve de ce que la confrérie pense, de ses conceptions, à moins d’estimer qu’elle change sans arrêt d’avis sur toutes sortes de questions, ou a sur chacune une trentaine d’opinions, ou encore que les rapports de force en son sein sont très fluctuants, alors même que les démissions et les modifications des équipes dirigeantes sont rares. Admettons – ce que je ne fais pas – que ces textes soient des programmes de gouvernement qui engagent ceux qui les émettent : que fait-on alors quand on y est confronté à la « quadrature du cercle [9] » ou à des propositions contradictoires (par exemple sur la citoyenneté, le statut des minorités, les libertés publiques, la femme, la souveraineté) ? La réponse est désolante : chacun retient ce qui l’arrange et minimise ce qui le dérange (cela vaut aussi pour moi). Cela dit, on peut suggérer une clé qu’impose le bon sens, sinon en général, du moins dans le contexte égyptien (où les élections ne se décident pas sur des programmes et où la revendication démocratique arrive très loin derrière le chômage, la qualité et le coût de la vie, la corruption dans les préoccupations de la population?  [10]) : si la confrérie formule des propositions qui déçoivent tous ses interlocuteurs des microcosmes politiques et intellectuels, et qui risquent de porter atteinte à son image, il y a lieu de penser qu’elle – ou au moins les rédacteurs et ceux qui ont entériné les textes – est sincère, puisqu’on ne peut supposer, sans insulter leur intelligence, qu’ils s’attendaient à autre chose.

L’étude des positions publiques pose plusieurs problèmes. Expédions le premier : qui engage la confrérie ? Celle-ci donne une réponse simple : le Guide et les deux Vice-Guides. Mais cette réponse n’élimine pas le problème des volte-face. Le second problème est relatif à la place des contextes : parler au Parlement, ce n’est pas s’adresser à un journaliste. Les contextes sont certes une variable significative, mais ils ne doivent pas forclore toute réflexion sur l’essence éventuelle du mouvement [11]. De plus, les contextes ne sont jamais connaissables avec certitude par un chercheur isolé. La violence islamiste ne peut traitée comme une simple « réponse » à une répression étatique : elle a souvent précédé celle des régimes, notamment ceux de Farouk et de Sadate, et l’œuvre de Qutb est certes une réaction à la sauvagerie des services de Nasser, mais elle est aussi une « systématisation », une mise en forme d’intuitions ou de questions qui précèdent l’avènement du raïs. En revanche, il est exact que l’impossibilité d’une alternance pacifique renforce les partisans de la contestation violente, et il est vrai que les Frères n’ont pas eu recours au terrorisme depuis une trentaine d’années. Enfin, les contextes peuvent servir de circonstances tantôt atténuantes, tantôt aggravantes : les chercheurs (dont l’auteur du présent texte) se souviennent souvent des contextes quand ils servent leur propos. Le troisième problème, enfin, est quantitatif : le suivi du dossier Frères (recension et traitement de l’information) est impossible : les prise de parole sont trop nombreuses ! Ces deux derniers problèmes posent celui de l’extrapolation des données. Rien qu’en se cantonnant à l’étude des déclarations publiques, la nécessité d’une sélection rend inévitable l’influence de schémas hypothético-déductifs présupposés, soulignée par Max Weber [12]. Ce rappel n’implique pas que tous ces schémas se valent tous (je préfère ceux que j’utilise [13]).

Cela dit, quelques enseignements peuvent être tirés de ce travail : les voix émises par les Frères sont plurielles,comme le sont les signes diacritiques les distinguant [14]. Néanmoins, sur quelques questions, les versions des Frères se ressemblent toutes : non à la théocratie, oui à la mystérieuse et mal définie marja’iyya religieuse [15]. La description des « circonstances des arrestations de militants » est toujours la même, mentionne toujours le thème d’un voisinage terrorisé la nuit ou à l’aube par la police, hostile à celle-ci, témoin de l’injustice (zulm) qui frappe le juste. L’attachement aux principes est souvent déclamé, mais leur translation en actes concrets est problématique [16]. Nombreux sont les Frères maîtrisant le « parler démocratique » ou le « parler sécularisé ». Mais peut-on en déduire qu’ils sont sécularisés ou convertis à la démocratie ? L’exemple le plus simple est l’invocation du multiculturalisme ou de la liberté religieuse pour justifier le refus de l’accès des non musulmans à la magistrature suprême : cette fonction étant par plusieurs aspects de nature religieuse (incluant la supervision de l’application de la charia), y accepter un non musulman serait agresser les convictions religieuses de ce dernier !

Slogans et ouvrages doctrinaux

Dans le champ du discours, deux types de textes semblent plus significatifs que les déclarations. Les slogans, avec leur force cognitive, leur symbolisme, ce qu’ils engagent, le dit et le non-dit, comptent autant voire davantage. Le slogan des Frères, c’est « L’islam est la solution », ce qui implique au minimum que le régime en place n’a pas recours à ce remède. Les textes doctrinaux aussi, rédigés par les membres du Bureau de guidance ou par les théoriciens de la confrérie, ou encore les enseignements que l’on inculque et les textes que l’on fait lire aux militants, sont importants. Pour dire les choses brutalement, en allant dans les librairies islamistes et en achetant les livres qu’on y propose, surtout ceux dont les auteurs sont des Frères, on a une vision très différente de l’image que les acteurs de la confrérie cherchent à donner. Nourri par les témoignages des dissidents, par les accusations que porte la sécurité de l’État, par certaines pratiques des Frères, par les multiples dérapages dans la presse de cadres moins rompus que d’autres au « talking nice », par les mémoires et souvenirs de certains acteurs, le tableau qui se dégage devrait inciter à la prudence.

Peu de chercheurs tentent la lecture systématique des productions intellectuelles des Frères. Il faut dire que ces productions sont plurielles, même si, hormis peut-être Sayyid Qutb, la confrérie n’a pas de grands penseurs. Ses quelques auteurs sérieux, comme par exemple Farîd ‘Abd al Khâliq, sont-ils représentatifs [17] ? Ses « classiques », comme par exemple les textes d’al Bannâ, n’ont jamais été reniés, mais ne reflètent plus la situation actuelle. L’historien Jâbir al Ansârî [18] estimait que la pensée arabe est traversée depuis des siècles par trois démarches : la principale, centrale et centriste, est la « tawfîqiyya », le concordisme, qui présente deux caractéristiques : d’une part, sa grande ouverture aux apports des autres traditions et civilisations, qu’elle intègre et absorbe dans son élaboration de la tradition islamique ; d’autre part, un souci de concilier les contraires (foi/raison, science/religion, modernité/tradition…), d’apaiser le conflit en proposant une synthèse. La « salafiyya », plus importante depuis la guerre de 1967, est celle des zélotes et des puristes, et correspond peu ou prou à l’islam des marches et du désert, plus attachée à la sauvegarde d’une pureté mythique, ne cherchant son inspiration que dans le Coran, la Tradition ou l’exemple des pieux ancêtres, méfiante à l’égard du rationalisme, des apports étrangers et de l’herméneutique. La troisième démarche est l’hétérodoxie. Pour sa part, la confrérie a toujours oscillé entre les deux premiers pôles. Le second a toutefois été prédominant pendant toute l’histoire des Frères, mais l’on voit, depuis dix ans, une montée en puissance de la tawfîqiyya, qui se traduit par l’évolution des programmes. Mais cette tawfîqiyya demeure boiteuse et superficielle, et, pour autant qu’on puisse en juger, salafistes et qutbiens dominent encore [19]. Surtout, il y a toujours eu des Frères partageant la posture tawfîqiyya et que leur période d’influence maximale a sans doute été le début des années 1950.

Mais il faudrait aussi regarder les textes non politiques de la confrérie, par exemple ceux relatifs au jihad et à la prédication. Le problème central réside peut-être dans la ou les théories du jihad, car l’utilisation extensive de ce concept par les Frères est problématique, puisqu’elle surévalue, gonfle et privilégie la dimension conflictuelle et polémologique du politique [20]. Mais le problème premier est celui de la prédication. Elle est radicalement contraire à, voire incompatible avec l’acceptation des règles du jeu démocratique, puisqu’elle suppose l’existence d’une vérité détenue par les Frères, d’un camp de « justes », une avant-garde de censeurs chargée de ramener dans le droit chemin les mauvais musulmans, et de convertir (ou soumettre) les autres. Le projet de refonte de l’individu est un premier pas, précédant la refonte de la famille, de la société, de l’état, du monde. Elle est un discours sur la société, et aussi, sur un ton souvent infâme, sur l’autre, sur les autres sociétés et civilisations, tenues pour inférieures, « sales », ennemies de Dieu, à combattre [21]. Le rapport au temps ainsi constitué n’est pas celui de la transition démocratique, mais de la création de la Cité parfaite, de la Théocratie achevée [22]. La prédication ne reconnaît de légitimité qu’à un point de vue, qu’à un mode de vie, et recommande leur diffusion et la disparition des autres.

Puisque prédication et discours politique cohabitent chez les Frères, il faut savoir lequel « sert » l’autre. Cette cohabitation légitime le reproche de double langage : les programmes politiques des Frères ne sont-ils qu’une « technique » propre à un champ politique donné, son recours étant justifié par la nécessité de « faire exister » la « prédication » dans toutes les couches et institutions de la société [23] ? L’on peut, au contraire, faire de la prédication une instrumentalisation du symbolique destinée à servir, à mobiliser autour une politique convaincue par ou résignée à la démocratie. Pour ma part, je n’y crois pas : le programme Frère, l’importance des sections « fatwa » et « éducation », les messages qu’elles diffusent, me font penser que la prédication et sa vision du monde priment pour le moment.

Reste à savoir si ces textes façonnent ou non les vues de la direction, des cadres et des militants frères. Pour le savoir, on pourrait étudier les livres que les Frères font lire à leurs militants. L’un des meilleurs spécialistes du sujet, Tammâm, qui n’a pas encore publié les résultats de ses travaux, m’a donné quelques indications [24] : les penseurs de la tawfiqîyya, notamment ceux qui ont tenté de penser la démocratie et ses rapports avec l’islam, ne sont pas au programme de lecture « Frère » ; l’enseignement demeure conforme au credo classique des Frères, hostile à la démocratie, estimant que la souveraineté des hommes est sacrilège, car attribut de Dieu, prônant une théocratie, malgré les dénégations, et privilégiant le jihâd ; les deux Qutb, Sayyid et Muhammad, figurent dans la liste. Selon une autre source [25], les militants lisent beaucoup Yûsuf al Qaradâwî, Jum’a Amîn ‘Abd al ‘Azîz [26], ‘Ali ‘Abd al Halîm Mahmûd [27] et Jamâl Sultân. Sans avoir lu tous les textes de ces auteurs, je n’y ai presque jamais vu (sauf, dans une certaine mesure, chez Qaradâwî) de traitement des problèmes politiques qui se posent aujourd’hui au mouvement, notamment son attitude vis-a-vis de la démocratie et du pluralisme. Certains minimisent l’impact de ces lectures sur les militants au motif qu’un lecteur doté de bon sens s’apercevra qu’elles ne peuvent répondre aux questions et défis que pose la société moderne. Cette assertion est discutable – Qutb, par exemple, combine romantisme et esprit systématique, et son langage et son message, d’un anti-modernisme très moderne, peuvent exercer la séduction que l’on attribuait sous d’autres cieux au marxisme. La question de la réception des textes enseignés aux militants reste posée, tout comme celle du statut de l’idéologie au sein de la confrérie (est-elle idéocratique ?), de son efficience et de son monolithisme.

Les Frères participent en tout cas de l’émergence d’une société de masse, et sont le « moyen » de l’accès à l’espace public et politique de couches qui en étaient exclues. Mais les critiques formulées à l’égard de la « culture de masse » peuvent et doivent être formulées à l’égard des Frères, d’autant plus qu’ils ont combattu avec férocité toutes les formes de culture qui ne leur convenaient pas [28], d’avoir très peu – pas du tout reflète mieux ma pensée – contribué à la « grande culture égyptienne » du xxe siècle, et d’avoir une propension à la dilution du sens de certains mots (notamment « théocratie », « gouvernement civil » et « citoyenneté »). L’on peut soutenir qu’ils contribuent à perpétuer la confusion entre religion et politique : limitations à la pensée et à la liberté d’expression, inégalité entre les membres de l’état-nation, emploi de la religion dans les questions temporelles, démagogie, divisions communautaires…

Pratiques des Frères

Les« pratiques » des Frères ne sont pas moins difficiles à étudier. Par exemple, si l’accumulation des exemples individuels permet, sur certains sujets, de dégager des tendances, sur d’autres on peut soutenir tout et son contraire. A l’exception de Marie Vannetzel, peu de chercheurs se sont attelés à la production des monographies indispensables [29]. Son principal argument est que les Frères fonctionnent peu ou prou comme le PND, s’appuyant sur des notables dont le profil et les ressources changent avec les époques et les lieux, capables d’assumer des prestations à un public local. Elle souligne aussi l’importance des réseaux de travail social des Frères. Il est indubitable qu’ils pallient ainsi les déficiences d’un état qui n’est plus – s’il l’a jamais été –, providentiel et protègent les plus pauvres. Ils contribuent aussi à la construction et à la légitimation d’un ethos islamique et à l’islamisation ou à la réislamisation d’espaces où rien n’a été fait pour ancrer l’ethos démocratique. L’on a parfois l’impression que les espaces et réseaux de socialisations frères sont « totaux », qu’un Frère peut (ou doit, selon d’autres témoignages) organiser sa vie en n’ayant que des partenaires ou interlocuteurs Frères ; il peut être logé, employé, soigné par des Frères ; il peut épouser la sœur d’un Frère ; ses interactions financières peuvent n’avoir lieu qu’avec des Frères. Ceci, bien sûr, ne veut pas dire que les Frères sont absents des institutions publiques : au contraire, ils sont très nombreux dans les universités, les syndicats, les clubs sportifs, qu’ils « islamisent » progressivement.

Les données sur le fonctionnement interne de la confrérie sont nombreuses, mais partielles : on peut inférer à partir du règlement interne, ou tenter de se fonder sur les souvenirs des acteurs (mais ceux-ci couvrent en général les périodes de la monarchie et de Nasser, et les choses ont pu changer) ou sur les articles de presse (mais il est malaisé de savoir quelles sont les sources des auteurs – souvent la sécurité d’état et les dissidents). De nombreux journalistes citent aussi des « confidences » de sources internes au sein de la confrérie – ce ci n’est pas impossible, que la confrérie cherche à renforcer la crédibilité de certains spécialistes qui lui sont acquis, ou que des acteurs organisent des fuites dans le cadre de luttes internes.

Comment devient-on Frère ?

Dans un journal de gauche, a priori peu hostile à la confrérie, on trouve un article sur les techniques de recrutement de la confrérie [30]. C’est elle qui les « choisit » et non l’inverse : les militants identifient des cibles potentielles (souvent à l’université ou dans sa cité, car les étudiants provinciaux s’éloignant pour la première fois de leurs famille sont des activistes potentiels), et s’en rapprochent ; une enquête est réalisée sur chaque cible, sur ses rapports avec sa famille ; puis les militants essaient d’éveiller la sensibilité religieuse de leur recrue potentielle, de l’encourager à faire ses prières, à renoncer au tabac, à aller à la mosquée et à lire le Coran. A ce stade-là, on ne parle pas de politique, sauf si la cible est clairement intéressée. Si la personne plaît, on lui présente d’autres Frères, on fait du sport avec elle. C’est plus tard que l’on explique que l’islam est une religion « totale » et qu’il faut « agir », collectivement. On confie à la recrue des tâches, on la fait jouer à des sports collectifs, on la jauge. Puis on la convainc de travailler avec les Frères. L’impétrant assiste à des conférences, étudie la configuration islamiste, les divers mouvements ; on répond à ses questions. Mais en général, il est d’ores et déjà décidé : il est devenu un « muhibb » (une personne « qui aime la confrérie » et sur laquelle on peut compter). Il colle des affiches, assiste à des réunions avec d’autres « muhibbs », fait du prosélytisme – mais il n’est pas encore « Frère ». Il assiste à un cours à la mosquée, où on lui explique l’entraide et la solidarité dans l’obéissance. Cette période est conçue pour « parfaire l’éducation », pour vérifier l’intériorisation des conceptions du mouvement, le respect des prières et des autres pratiques cultuelles. Cette étape dure de un à deux ans, puis l’on passe de « muhibb » à « mu’ayyid » (« qui appuie ») : techniquement on n’est pas encore membre… pendant encore 18 mois. Pour la cooptation finale, la confrérie sollicite l’avis de plusieurs Frères. Selon l’article, les militants frères sont plutôt d’accord sur ce qu’ils ne veulent pas, et adhèrent à la règle selon laquelle « les seules constantes sont les points sur lesquels il y a eu consensus d’ulémas ». Donc on peut trouver des Frères très libéraux, et d’autres qui ne le sont pas du tout.

La presse égyptienne [31] publie quelque fois des témoignages d’anciens militants, qu’il convient de manier avec prudence, mais qui confirment, précisent ou nuancent le tableau. Ils posent quelques problèmes (les indications qu’ils donnent sur le fonctionnement et les règlements internes ne sont pas toujours compatibles entre elles), mais dans l’ensemble ils ont des points communs. Le futur militant participe à des activités religieuses, sans savoir au début qu’il « roule » pour les Frères. Il néglige sa vie privée, ses liens familiaux, ses amis, il est totalement immergé dans sa vie frère. Il s’y investit totalement. Selon les déçus de la Confrérie, Les Frères apprennent à leurs cadres à refuser l’autre et à être extrémistes, même s’ils prétendent le contraire. La confrérie inculque l’idée qu’elle et ses membres ont toujours raison et que le reste de l’humanité a toujours tort. On fait tout pour empêcher les autres courants religieux de prendre la parole dans les amphithéâtres. En plus les Frères « limitent », ou « soumettent » leur prédication à des agendas précis et des objectifs chiffrés à atteindre, quels qu’en soient les moyens, ce qui fait de la prédication un processus bureaucratique et routinier, ciblant la quantité au détriment de la qualité.

Les Frères musulmans ont bâti leurs succès en combinant prédication et action politique, en prônant une idéologie moniste, totalisante, régissant les différents aspects de la vie individuelle et de la société. Séparer prédication et politique semble impossible – ce serait pour les Frères renoncer à une recette qui gagne et qui constitue, de surcroît, l’identité du mouvement. On imagine mal l’ampleur du changement nécessaire : il faudrait changer de culture militante, de rapport à l’environnement, de critères de sélection des candidats et de promotion des militants. On devrait changer d’ethos – cela ne se fait pas par décret, et l’on ne prend d’ailleurs ce type de décrets que s’il y a crise. Or les Frères prospèrent.

Effectifs et organigramme

La confrérie est discrète sur sa taille et ses structures. Elle refuse de chiffrer le nombre de ses militantsLes deux dernières années ont été, selon les responsables sécuritaires, celles d’une fantastique progression : plus d’un million et demi de personnes paieraient des cotisations.

Détailler l’organigramme de la confrérie dépasse le cadre de cet article [32] : il nous importe toutefois de souligner le poids prépondérant, du Bureau de guidance, l’instance dirigeante, qui dispose de vastes prérogatives – d’autant plus que l’échelon « directement » inférieur, le majlis shûra (assemblée consultative), n’a pu se réunir depuis 1995, à cause des harcèlements policiers. Le Bureau compte une quinzaine de membres, dont certains, trop âgés ou malades, n’assistent plus aux réunions, d’autres sont emprisonnés. Le plus connu est sans doute Abû-l Futûh, considéré comme un démocrate, qui est esseulé. Les hommes forts sont le Guide suprême ‘Akif, le second Vice-Guide al Shâtir, ‘Izzat et Ghazlân. L’autre Vice-Guide, Muhammad Habîb, semble avoir moins de relais que le quatuor, mais il cherche probablement à exploiter le séjour prolongé d’al Shâtir en prison pour placer ses hommes.

Il convient de relever aussi l’importance de la section « de prédication et de fatwa », qui gère le quadrillage des mosquées et émet des avis sur la licéité de telle ou telle mesure. Elle est supervisée par le mufti de l’organisation, al Khatîb, membre du Bureau de guidance : Consultée sur tout, elle norme le comportement Frère, individuel ou collectif [33]. Elle semble plus importante que le « comité politique », dirigé par al ‘Iryân, qui gère les dossiers politiques. Ce dernier est aussi moins important que le « comité administratif », dirigé par ‘Izzat, qui transmet – entre autres – les instructions du Bureau de guidance aux sections régionales, et coordonne l’ensemble.

Les Frères ont la réputation d’être une force disciplinée, centralisée autour du Bureau de guidance. L’obéissance des députés connus pour lui être affiliés conforte cette impression. Mais il convient de relativiser : du fait des contraintes de la clandestinité (même relative) et de la « masse » de la confrérie, il convient de ne pas écarter les témoignages affirmant que, sur plusieurs sujets, dans plusieurs dossiers, les sections régionales et les militants disposent d’une grande latitude. On peut aussi croire al Sharnûbi (le responsable du site web des Frères, proche d’al Shâtir) quand il affirme :

« Les techniques médiatiques que nous utilisons sont fondées sur le dialogue direct avec les gens, sur l’assistance, sur la participation à leurs joies et à leurs malheurs, et ceci personne ne peut l’interdire, parce que cela a lieu dans toutes les rues égyptiennes, et que c’est accompli par des personnes qui n’en réfèrent pas, pour ce faire, à la hiérarchie. Ce n’est pas vrai que le Bureau de guidance peut faire bouger tous les membres de la confrérie par télécommande» [34].

L’idéologie frère : elle se porte bien, ne vous en déplaise.

On a vu que, selon Tammâm, la doctrine Frère est essentiellement qutbienne [35]. Mais il ajoute que cette idéologie s’est délitée au contact de la réalité, notamment suite à la décision de renoncer à la violence, alors que le jihad armé est la conséquence logique de la lecture qutbienne du monde. Ce recul du qutbisme s’explique aussi par le souci de brasser large : les Frères ont décidé que leur formation pouvait « accueillir ce que l’islam peut accueillir » : ils comptent donc en leur sein de nombreuses sensibilités.

Classer les membres du Bureau de guidance ou les courants traversant la confrérie se fait d’ordinaire en construisant des oppositions binaires : entre « démocrates sincères » et « fondamentalistes dogmatiques », entre « vieille(s) » et « nouvelle(s) » génération(s), entre ceux qui souhaitent la création d’un parti politique et la séparation entre politique et prédication, et ceux qui sont attachés à la forme « confrérique » et qui estiment que la combinaison « prédication-politique » fonctionne et doit être maintenue. Quelques remarques s’imposent ici : d’abord, la « nouvelle génération » n’est pas homogène ; ensuite, il y a, au sein de la confrérie, un relatif accord sur la nécessité d’une démocratisation, comprise comme l’organisation d’élections libres concurrentielles (comme le montrent les pratiques des Frères dans les syndicats qu’ils contrôlent) et l’arrêt des harcèlements policiers. Il est en revanche permis de douter de la conversion de certains (le Guide suprême notamment) au principe de la souveraineté populaire, ou au respect des libertés fondamentales (pour ne mentionner que les points sur lesquels le programme des Frères et des dérapages, verbaux ou non, ont révélé des réserves et des arrières pensées). Enfin, ces oppositions ne valent pas ou plus pour le Bureau de guidance, qui est moins divisé qu’on ne le dit : Abû-l Futûh, qui est probablement le seul vrai « démocrate » du Bureau (respectueux de la souveraineté populaire, des libertés publiques, du principe de citoyenneté) y est marginalisé. Le Bureau comprend en réalité deux courants idéologiques, les salafistes et les qutbiens. Les positions des uns et des autres sont souvent proches, même si les salafistes reprochent souvent aux qutbiens de faire du « ta’wîl » (interprétation, voire surinterprétation). Mais cette distinction entre qutbiens et salafistes ne doit pas être surestimée : les premiers sont à peine moins méfiants que les seconds vis-a-vis des apports étrangers à l’islam, et même chez les anti-qutbiens, le diagnostic de Qutb s’est imposé : une société qui n’applique pas la charia n’est pas vraiment musulmane.

Les contraintes idéologiques, le faible poids des démocrates au sein de la confrérie, les pesanteurs organisationnelles, l’ethos ou, si l’on préfère, les techniques et les critères de recrutement, les lieux où il s’effectue, l’endoctrinement, la formation et la culture que l’on inculque, les types de socialisation et de réseaux, tout ceci rend difficile une autonomisation du politique et l’avènement d’une culture démocratique. Cela vaut aussi pour les interactions avec l’environnement et les contraintes du double positionnement, sur le champ religieux et sur le champ politique : le problème de la confrérie est moins les « forces » démocrates que la concurrence de certains salafistes, qui ne lui pardonnent pas son acceptation du jeu électoral et ses concessions à la modernité, en bref sa tawfîqiyya.

Les Frères, fer de lance de la démocratisation ?

Il convient maintenant d’examiner les affirmations du « savoir conventionnel » qui semblent provenir de préoccupations que je qualifierais d’ « extérieures » – je désigne sous ce terme les questionnements induits par des enquêtes sur les formations islamistes d’autres pays, ou encore pour répondre à une demande ou à des agendas internationaux, ou par des raisonnements hypothético-déductifs (certains s’inscrivant dans des lectures hégéliennes de l’histoire), ou tout simplement par « cécité créatrice ».

Les Frères et le cadre national

L’on estime en général que les Frères, à l’instar d’autres mouvements islamistes légalistes, ont accepté le cadre national [36] ; que ces mouvements sont un moment « indispensable » du processus de construction nationale. Tout dépend du contenu que l’on donne à ce « cadre national » ou à « accepter » (« faire avec » semble plus exact). Oui, les Frères musulmans ont un programme pour gouverner le pays, et raisonnent surtout en termes et dans un cadre égyptiens. Oui, l’utopie du rétablissement du califat est de moins en moins mentionnée (mais a-t-elle été totalement abandonnée ?). Mais affirmer que les Frères sont un moment « indispensable » de la construction nationale est péremptoire, malgré l’importance de leur travail social. Outre les effets délétères de leurs pratiques et discours sur le lien national et sur les tensions confessionnelles [37], le processus de construction nationale a commencé avant eux ou sans eux. Târiq al Bishrî en est presque à voir dans les Frères le stade suprême du nationalisme [38]! Pour lui, l’histoire égyptienne est scandée par des moments et/ou des dialectiques : le moment Wafd a été celui d’un nationalisme laïc qui tentait de recouvrer l’indépendance politique ; le moment « nasséro-gauchiste » a incarné la revendication d’indépendance économique ; le moment islamiste vise à mettre fin à l’aliénation en faisant correspondre le régime politique et l’espace social à l’authenticité culturelle du pays, à son « identité ». On pourrait critiquer la lecture et la conceptualisation de l’histoire ainsi instaurée, ou le contenu de la notion d’authenticité [39] ; je préfère rappeler que les impératifs identitaires ne sont pas ceux de la démocratie, et qu’un discours de ce type, s’il était tenu en Europe, serait classé, comme il le mérite, à l’extrême-droite. Et même si l’on acceptait ce diagnostic, on aurait beau jeu de souligner que l’identité culturelle égyptienne, si elle existe, relève de la tawfîqiyya et que le mouvement islamiste est loin d’en être le meilleur représentant.

Les Frères et la violence

Aucun acte de violence ne peut être imputé aux Frères depuis 1974, alors que le comportement des autorités vis-a-vis de la confrérie aurait pu être un prétexte plausible pour renouer avec les pratiques d’antan. J’ai écrit en 2005 que la « question était réglée » [40]. J’en suis moins certain aujourd’hui. Pendant le premier semestre 2006, des informations inquiétantes évoquant des séjours de formation des militants à l’étranger ont filtré – le tout étant de savoir le crédit qu’on accorde à ce qui émane de la sécurité d’Etat [41]. Pendant la récente guerre au Liban, le Guide suprême ‘Akif a affirmé qu’il était prêt à envoyer 10 000 combattants épauler le Hezbollah, si le gouvernement égyptien l’y autorisait[ 42]. Les Frères ont reconstitué en 1998 une section d’éducation physique, pour entraîner leurs militants à la conduite de manifestations, à l’autodéfense et à la protection des dirigeants. La vitalité de cette section est attestée par le nombre de camps de vacances découverts et démantelés les deux dernières années, qui ressemblent beaucoup à ceux de l’organisme secret créé en 1939 par al Bannâ, hormis l’absence d’initiation au maniement des armes.

Le 10 décembre 2006, l’opinion apprend qu’une cinquantaine de militants Frères encagoulés se sont livrés dans l’enceinte d’al Azhar à une démonstration de leur savoir-faire en sports de combat. Des chaînes de télé et le quotidien al Misrî al Yawm en diffusent images et photos. Les jours qui suivent, les Frères tentent de limiter la casse, oscillant entre plusieurs stratégies discursives (fuites contrôlées, minimisation du problème, négation du caractère « martial » de la démonstration, aveu de « maladresse » assorti d’excuses…). Le Guide suprême ‘Akif affirme dans la presse que cette démonstration n’est pas la première du genre, qu’il y en a eu plusieurs auparavant, et notamment lors des manifestations d’appui au Hamas :

« Ce n’était pas un défilé militaire. Si j’en avais organisé un, il eut été différent. En effet, le lieu et le timing ne sont pas appropriés

  • Êtes-vous donc capable d’en organiser un ?
  • Oui, quand il y a des raisons pour le faire. Mais tant qu’on est dans un État ayant une constitution et un droit […], nous ne pouvons envisager un acte portant atteinte au citoyen ou à la patrie […]. Je n’accepte pas de collaborer avec un groupe ayant recours à la violence [43]

Pour lui, la démonstration d’al Azhar était un défilé sportif. Mais il confirme être en mesure d’envoyer 10 000 Frères guerroyer, et même davantage, si le gouvernement l’accepte. On le voit, la déclaration est une véritable motion de synthèse : on rassure les partisans d’une para-militarisation de la confrérie en assumant l’option, et les légalistes en affirmant qu’elle ne sera pas utilisée sur la scène intérieure, et on affirme ne pas être à l’origine de l’initiative.

Les Frères n’ont donc plus, depuis trois décennies, commis d’actes dépassant le « seuil » usuel en Égypte, mais ils disposent des structures matérielles ainsi que d’un corpus doctrinal pour le faire. Cette évolution est caractéristique des problèmes que pose la confrérie au système politique égyptien : cette armée sans armes produit des combattants potentiels qu’elle tient sous contrôle. Porter un coup sévère ou décisif à la confrérie (à supposer que cela soit possible) risquerait de « lâcher dans la nature » des personnes initiées aux techniques de combat. D’autre part, les Frères occupent un créneau qui leur permet de concurrencer d’éventuels autres groupes jihadistes, puisqu’ils offrent un produit, la préparation au combat, qui répond à une demande sociale – qu’ils entretiennent et suscitent. Rappelons toutefois qu’à plusieurs moments cruciaux, les Frères ont été « en retrait » par rapport à d’autres : on pense notamment à leur position modérée dans l’affaire de la profanation du Coran à Guantanamo ou lors de l’épisode des caricatures danoises.

Les Frères et la charia : une modération discutable ?

Même des analystes a priori compréhensifs envers les Frères estiment que leurs discours sur cette question sont très ambigus [44], qu’ils n’ont pas donné d’assurances suffisantes. La confrérie n’a toujours pas fait son aggiornamento sur la question des aspects les plus controversés de la charia – et elle ne le fera probablement pas dans un avenir proche : en quoi les Frères seraient-ils distincts du PND s’ils renonçaient à l’utopie (très mobilisatrice en Egypte) d’un ordre politique et social radicalement autre ? Comment peut-on imaginer que des militants prenant d’énormes risques personnels, sacrifiant sur la voie de Dieu carrière et perspectives d’avenir, puissent changer de logique et d’objectifs du jour au lendemain et se résigner à la normalité de petits desseins intra-mondains ? On pourrait imaginer la chose si les efforts d’intellectuels en vue de la restitution de son historicité au droit musulman et de la relativisation de sa sacralisation avaient droit de cité – mais une personne défavorable à l’application de la charia ne peut aller au-delà d’une invocation (face à l’opinion, on ne parle pas des cercles intellectuels) de l’inopportunité temporaire de celle-ci pour le bien-être de la communauté.

La stratégie des Frères sur la question des peines corporelles prévues par le droit islamique a longtemps été l’évitement. On peut penser que la confrérie est divisée sur le sujet et qu’elle tente d’éviter de se déchirer, mais je préfère croire qu’elle sait que sur ce point aucune concession durable n’est possible, et qu’elle ne peut que promettre une approche graduelle, lente, mais « irrévocable » : le programme Frère préconise une approche gradualiste, c’est-a-dire de commencer par un effort important d’éducation « islamique » et d’inculcation des valeurs morales (comme si le régime faisait autre chose !), puis d’œuvrer à l’élimination des « causes » du crime ; ensuite seulement, on appliquera les peines corporelles, avec une grande sévérité. Optimistes et pessimistes exploiteront différemment ce gradualisme !

Les Frères face à la question copte

Vis-a-vis de la minorité copte du pays, les positions des Frères restent, au mieux, ambivalentes. La stratégie, telle que définie par le dirigeant al Shâtir dans des documents internes saisis en 1992, se résume en un mot : « rassurer », autant que faire se peut [45]. Depuis plus de deux ans, on annonce régulièrement la publication d’un document reconnaissant le droit des coptes à la citoyenneté et affirmant que la capitation (l’impôt sur les non-musulmans, l’un des signes de leur infériorité, de leur soumission et de la primauté de l’islam) n’est plus d’actualité. Mais on ne voit rien venir, alors qu’en principe le compagnon de route Târiq al Bishrî a réussi à fonder « islamiquement » la citoyenneté et l’égalité entre citoyens de confessions différentes. Plus grave, lors des débats parlementaires de 2007 sur le remaniement constitutionnel, les députés Frères ont rejeté le nouvel article 1 qui faisait de la citoyenneté le principe organisateur de l’état-nation, en invoquant toutes sortes de prétextes fallacieux. Enfin, le programme Frère, qui vient d’être rendu public, interdit explicitement aux coptes l’accès à la Présidence de la République, et, semble-t-il, (le texte n’est pas clair) aux fonctions publiques qui entraînent des obligations de défense et de promotion de la religion, ce qui devrait inclure la présidence du Conseil et le commandement des forces armées.

Dans le même ordre d’idées, la confrérie affirme souvent qu’elle n’a aucune objection contre la création d’un parti copte, affirmation à première vue bizarre si l’on tient compte de son hostilité affichée à toute politique de quotas et de « discrimination positive » en faveur des non-musulmans. Mais affirmer que les coptes ont droit, en tant que tels, à un parti, revient à dire que les musulmans et l’islam ont droit à un groupe les représentant… les Frères musulmans. Il s’agit de favoriser une définition communautariste des enjeux, avec un représentant politique unique (ou au moins hégémonique) de chaque « religion ». Lequel serait évidemment, dans le cas de l’islam, les Frères. La confrérie souffle alternativement le chaud et le froid, avec une préférence affichée, et probablement réelle, pour le chaud. Prudente au niveau national, elle exploite quelquefois les tensions communautaires et les sentiments anti-coptes de certaines couches de la population.

Il est plus délicat de parler des « attitudes » des militants et cadres Frères à propos des coptes, mais on peut se risquer à dire qu’il y a de très nets progrès par rapport aux pratiques d’antan [46], mais que l’enseignement prodigué à la base reste prisonnier des préjugés et de la doctrine traditionnels : de surcroît, les Frères donnent souvent l’impression de penser que les coptes forment une minorité choyée, trop puissante économiquement, trop bien traitée et geignarde. Ils reconnaissent la légitimité de certains griefs coptes, mais estiment qu’ils devraient être dirigés contre l’État. Les dérapages de cadres Frères sur la question sont toutefois nombreux et parfois graves, et ils semblent ne pas voir que leurs postures anti-chrétiennes sont très offensantes [47] (De nombreux discours coptes sont également odieux).

Les Frères et la démocratie

Commençons par l’acquis : la position des Frères n’est plus celle prévalant sous al Bannâ, qui était hostile aux partis, accusés d’entériner la division de la Communauté. Désormais, ils acceptent le multipartisme, l’alternance, l’organisation d’élections libres et l’arbitrage du peuple. Le consensus des experts veut qu’il s’agisse d’évolutions importantes mais insuffisantes, ce qu’a confirmé la publication du programme Frère, qui prévoit une formule à l’iranienne, où, malgré des élections et une acceptation du multipartisme, la souveraineté et les décisions de dernier ressort seraient aux mains d’un organisme d’oulémas. Mais gageons que la confrérie remaniera ce texte sur ce point et éliminons les thèses simplistes des adversaires des Frères qui dénoncent la mauvaise foi des acteurs islamistes quand ceux-ci prônent la démocratie, même si les « faux pas » de la confrérie et les déclarations de plus en plus inquiétantes de ses cadres, depuis 2006, leur donnent des munitions. Soulignons que certains acteurs de la mouvance sont sincères quand ils proclament leur credo démocratique –même si d’autres le sont beaucoup moins [48].

Il faut aussi être prudent avant de manier l’argument de l’incompatibilité selon lequel on ne pourrait être simultanément islamiste et démocrate, comme s’il fallait absolument choisir entre reconnaître la souveraineté à Dieu et la donner aux hommes. Il y a tension entre toute religion et la démocratie, en ce qu’une religion délimite un domaine qu’elle soustrait à la délibération – mais les compromis sont possible s[49]. Toutefois, quoi que l’on pense de la cohérence intellectuelle et de la valeur intrinsèque des discours des « islamistes démocrates », ils existent et les hommes peuvent avoir des fidélités contradictoires et des discours peu rigoureux. En revanche, on ne peut être certain qu’un islamiste démocrate optera toujours, en cas de conflit, contre la charia et pour la démocratie. Et l’on sait que les islamistes démocrates ne sont pas majoritaires au sein de la confrérie.

Pour conclure, je voudrais tester maintenant la position défendue par des spécialistes respectés, qui reconnaissent que l’acceptation de la démocratie et de ses corollaires par les Frères est insatisfaisante mais inéluctable, et qu’elle se fera, même malgré les acteurs. Ainsi, selon Éric Rouleau [50], puisque les Frères ont renoncé à la violence ils doivent s’adapter au réel et donc adopter de nouvelles pratiques, ce qui aura immanquablement des conséquences sur leur perception des choses, leur discours et leur idéologie. Tammâm et Shirîf Yûnis pensent que les intérêts économiques et l’embourgeoisement des Frères seront décisifs : le recours à la violence est de plus en plus improbable, du fait même de l’importance des effectifs de la confrérie et de ses intérêts financiers [51]Il y a trop à perdre et les souvenirs des conséquences des affrontements avec les régimes successifs incitent à la prudence. L’historien Shirîf Yûnis, auteur d’une importante thèse sur Qutb, souligne ainsi que le fait que la logique du capitalisme ou du commerce international ne permette pas de distinguer les gens en fonction de leur religion, mais opère selon d’autres critères, finira par faire prévaloir une modification des « mentalités » [52]. Tammâm lui aussi analyse ces 25 dernières années comme une adaptation au réel qui devrait mener à la démocratie : l’aggiornamento consécutif proviendrait pour lui de la confrontation des Frères aux réalités de l’exercice du pouvoir au sein des syndicats et ordres professionnels conquis pendant les années 1980 ; les problèmes concrets auraient amené les Frères à revoir, par petites touches, leurs positions sur plusieurs points [53]. Pour lui, les deux variables clés auraient été les relations internationales et la présence copte. Mais ceci est-il vraiment probant ? Les Frères se sont adaptés à l’environnement parce qu’ils n’ont pas pu le restructurer – mais ceci pourrait changer s’ils prenaient le pouvoir.

Un autre moment important, en ce qui concerne les origines du « nouveau discours », est la publication d’un collectif autocritique, en 1989, auquel ont participé plusieurs Frères, et qui a été une première tentative pour penser (et accepter) la démocratie. Quand Târiq al-Bishrî (qui n’est pas Frère, mais que la direction lit) publia en 1994 un article sur la citoyenneté et les coptes, les réactions de certains Frères, et non des moindres, furent favorables. Ce texte fournit des arguments à ceux qui, dans la direction, voulaient changer de discours à l’égard des coptes. Reste que la doctrine des Frères n’a pas incorporé le papier d’al-Bishrî. Il demeure que la question de la citoyenneté et de l’égalité des musulmans et des non-musulmans au sein de la patrie n’a pas été fondée doctrinalement par un théoricien Frère.

Voilà, exposée en détail, la thèse optimiste crédible. Malgré un support empirique conséquent, elle est hypothético-déductive, et elle présume une téléologie discutable ainsi qu’un certain matérialisme. Je ne nie pas qu’une évolution en ce sens soit possible. Est-elle la plus probable ? L’on constatera d’abord que le texte de Tammâm date de 2004 et que depuis les évolutions récentes ont été dans le sens d’une régression. Plus généralement, cette thèse s’obstine à méconnaître les éléments lourds qui jouent en sens contraire ; ils peuvent être spécifiques aux frères, comme leur rapport à l’idéologie, comme leurs modes de socialisation, sectaire au sens sociologique du terme, comme leur conception de la Cité Idéale et de la sharî’a . Ils peuvent relever du contexte égyptien et régional : le troisième lieu saint de l’islam est occupé, ce qui favorise les cultures de guerre ; la libération, réelle par plusieurs aspects, des femmes égyptiennes provoque un raidissement des frères de ces dernières ; la salafisation de la société et de l’environnement, le délitement du lien national et le renforcement des communautarismes, tout ceci ne joue pas en faveur de la démocratie. L’Occident n’est plus le modèle qu’il était à la Belle Époque. La liste n’est pas exhaustive. Les « effets » de la mondialisation et/ou de la modernisation suscitent des réactions anti mondialistes et anti modernes. Affirmer que les premières gagneront très vite, c’est formuler, au mieux, un vœux pieux.

Tewfik Aclimandos

CEDEJ LE CAIRE

[1] Déclaration rapportée par le quotidien cairote « al misrî al yawm », le 21/07/07

[2]. Voir M. Dobry (dir.), « Les transitions démocratiques. Regards sur l’état de la « transitologie » », Revue française de science politique, vol. 50, n° 4-5, 2000. La thématique de la « consolidation de l’autoritarisme » semble plus fructueuse pour l’analyse des régimes politiques arabes : voir M. Camau et V. Geisser, Le Syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Paris, Presses de la FNSP, 2003. Pour des auteurs combinant problématique de transitologie et analyse de l’islamisme égyptien, on citera Sa’ad al dîn Ibrâhîm, ‘Amr al Shubakî, Amr Hamzâwî, et des auteurs américains, de Thomas Carothers et Marina Ottaway à Graham Fuller et Robert Leiken. Cf. par exemple Leiken, Robert, Brooke : Steven : « The moderate Muslim Brotherhood », in Foreign Affairs, mars-avril 2007, ou Fuller, Graham : The future of political islam, mars-avril 2002 de la même revue. J’avoue être incapable de comprendre le besoin de légitimer le dialogue avec une force politique aussi puissante que les Frères musulmans en en brossant un portrait erroné. La puissance et l’influence de ladite confrérie sont une justification suffisante pour le dialogue.

[3]. Le meilleur côtoie le pire dans le discours académique sur les islamistes, et certaines attitudes méritent d’être relevées. D’abord une préférence pour les explications charitables, même absurdes. Si tous les auteurs auxquels je pense ne vont pas jusqu’aux extrêmes de F. Burgat (L’Islamisme en face ou L’Islamisme à l’heure d’al Qaeda, Paris, La Découverte, 1995 et 2005), il reste que le statut de principal opposant à des régimes peu défendables, tant au niveau éthique que politique, économique et social, vaut une certaine complaisance aux islamistes (et surtout aux supposés modérés). Ensuite une volonté « d’optimisme » qui parie sur une « ruse de la raison » donnant à l’action islamiste un « sens » dont les acteurs sont ou ne sont pas conscients, et qui surestime la portée de toutes sortes de phénomènes décrétés « nouveaux ». Cette remarque cible deux excellents auteurs, Patrick Haenni et Raymond W. Baker (dans Islam without fear. Egypt and the New Islamists, Cambridge, Harvard University Press, 2003, ou encore : Invidious comparisons : realism, post modern globalism and centrist islamic movements in Egypt inJ. L. Esposito (ed.), Political Islam : Revolution, Radicalism, or Reform ?, Le Caire, AUC Press, 1997. Ces deux auteurs ont tendance à ne pas voir qu’une culture arabe a existé au xxe siècle et que sur ce plan les islamistes représentent, pour l’instant, une régression. Enfin, les discours scientifiques sur les islamistes ont en commun d’expliquer l’émergence de la mouvance par une crise grave de leur société, que l’on décrit ou construit différemment selon les cas. La revue de littérature proposée par Haydar Ibrâhîm ‘Ali, dans son ouvrage « al tayârât al islâmiyya wa qadiyyat al dîmûcrâtiyya » (les courants islamiques et le problème de la démocratie), markaz dirâsât al wihda al ‘arabiyya, Beyrouth, 1996, fournit des analyses précieuses.

[4]. Le diagnostic vaut moins pour les études historiques sur la confrérie des années 1940-1950 et 1970.

[5]. Les articles de Hamzawi que l’on trouve sur le site de la Carnegie Endowment for International Peace sont un exemple de cet exercice. Voir <www.carnegieendowment.org>.

[6]. Cette explication se retrouve dans les classifications générationnelles proposées par Khalîl al ‘Inânî (je ne cite que le meilleur). Cf. al ‘Inânî, Khalîl : al ikhwân al muslimûn fi Misr : shaykhûkha tusârî’ al zaman, (Les Frères en Egypte : une vieillesse en lutte contre le temps), dâr al shurûq, le Caire 2007. Le réactionnaire que je suis voudrait souligner un point : les « vieux et vilains » décriés sont d’immenses messieurs, que vingt ans de prison n’ont pas brisés, et qui ont réussi, certes en terreau propice, à redonner une seconde vie à une formation qui avait pratiquement disparu. Un peu de respect pour ces parcours remarquables permet une meilleure compréhension des choses, et l’on rappellera aussi que ‘Abd Allâh al Khatîb, Mahmûd ‘Izzat et Khayrat al Shâtir, trois membres influents du Bureau de guidance, supposés théocrates, sont issus de trois générations différentes.

[7]. C’est notamment l’explication fournie par des « sources » au journal Al Hayât, dans son édition du 3 décembre 2007, pour justifier le maintien du refus de l’accès à la magistrature suprême aux femmes et aux coptes.

[8]. Cette phrase qui clôt le livre de X. Ternisien, Les Frères musulmans, Paris, Fayard, 2005, cadre bien avec l’argumentation centrale de l’ouvrage de F.  Burgat, L’Islamisme en faceop. cit. Si on la prend au sérieux, l’assertion implique que puisque les Frères, sous Moubarak, sont plus modérés qu’ils ne l’étaient sous Farouk, on peut en déduire que le régime Moubarak est plus démocratique, libéral, bref « gentil » que celui de la Monarchie.

[9]. La formule est de ‘Azîz al ‘Azmeh, in « al ‘ilmâniyya min manzûr mukhtalif » (la laïcité, vue autrement), markaz dirâsat al wihda al ‘arabiyya, Beyrouth, 1999.

[10]. C’est le consensus de la classe politique et des journalistes, et des sondages et des enquêtes semblent confirmer son bien-fondé.

[11]. Dire que les phénomènes ont des essences n’est pas accepter l’essentialisme. Voir J. Freund, L’Essence du politique, Paris, Sirey, 1965.

[12]. P. Raynaud, Max Weber ou les dilemmes de la raison moderne, Paris, PUF, 1996 [1re éd. 1987].

[13]. Mes schémas hypothético-déductifs proviennent d’une sorte de « type idéal » construit à partir de l’histoire des partis s’inspirant du marxisme et de celle des mouvements fascistes. Mes présupposés éthico-politiques sont que des griefs légitimes n’excusent pas des projets de société odieux, et que ces derniers ne doivent pas faire oublier que les griefs de ceux qui les défendent sont souvent légitimes…

[14]. Par exemple le port ou non d’une barbe, la tenue vestimentaire, le comportement en présence d’une femme…

[15]Marja’iyya, terme d’origine chiite, est polysémique : il peut vouloir dire « référent », comme « norme contraignante », ou encore « instance décisive » ou « source de la souveraineté ».

[16]. Par exemple, tel cadre qui proclamait souvent son attachement à la liberté, a été prié, par le quotidien Nahdat misr du 27 janvier 2007, de commenter une déclaration de l’un de ses confrères sur les bahaïs à propos desquels le shaykh Mâhir ‘Aql avait préconisé l’application de la peine de mort pour apostat. Il répondit : « C’est une opinion que l’on trouve dans le shar’, le député ne l’a pas inventée ». C’est l’argument classique de la confrérie

[17]. Proche d’al Bannâ puis de Hasan al Hudaybî, a été marginalisé par les « faucons » de la confrérie depuis une vingtaine d’années.

[18]. Voir la recension de son œuvre, et de celle de Aziz al Azmeh, dans Aclimandos : du réformisme islamique, in Commentaire, n° 120, hiver 2007.

[19]. Pour Sayyid Qutb, l’état « jâhilite » (état d’ignorance radicale pré-islamique, devenu chez lui ignorance sacrilège) est le trait distinctif des régimes, des sociétés et des civilisations qui ne reconnaissent pas la souveraineté de Dieu, n’appliquent pas la charia et reconnaissent à des humains le droit de légiférer, avec des conséquences néfastes, dont la perpétuation de relations d’exploitation et d’oppression.

[20]. On sait que les jihâdistes reprochent aux Frères de « diluer » la notion de jihâd, en mettant l’accent sur la dimension « effort » plutôt que sur la « lutte armée » – ils ont en un sens raison. Néanmoins, cette extension du domaine du jihâd, si elle fonde la renonciation à la violence, a comme conséquence de faire de l’ « effort » une sorte de « guerre ».

[21]. Le discours de l’islam politique est certainement le plus important producteur de mythes, de dichotomies manichéennes et de théories du complot de la région, même s’il n’est pas le seul. Il est malaisé de reconstituer l’origine de ces pseudo-doxas, mais il est clair que les Frères jouent un rôle dans leur diffusion.

[22]. J’ai travaillé sur les textes de Jum’a Amîn ‘Abd al ‘Azîz et de ‘Abd Allâh al Khatîb, deux membres du bureau de Guidance de la confrérie, qui dirigent les sections de la fatwa et de l’éducation. J’étudie actuellement ceux d’un auteur syrien, Sa’îd Hawwâ, très lu en Égypte, et dont les écrits illustrent ce que j’avance.

[23]. Les Frères ont publié fin 2005 un livre sur la conception shar’î des élections et du Parlement dont le principal auteur est Muhammad ‘Abd Allâh al Khatîb, le mufti de la confrérie. Il cite un article de Hasan al Bannâ du 4 novembre 1944 : il est nécessaire que la prédication pénètre dans les instances officielles, et la voie la plus simple est le Parlement, qui n’est pas l’apanage des partisans de la politique partisane (du’ât al siyâsa al hizbiyya), mais la tribune de la Nation. Il faut donner l’avis de l’Islam sur tout et le Parlement est le lieu approprié pour cela. Participer aux élections et accéder au Parlement permet en outre de devenir un mouvement de masse (et non une « organisation »). Voir le compte rendu in al misrî al yawm, 14 décembre 2005.

[24]. Entretien dans le cadre d’une étude que j’ai conduite pour la Délégation aux Affaires stratégiques, 2005.

[25]. Conversation avec ‘Adil ‘Abd al Bârî, autre spécialiste égyptien des Frères.

[26]. Alexandrin, recteur et propriétaire decole, il a été arrêté en 1965 dans le cadre de l’affaire Sayyid Qutb – mais il n’est pas qutbien. Membre du bureau de Guidance, il a écrit une importante défense de l’obligation du jihad, publiée en 1997, Al farîda al muftarâ ‘alayha : al jihâd fî sabîl allâh » (« L’obligation diffamée : le jihad sur la voie de Dieu »).

[27]. Ouléma et écrivain prolixe lui aussi. On lui doit entre autres dix tomes consacrés aux dix arkân (« piliers ») de la bay’a (« allégeance ») aux Frères musulmans.

[28]. Je pense à la musique populaire, à la danse et au cinéma, dont on sait qu’il a failli disparaître dans les années 1990, avant de connaître un renouveau. Dans la chasse à certains ouvrages, des Frères ont aussi joué un rôle primordial.

[29]. On se reportera à son texte dans le présent dossier.

[30]Al badîl, 15 août 2007.

[31] Par exemple la revue Uktûbar , le 11 mars 2007

[32]. Mahmûd Sâdiq l’a détaillé in Al watan al ‘arabî, 27 janvier 2006.

[33] Jamâl Hishmat, un ancien député Frère, évoquait le rôle du mufti de la confrérie : « Sa fonction est de « normer » [« dabt »], d’ajuster aux normes les actions politiques des Frères, afin qu’elles soient conformes à la charia ; son opinion n’est contraignante que pour les Frères[33]. » L’avis de la section porte souvent sur l’utilisation de l’argent de la zakât (aumône légale) ou des syndicats. Quelques fatwas sont embarrassantes pour la confrérie, comme celle estimant que la construction de nouvelles églises en Égypte devait être interdite. En soi, l’importance de cette section n’est pas la preuve d’une « idéocratie ». En effet, la fatwa est un va-et-vient entre le réel et la norme, et implique une prise de conscience des problèmes posés par le premier.

[34] Propos rapportés par l’hebdomadaire al Fajr, le 25/12/06

[35]. Entretien avec l’auteur, CEDEJ, printemps 2005.

[36]. Comprendre : ne pensent plus que le nationalisme est une idéologie importée, que l’État-Nation est une « invention » occidentale, tous deux destinés à détruire le cadre institutionnel qui est celui de l’islam (le califat) et qui se sont substitués, pour le plus grand malheur de tous, au « lien » de la religion et à l’umma de l’islam.

[37]. Selon le Daily Star du 9 novembre 2007, citant le World Values Survey, 79,4 % des Égyptiens se définissent en premier lieu comme « musulmans » et seuls 9,8 % comme Égyptiens. Moi-même me définissais, il y a quinze ans, comme Égyptien, alors qu’aujourd’hui ma catholicité prime. Les Frères ont une vraie responsabilité dans ce processus.

[38]. Depuis la seconde édition de son livre al haraka al siyâsiyya fi Misr, Le Caire, Dâr al Shurûq, 1982.

[39]. Mais J.-N. Ferrié le fait beaucoup mieux que moi au chapitre 2 de son prochain ouvrage sur l’Égypte.

[40]. Dans la consultance effectuée pour la Délégation aux Affaires stratégiques, ministère français de la Défense, septembre 2005. Cf. Consultance Aclimandos, « islamistes et démocratie en Egypte ».

[41]. Ma position est que, outre quelques exceptions, cette dernière ne ment pas en général, même si elle n’est pas en mesure de prouver ses assertions dans un procès régulier ou s’il lui arrive de se tromper.

[42]. Information confirmée par un journaliste hostile aux Frères et (mais) bien informé, Hamdî Rizq. Voir Al Musawwar, 11 août 2006.

[43]Al Dustûr, 20 décembre 2006.

[44]N. Brown, A. Hamzawy et M. Ottaway, « Islamist movements and the democratic process in the Arab world : exploring the gray zones », Carnegie Paper, n° 67, mars 2006.

[45] Les documents en question ont été publiés par l’hebdomadaire al Mussawwar en 1992.

[46] Pour ne donner qu’un exemple illustrant la comparaison, j’invite le lecteur à consulter les numéros du mensuel frère « al da’wa » de l’été 1981. Nombreux sont les Frères qui parlent plus facilement et plus amicalement aux coptes, les déclarations officielles des dirigeants de la Confrérie tentent plus systématiquement d’être rassurantes, etc.

[47] Sur la question du statut de la femme, les attitudes des Frères varient grandement : certains leurs serrent la main, d’autres non ; les épouses de certains portent le hijab (voile dissimulant les cheveux), d’autres le niqab (qui fait disparaître le visage). Le programme frère affirme que la femme est l’égale de l’homme, qu’elle a le droit de travailler, mais que son rôle et sa mission principaux sont au foyer. Il ne faut pas lui imposer des missions « contraires à sa nature » – comme par exemple la Présidence de la République –, et les travaux et fonctions qu’elle peut occuper sont déterminés dans le cadre de la marja’iyya islamique… En revanche, les propositions de détail sont intéressantes quoique vagues, et le programme déplore, en conclusion, le fait que la libération « excessive » de la femme a entraîné en réaction une radicalisation des attitudes misogynes…

Israël mérite une mention. Si l’on excepte une récente déclaration d’al ‘Iryân (membre du majlis shûra), qui a affirmé que les Frères au pouvoir reconnaîtraient Israël mais s’est vite rétracté, on peut dire que la confrérie a adopté avant le Hamas la position de ce dernier : « respecter les accords conclus, mais ne pas reconnaître Israël ». Mais d’autres responsables frères, tout en réitérant leur hostilité et celle de la confrérie à toute reconnaissance de l’état hébreu, ont affirmé qu’en cas d’arrivée au pouvoir, un référendum sur cette question serait organisé et que l’on laisserait le peuple décider)

[48]. Je voudrais écrire un article intitulé « Mon problème avec les Frères démocrates ». Par exemple, une tribune d’opinion publiée dans le Daily Star Egypt le 10 novembre 2007 par Ibrâhîm al Hudaybî, membre de l’équipe d’Ikhwân On line et étoile montante de la confrérie, est éclairante. On y lit que les gouvernements occidentaux ne savent pas faire la différence entre terroristes et islamistes (ce qui est faux), qu’ils n’ont pas compris que les « islamistes modérés » acceptent la démocratie et qu’ils respectent les libertés civiles et les droits de l’homme. Si le respect desdites libertés est le critère décisif de la modération, force est d’admettre que la Confrérie n’est pas modérée : est-elle disposée à reconnaître à un athée le droit de proclamer son athéisme ? à un musulman de renier publiquement sa foi ? Arrêtons de plaisanter ! Il explique que même en Occident il n’y a pas de consensus sur la définition des droits de l’homme et invoque le relativisme culturel pour affirmer que les décisions sur ces questions doivent être fondées sur les « valeurs de la majorité » (mais accepterait-il la position française sur le voile au nom des valeurs de la majorité ?). Il affirme que les islamistes croient en l’égalité de tous les citoyens (sauf que les non musulmans et les femmes sont moins égaux que les autres). Il ajoute que les écrits des auteurs « islamistes », tels al Qaradâwî, al Bishrî et al ‘Awwâ, montrent le respect islamiste pour les droits de l’homme et les libertés. Mais, outre que l’on pourrait énumérer leurs dérapages (à l’exception d’al Bishrî), que l’on peut critiquer leurs divers travaux, les deux derniers nommés ne sont pas Frères….

[49]. Conversation personnelle avec Gil Delannoi.

[50]. Entretien avec l’auteur, Paris, 26 juin 2005

[51].  conversations avec l’auteur, le Caire, été 2007.

[52]. Entretien avec l’auteur, le Caire, 29 août 2007

[53]. Entretiens avec l’auteur. Le Caire, hiver 2004-2005

AL-BANNAOUN (البناؤون) ET AL-QOTBIYYOUN (القطبيون)

Al-Bannaoun (البناؤون) et Al-Qotbiyyoun (القطبيون)

25.05.2015 Mohamed Louizi

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Deux principaux courants qui sont nés, à l’intérieur même de la confrérie, dès l’assassinat d’Hassan Al-Banna en 1949, qui ont pris forme depuis les années cinquante et qui continuent de coexister, malgré tout, et de rythmer la dynamique interne, avec des oppositions très conflictuelles – justement au sujet du recours systématique à la violence et aussi au sujet du culte secret – avec un rapport de force très déséquilibré, toujours en faveur des tenants d’un discours va-t-en-guerrier, que les cosmétiques langagiers, là-bas comme ici, n’arrivent plus à masquer.

Il s’agit, premièrement, du courant minoritaire, dit Al-Bannaoun (البناؤون), relatif à Al-Banna, un courant plutôt réformiste, modérément jihadiste et rejetant le takfirisme, représenté, dans une certaine mesure, par le deuxième guide-suprême Hassan el-Houdaybi et puis, plus clairement, par le troisième guide Omar el-Tilmisani.

Et deuxièmement, le courant majoritaire, dit Al-Qotbiyyoun (القطبيون), les Qotbistes, une branche dure de la confrérie, acquise à la pensée de Sayyid Qotb, visant le pouvoir politique, à tout prix, et vénérant le Jihad armé et l’usage de la violence, si nécessaire. Les têtes d’affiche de ce courant, tous ou presque, étaient, ou sont toujours, membre de la direction des milices de jeunes paramilitaires de la confrérie, connu sous le nom d’ « al-Tanzim al-Khas » (التنظيم الخاص), que fonda Hassan Al-Banna en 1940.

Depuis 1996, avec l’arrivée du cinquième guide-suprême, Mustafa Machhourle courant réformiste a été affaibli, mis à l’écart, et rendu très minoritaire par les qotbistes. Depuis, ce sont bel et bien les membres du noyau dur de ce courant qui ont poussé Mohamed Morsi à se présenter aux élections présidentielles de 2012, pour atteindre ainsi le but ultime, tracé dans le plan secret du Tamkine, découvert par la police égyptienne en 1992, à la marge de la fameuse « Affaire Salsabîl »,  chez l’un des qotbistes les plus redoutables. Il s’agit de Mohamed Khayrat al-Chater, qui devait être le candidat des « frères » en 2012 et que Mohamed Morsi a du remplacer, pour raison de casier judiciaire non vierge.

Toutefois, le plus qotbiste de tous, c’est l’actuel guide-suprême par intérim, qui a fuit l’Egypte, selon de nombreuses sources concordantes, à l’aube de la chute du régime des « frères », en 2013. Il s’agit de Mahmoud Ezzat, surnommé «L’homme de fer», ou « le chef de fil du courant qotbiste », ou le « Monsieur X des frères » ou bien « Le renard ». Il était le bras droit d’un certain Sayyid Qotb jusqu’à sa pendaison, en 1966.

6-_mahmoud_ezzat.png Frères Musulmans

© ML

Aujourd’hui, il vit quelque part à Gaza, au Qatar, au Yémen, ou en Turquie. Les informations concernant son lieu de résidence actuel sont contradictoires. Ce qui est sûr et certain, c’est qu’il a fuit quelques part. Ses stratégies qotbistes, ses choix idéologiques et politiques sont, en partie, responsables du chaos égyptien actuel.

Cela ne justifie en aucun cas l’injustice et la barbarie des condamnations à mort des membres et responsables de la confrérie qui n’ont pas fuit leur pays. L’histoire retiendra les responsabilités effectives du régime corrompu en Égypte depuis des décennies, au moins depuis l’ère d’Hosni Moubarak, plongeant l’Egypte dans la misère généralisée. L’histoire retiendra le rôle des militaires dans l’instrumentalisation d’une colère populaire légitime, après un an de gouvernance islamiste inquiétante et très approximative, tâchée de nombreuses fautes incompréhensibles et insoutenables[21]. L’histoire retiendra aussi les responsabilités morales, des uns et des autres.

L’histoire retiendra certainement, enfin, la fuite de l’architecte d’un si très mauvais édifice, qui a fini par s’effondrer, tuant d’abord ses propriétaires. Il court, il court le « renard ». Il est passé par ici. Il repassera par là. Le « renard » est bien caché. Mais Mohamed Morsi, le président élu démocratiquement, puis destitué par un coup d’état militaire sanglant, est en attente d’une énième exécution, opérée par une « machine de la mort », coupant les têtes, en régime forcé, au vu et au su du monde entier.

Qui a énoncé, en premier, le but du Tamkine à tout prix ? Qui est responsable de semer la première graine de la violence dans la tête des « frères », et dès leurs jeunes âges? Qui a entretenu ensuite, cette jeune plante maudite ? Qui a continué à arroser cet arbre lugubre?

Mohamed Louizi

Hassan Al-Banna et la jeunesse (1/4)

L’EPÎTRE AUX JEUNES TOUJOURS ESSENTIEL SUR HAVRE DU SAVOIR ET CBSP-FRANCE

L’Epître aux jeunes toujours essentiel sur Havre du Savoir et  CBSP-France

25.05.2015 Mohamed Louizi

Force est de constater, effectivement, que le discours de Hassan Al Banna, prononcé, il y a presque quatre-vingts ans, dans une Égypte de l’époque, administré sous protectorat britannique, trouve toujours une résonance particulièrement intense, aujourd’hui même en France.

Sur le site « Havre du Savoir », géré par le « frère » Moncef Zenati, membre du bureau exécutif de l’UOIF et chargé de l’enseignement et de la présentation de l’islam, une traduction d’un extrait[19] sélectionné de cette épître, est disponible en accès libre. Cet extrait n’est qu’une annonce, un avant-goût. Pour plus d’informations à son sujet, il faudrait se rapprocher des « frères » chargés de la présentation de l’islam d’Hassan Al-Banna, dans chaque ville. Je ne ferais jamais ici le reproche à un « frère » de rendre publique un texte du fondateur de la confrérie, dont il fait parti, sur un site dédié à la vulgarisation de sa pensée, bien au contraire. Encore faudrait-il que cette affiliation idéologique et organique incontestable soit simplement assumée ! Je pourrais tout de même me demander pourquoi se limiter à traduire uniquement à un tout petit paragraphe, habillement choisi, d’un très long texte de dix pages, très explicite ? Pourquoi les visées stratégiques et les étapes, par exemple, n’ont pas été traduites ?

Par ailleurs, et c’est là où le constat est troublant et de nombreuses interrogations deviennent légitimes, c’est lorsque le directeur du « Comité de Bienfaisance et de Secours aux Palestiniens » (CBSP-France), « frère musulman » à son tour, et membre très actif de l’UOIF, publie le 5 septembre 2014 sur son mur Facebook, un enregistrement sonore en arabe, diffusé par la chaine qatari Al-Jazeera, de l’introduction de cette épître d’Hassan Al-Banna, adressée à la jeunesse. Lorsque l’un de ses amis francophones lui demanda gentiment une « petite traduction ». Le directeur CBSP-France répondait qu’Hassan Al-Banna voulait insister sur le rôle de la jeunesse. Le directeur de cet organisme, officiellement à caractère caritatif, résumait le propos de son défunt guide-suprême en synthétisant à sa façon, je cite : « Tout simplement les jeunes, les jeunes, les jeunes, sont le ciment de toute civilisation, de toute renaissance, etc. ». Néanmoins, quel est le rapport entre le CBSP-France et Hassan Al-Banna ? Entre le CBSP-France et la jeunesse musulmane ? Entre l’humanitaire, l’idéologique et l’apologétique ?

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 © ML

Le 14 février, après avoir partagé la photo du président turque Erdogan, faisant le signe de ralliement aux « Frères Musulmans » d’Égypte, avec ladite « main de Rabia »  – ou les quatre doigts du Tamkine – le même responsable du CBSP-France, posta un mot et un lien.

Dans son mot, il disait : « Soutenons le lycée musulman Averroès de Lille » et le lien est celui de la pétition : « Avec Averroès »[20]. Le 17 février, il republia ce même message et ce même lien de soutien au lycée lillois. Le 18 février, il publia un article du site saphirnews en faveur du lycée. Toujours le 18 février, il publia à nouveau son message de soutien et le lien vers la pétition, et ainsi de suite ! Des choses restent très confuses dans ma tête, je ne comprends pas le lien entre le CBSP-France ; l’épître d’Hassan Al-Banna adressée aux jeunes, il y a quatre-vingts ans ; la main du Tamkine d’Erdogan et le soutien répétitif au « Lycée Averroès ». Y’aurait-t-il déjà un lien, direct ou indirect, entre une association caritative, pour l’aide aux palestiniens, et un lycée privé musulman sous contrat d’association avec l’Etat ? Y’aurait-il là un quelconque conflit d’intérêts ? Un débordement de l’idéologique sur l’humanitaire ? Ou une simple bienfaisance et solidarité avec les jeunes de la « bande » du lycée Averroès ? Comprendra qui voudra, me dit-on. Moi, j’ai ma petite idée.

Mohamed Louizi

Hassan al-Banna et la jeunesse 1/4

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HASSAN AL-BANNA : À L’ORIGINE D’UNE OBSESSION

Hassan Al-Banna : à l’origine d’une obsession

25.05.2015 Mohamed Louizi

Hassan Al-Banna (1906 – 1949) était professeur des écoles primaires durant presque dix-neuf ans. En parallèle avec ses fonctions dans l’enseignement, il commença sa prédication et fonda la confrérie des « Frères Musulmans » en 1928. Il quitta le chemin des écoles en 1946. L’éducation des enfants et des jeunes le préoccupait singulièrement. Cette préoccupation était excessivement manifeste chez ses « frères » contemporains. Elle l’est toujours chez ses successeurs, en Égypte, dans les pays arabes et en Occident.  S’adresser à ces tranches d’âge, à travers les parents, les instituteurs, mais aussi de manière directe, lors de rassemblements ou durant les colonies de vacances, cela représentait l’une de ses priorités capitales. Il considérait, durant toute sa vie, la jeunesse, y compris la très jeune jeunesse, comme étant l’avenir de son mouvement et de son projet islamiste.

Hassan Al-Banna et la jeunesse (1/4) dans Actualites 1-_hassan_al_banna_et_la_jeunesse.png

© ML

En effet, dans ses différentes épîtres, nombreux sont les passages dans lesquelles il abordait, longuement, la question de l’éducation de la jeunesse selon les préceptes religieux islamiques, et surtout suivant les fondamentaux de sa vision idéologique et de sa doctrine politique. Il y a même une épitre, de presque dix pages, professée vers la fin des années trente du siècle dernier, dédiée expressément à la jeunesse. Celle-ci commence ainsi :

«   Ô jeunes ! Une idée ne peut connaître le succès que si l’on y croit fortement ; que si l’on fait preuve de loyauté à son égard ; que si l’enthousiasme s’amplifie pour elle et que si l’on fait preuve d’aptitude  à se sacrifier et à œuvrer pour la concrétiser. D’ailleurs, ces quatre éléments fondamentaux, à savoir : la conviction, la loyauté, l’enthousiasme et l’action sont des qualités qui sont presque spécifiques aux jeunes. Car la base de la conviction, c’est le cœur intelligent. La base de la loyauté, c’est l’esprit sain. La base de l’enthousiasme, c’est le sentiment fort. Et la base de l’action, c’est l’ardente détermination. Toutes ces qualités ne se trouvent que chez les jeunes. C’est pour cette raison que les jeunes ont toujours été, par le passé comme aujourd’hui, dans chaque nation, le pilier central de son renouveau. Et dans chaque renouveau, ils étaient le secret de sa force. Et pour toute idée, ils sont les porteurs de son étendard. Dieu dit : « C’étaient des jeunes gens [les gens de la caverne] qui croyaient en leur Seigneur et que Nous avons fortifiés dans la bonne voie »[1] (La caverne) »[2].

Dans cette même lettre historique, Hassan Al-Banna expliqua à cette jeunesse ses devoirs et obligations, pour sauver la nation musulmane des dérives et des échecs. Il exposa, en des termes clairs, l’essentiel de sa vision stratégique lointaine, ainsi que les missions que cette jeunesse devait accomplir, pour atteindre les buts politiques recherchés par la confrérie.

2-_eleve_egypte.png Affaire Salsabil dans Associations

© ML

Ici, il rappela l’un de ses crédos essentiels, je traduis : « Nous croyons fermement qu’il n’y a qu’une seule et unique idée qui est capable de sauver ce monde tourmenté, d’orienter l’humanité perdue et de guider les gens vers le droit chemin. Une idée qui mérite que l’on y sacrifie nos vies, notre argent et tout ce que l’on possède, que ce soit des choses dérisoires ou bien très chères, pour la proclamer et l’annoncer aux gens, afin de les entraîner à l’embrasser. Cette idée est l’islam »[3].

Un peu plus bas, il dit : « Nous allons faire le Jihad pour concrétiser notre idée. Nous allons lutter pour sa cause durant toute notre vie. Nous allons appeler tout le monde à y adhérer. Nous allons tout sacrifier pour elle. Deux choix nous sont offerts, ou bien nous vivront dignes grâce à cette idée, ou bien nous mourrons dignes pour sa cause. Notre devise sera toujours : Allah est notre ultime but ; le Messager est notre exemple et guide ; le Coran est notre constitution ; le Jihad est notre voie ; mourir dans le sentier d’Allah est notre plus grand espoir »[4].

[1] Coran, 18, 13.

[2] Hassan Al BannaÉpîtres de l’imam martyr Hassan Al-Banna(en arabe), Dãr Al-Hadarah Al-Islamiyyah, p. 173.

[3] Hassan Al BannaIbid. p. 175.

[4] Hassan Al BannaIbid. p. 176.

QUAND ABDALLAH SCHLEIFER PARLAIT DE HASSAN AL TOURABI

Quand Abdallah Schleifer parlait de Hassan Al Tourabi

16.05.2015 Michaël Prazan

Abdallah Schleifer est l’ancien ancien directeur du bureau moyen-oriental de la chaîne NBC

Au début des années 90, après une interview à Khartoum de Hassan al-Tourabi, le journaliste américain, un juif New yorkais converti à l’islam soufi entame avec lui une longue interview sur l’islam politique :

« J’étais estomaqué par son intelligence et par sa connaissance de la culture occidentale, ce qui est très rare parmi les dirigeants de la Confrérie des frères musulmans ; surtout ceux de sa génération. Les jeunes frères qui émergent actuellement en Europe sont certainement plus au fait de la culture occidentale que ne le sont ceux de l’âge de Tourabi. Lui, avait fait ses études à Londres, et il avait passé sa thèse de doctorat à Paris, à la Sorbonne. Il avait lu les auteurs anglophones et français dans leur langue d’origine. En plus de la littérature européenne, il connaissait parfaitement le corpus des auteurs islamistes contemporains. Hassan al-Banna, bien sûr, mais aussi Sayyid Qutb, ou le pakistanais Abu’l-A’la Mawdudi. Beaucoup de Frères viennent d’un milieu laïc, et ils ne sont pas aussi bien formés qu’on pourrait le croire à cette littérature. Tourabi m’a paru très différent des chefs traditionnels de la confrérie que j’avais rencontrés jusqu’alors, et dont Ayman al-Zawahiri est en quelque sorte le prototype – des gens ayant fait des études médicales, qui ont, soit grandi dans un milieu totalement religieux, soit dans un milieu laïc, et qui se sont radicalisés à la suite d’un accident de parcours dans leur vie privée. Tourabi était quelqu’un d’intimidant, mais comme il était aussi sympathique, j’ai osé une question dont je savais qu’elle allait lui déplaire. Je lui ai dit : ‘J’ai adopté l’islam parce que je suis tombé amoureux, au Maroc, de la culture traditionnelle que j’ai rencontrée là-bas. La chaleur, la tolérance des gens, la dimension universelle de leur relation à l’islam. Or, chaque fois que j’ai discuté avec des Frères musulmans, j’ai davantage reconnu dans leur discours mon passé de militant marxiste, au sein de la Nouvelle gauche révolutionnaire, que la chaleur, la douceur des émotions que j’ai gardées de mon séjour au Maroc, et qui représentent pour moi le véritable islam. Quand je parle avec les Frères musulmans, j’ai souvent l’impression de me retrouver avec mes anciens compagnons révolutionnaires, avec des membres du ‘parti’.’ Pour moi, l’idéologie de la Confrérie avait plus à voir avec le léninisme qu’avec l’islam.

Il s’est mis à rire, et il a dit :

« Vous avez raison, et vous n’êtes pas le premier à le penser. Il n’y a pas de différence entre nous et les marxistes. Même en comparant nos slogans, il vous sera possible de trouver des points communs. La seule différence, c’est que nous sommes ceux qui ont chassé les communistes de Khartoum. »

« Au fond, l’islamisme est une sorte de dérivé de l’aile droite du léninisme. Et qu’est-ce que l’aile droite léniniste, sinon le fascisme ? Le fascisme n’est pas un mouvement conservateur. Il a toujours été un mouvement révolutionnaire tout autant opposé au conservatisme qu’au communisme ou à d’autres formes de socialisme. Beaucoup de choses ont été introduites dans la politique moderne par le marxisme-léninisme. Des notions telles que le mouvement de masse, le drapeau, le salut ; tout cela a été renouvelé, et de la manière la plus efficace par le léninisme dont le fascisme est une version un peu moins utopique que le communisme. Dans le cas du nazisme, la vision idéale d’un monde débarrassé des Juifs remplace celle, communiste, d’un monde débarrassé de la bourgeoisie. Le salut fasciste, d’un point de vue émotionnel, est plus puissant qu’un poing fermé. Aujourd’hui, nous sommes bien sûr horrifiés par cela, nous l’associons au nazisme et à toutes les choses terribles qu’il a produites. Mais il suffit de regarder le drapeau nazi pour comprendre qu’il parle directement aux gens. La croix gammée symbolise la vie depuis des milliers d’années en Inde. C’est un symbole très fort, alors que la faucille et le marteau ne résonnent que pour une fraction du peuple. C’est seulement le symbole des ouvriers et paysans. Aujourd’hui, si j’avais la chance de revoir Tourabi, je lui dirais : « Je sais maintenant pourquoi votre mouvement a été capable de stopper le communisme – tout comme le fascisme, que ce soit en Italie ou en Allemagne, avait naguère vaincu les communistes. Les Frères musulmans ont été touchés par le léninisme, comme ils ont été touchés par de nombreux autres phénomènes européens, mais en termes d’organisation, en tant que parti, en tant que mouvement de masse, son plus proche cousin, c’est le fascisme. » C’était beaucoup plus facile à comprendre pour un frère musulman formé dans les années 30, comme Hassan al-Banna, et bien d’autres, que ça ne l’est aujourd’hui. Le Léninisme a en fait été absorbé par les Frères musulmans à travers leur romance avec le fascisme. »

Michaël Prazan

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QUAND RACHED GHANNOUCHI PARLAIT DE HASSAN AL-TOURABI

Quand Rached Ghannouchi parlait de Hassan al-Tourabi

12.05.2015 Michaël Prazan

A la fin des années 80, après la série d’attentats menée par la branche militaire et clandestine d’Ennahda, et une tentative de coup d’Etat, Rached Ghannouchi, le fondateur et le chef charismatique de branche tunisienne des Frères musulmans, doit fuir la Tunisie. A l’invitation du FIS, il s’installe en Algérie. Parachuté conseiller politique du parti islamiste, Ghannouchi se charge notamment des relations avec l’Arabie Saoudite et le Qatar. Mais, quand éclate la guerre civile, que les dignitaires du FIS sont arrêtés, le contexte ne lui permet pas de demeurer plus longtemps en Algérie. Il reprend le chemin de l’exil.

« Avec l’avènement de la démocratie au début des années 90, et le coup d’état perpétré contre elle durant cette même période, les centaines de cadres d’Ennahda qui résidions en Algérie et moi-même avons été contraints de trouver un autre pays où résider. Nous sommes allés au Soudan. Hassan al-Tourabi, chef des Frères musulmans soudanais, était l’un de nos amis. Nous étions très influencés par son mouvement lorsqu’il était opposant. Après son arrivée au pouvoir [en 1989 dans l’entourage du nouveau chef d’Etat le général Omar El Béchir], la donne a changé. Mais, dans les années 70, la mouvance islamiste soudanaise est l’une de celles qui a le plus inspiré la mouvance islamiste tunisienne. Ajoutons à cela la révolution iranienne, et le mouvement islamiste de Nadjm Eddine Arbakan en Turquie, qui ont également eu un impact important sur nous. »

Dans un entretien accordé au journal Al Shira au mois d’octobre 1994, alors installé à Londres, le chef d’Ennahda n’a pas de mot assez fort pour traduire son admiration pour Hassan al-Tourabi :

« Dr Tourabi est un « Mujaddid » (un réformateur). Il a inspiré toute une génération d’islamistes. Je suis l’un d’entre eux. Cela tient à l’engagement de son intelligence pour la tradition établie (Fikr Usuli), à son approche réaliste et pratique de l’islam. Cela ne signifie pas que son opinion sur certains problèmes ou cas particuliers soit admis par tous les islamistes. Je ne peux parler qu’en mon nom, et, pour ma part, je pense que Tourabi est le maître de notre génération. »

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DES FRÈRES MUSULMANS, DE L’INDUSTRIE DE LA MORT ET DES GRENOUILLES

Des frères musulmans, de l’industrie de la mort et des grenouilles.

01.05.2015 Mohamed Louizi

Les ON et OFF de l’UOIF …

Durant les vingt derniers mois, du 30 juillet 2013 au 30 avril 2015, l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), a publié sur son site Internet (ici), cent et un communiqués officiels. En moyenne, un communiqué officiel tous les six jours. Ainsi, comme l’indique le graphique ci-dessous, cette organisation, représentant l’idéologie islamiste, et s’inscrivant incontestablement dans le projet Tamkine des « Frères Musulmans », appliqué à la France, s’est précipitée à condamner, ou à exprimer sa profonde tristesse, ou à prendre position « pour » ou « contre » quelque chose, à chaque fois elle a jugé indispensable de le faire. Et à chaque fois où sa prise de position politique devait  préserver quelques intérêts (surtout en terme d’image et de résonance médiatique) et aussi lorsqu’une telle expression officielle ne mettait surtout pas en péril d’autres intérêts politiques et financiers supranationaux.

Ses prises de positions peuvent être ainsi classées en six groupes synthétiques :

  1. Condamnation du terrorisme islamiste international : Vingt-neuf communiqués ;
  2. Informations au sujet des affaires courantes de l’UOIF et de l’islam « en » France : Vingt-six communiqués ;
  3. Condamnation de ladite « islamophobie » (et sommairement du racisme) : Dix-neuf communiqués ;
  4. Soutien à la Palestine et au Gaza : Douze communiqués ;
  5. Questions internationales diverses (inondations, accident minier, glissement de terrain, tremblement de terre, etc.) : Dix communiqués ;
  6. Soutien aux « Frères Musulmans » d’Egypte et ceux de la diaspora : Cinq communiqués.

L’UOIF s’est habituée à condamner, entre autres, des attentats et autres exécutions barbares, commises par « l’Etat Islamique », ou par « Boko Haram », ou par d’autres groupes salafistes jihadistes, en Orient comme en Occident. Elle se montre, à chaque drame, solidaire des familles des victimes du terrorisme islamiste international. Elle exprime ses inquiétudes lorsque ses leaders égyptiens souffrent de la répression et des lourdes condamnations judiciaires, prononcées sous le régime putschiste pseudo-militaire en place. Elle se positionne systématiquement du côté palestinien, et des gazaouis du Hamas en particulier, lors des hostilités contre Israël. Elle pleure la mort d’un ministre palestinien ou le décès d’un leader « frère musulman » syrien, résident en Espagne. Elle déplore les victimes des frappes aériennes israéliennes contre la bande de Gaza, etc. Bref, la ribambelle des communiqués de l’UOIF fait croire à une réactivité impartiale de condamnation de tout ce qui pourrait, voire devrait, être condamnable. Cependant, l’UOIF, comme bien d’autres organisations politiques, a bel et bien ses limites, ses partialités, ses partis pris, ses intérêts, ses complicités et ses silences.

D’ailleurs, force est de constater que cette entité frériste se tait, volontairement, quand il s’agit de prendre clairement position par rapport aux racines idéologiques, religieuses et historiques des violences commises au nom d’Allah. Mis à part ses répétitions machinales à outrance devant des caméras, à chaque attentat commis par des jihadistes, que : « l’islam est une religion de paix et d’amour », « les musulmans de France ne peuvent être comptables des actes terroristes », « Not in my name », etc. Aucun communiqué officiel, aucun article instructif et documenté, aucune publication sérieuse,  s’attaquant frontalement, et sans ambiguïté, aux racines idéologiques de toutes ces calamités islamistes sanguinaires, contenues expressément dans de nombreux textes et fatwas, ne sont hélas disponibles aujourd’hui, ou accessibles sur ses plateformes numériques et interfaces publiques. S’agirait-il d’oublis ? De simples erreurs d’appréciation ? De condamnations très sélectives ? De partialités non avouées ? De silences à peine troublés par le retentissement des bombes ici ou là ? Ou bien de choix idéologiques assumés de «dire », en vérité, pour « ne rien dire » ? De montrer ses larmes, tout en exaltant les armes?

En effet, l’UOIF condamne l’exécutant jihadiste mais ne condamne jamais le cheikh salafiste pétrodollar, ultra-médiatisé qui le télécommande depuis l’Arabie Saoudite ou le Qatar. L’UOIF condamne celui qui appuie sur la gâchette, tuant au passage enfants, hommes et femmes, mais ne condamne jamais le « prince de guerre » qui lui livre armes, munitions, fatwas et couverture médiatique. Elle condamne le soldat jihadiste et épargne le grand cheikh takfiriste.  Elle condamne l’acte terroriste mais ne condamne jamais le texte religieux qui le sous-tend et le justifie (lire par exemple le hadith authentique ci-dessous). Elle condamne, parfois, le sabre mais épargne, toujours, les recueils « sacrés » qui attribuent ce genre de paroles au Prophète, je cite : « Sachez que le paradis est à l’ombre des sabres »[1] !

Ce même hadith est l’un des nombreux textes, Coran et Sunna, que le guide Hassan Al-Banna avait cités dans son épître intemporelle du Jihad, adressée de son vivant aux « Frères Musulmans », ceux de son temps, comme ceux de tous les temps après lui. Une épître idéologique rouge-sang, très explicite en dix-sept pages, que je traduirai prochainement et qui se termine par cette prière peu surprenante : « Chers frères, sachez que la nation qui excelle dans l’industrie de la mort, et qui sait comment mourir honorablement, Allah lui offre une vie généreuse ici-bas et la béatitude dans l’au-delà … Œuvrez, chers frères, pour une mort noble, vous obtiendrez certainement le bonheur parfait. Qu’Allah nous accorde la dignité du martyre pour sa cause »[2]. Amen !

Les « frères », ennemis de la liberté de conscience ?

Par ailleurs, l’UOIF se dit « pour » la liberté de conscience, de religion et d’expression. L’on pourrait presque s’en réjouir. Cependant, elle ne condamne jamais les atteintes graves à ces mêmes libertés fondamentales, surtout dans des pays arabo-musulmans où ces libertés ne sont ni reconnues par la loi, ni protégées dans les faits. De mémoire d’ancien « frère », l’UOIF n’a jamais condamné des textes sacrés fondateurs de la peine de mort, pour apostasie, ou de la lapidation ou d’autres châtiments corporels ancestraux, toujours sollicités par des dictatures wahhabites ou par des gouvernements islamistes, qui comme l’UOIF, sont liés par allégeance, explicite ou tacite, au guide-suprême égyptien. Le « frère Tariq » avait osé évoquer vaguement, dans un passé antérieur, l’idée d’un « moratoire ». L’UOIF, jamais !

Bien au contraire, des imams métropolitains de l’UOIF n’hésitent pas à solliciter ce même « arsenal » textuel meurtrier et délirant pour terroriser des intelligences critiques, et assombrir bien des perspectives. Là-bas, quelque part dans la région lyonnaise, il y a presque un mois, un imam « frère musulman », visiblement irrité par la parution de quelques témoignages,  publia une tribune, sur son profil Facebook public, contre ceux désignés, par son éminence verte, et dès le titre, comme étant des « Faux-musulmans ». Sa sainteté les a prénommés : MalekRachidAbdennourFarid et Mohamed. Les concernés se reconnaitront de toute évidence.

Quelques heures plus tard, en prenant conscience, me semble-t-il, de la dangerosité de son propos, d’un point de vue légal – peut-être, a-t-il été averti, presque à temps, par le service juridique de la confrérie ? – il supprima sitôt cette tribune inquisitoire de son profilFacebook, mais certainement pas de certains disques durs, qu’il en soit rassuré ! Ensuite, il la republia sur son blog (ici) après avoir modifié le titre et supprimé les prénoms de ses cibles vilipendées. Il n’était plus question de « Faux-musulmans » – les MalekRachidAbdennour,Farid et Mohamed – mais plutôt de «Faux réformateurs musulmans ». Toute une nuance, me dirait-on. Mais, une chose est sûre, son texte regorge toujours de jugements graves, de procès inquisiteurs, de prétentions vaniteuses, de suspicions dangereuses, et de contre-vérités et autres confusions très malhabiles. Comme d’habitude, aucune critique instructive du fond des idées des uns et des autres. Toujours fidèle à la pratique d’étiquetage, différenciant ce qui est produit halal de ce qui ne l’est pas. C’est juste Calvin qui s’en prend à Servet. Ainsi parla sa sainteté valentinoise !

Ici, quelque part dans la métropole lilloise, un autre cheikh « frère » n’hésite pas a usé des « perles » de cet « arsenal » moyenâgeux, pour désigner des apostats, des hypocrites, des égarés et j’en passe. L’actuel président national de l’UOIF, en personne, s’en sert fréquemment dans ses prêches de vendredi, pour parler d’un « nous » et d’un « eux », d’un axe du bien et d’un axe du mal. Un « nous » le désignant lui le baron du Nord et ses inféodés comme des bons croyants, des bons musulmans, le groupe sauvé selon un autre hadith. Et un « eux » désignant, instrumentalisation et perversion des versets et hadiths à l’appui, les autres, des faux-croyants, des hypocrites, des égarés, des musulmans non-pratiquants – s’adressait-il par médias interposés à Manuel Valls – une cinquième colonne au sein de ladite communauté musulmane et des musulmans qui, à l’entendre, ne seraient pas si musulmans que ça. Ah, comme ils sont tolérants les « frères » d’Hassan !

Au demeurant, l’UOIF n’a jamais condamné les fatwas ou les jugements des tribunaux d’inquisition islamiste, accusant des libres-penseurs musulmans d’apostasie et les sanctionnant  à de la peine de mort, ou aux coups de fouets, ou à de l’emprisonnement, etc. L’UOIF entretient des paradoxes et des confusions. D’un côté, elle s’est toujours montrée solidaire et sensible aux douleurs des familles des journalistes et autres humanitaires occidentaux, pris en otage ou exécutés lâchement par la barbarie islamiste : Sa tactique l’oblige. De l’autre côté, elle ne s’est jamais montrée solidaire avec des blogueurs, des journalistes, des libres-penseurs et des hommes politiques, menacés ou exécutés par ce « fascisme vert » – qui ne doit pas être confondu avec la confession de la majorité des français musulmans – et qui s’étend aux quatre directions de Riyad, de Doha et de Paris : Sa stratégie l’interdit.

En vingt mois, l’UOIF, bien qu’elle soit associée aux manifestations d’unité nationale condamnant les attentats de Paris de janvier dernier, et bien qu’elle ait exprimé ses profondes (!) et sincères (!) convictions en faveur de la liberté d’expression et de conscience – Il ne faudrait tout de même pas oublier qu’elle avait porté plainte contre « Charlie Hebdo » et que, désormais, l’une de ses structures de conquête tamkiniste porte plainte contre un professeur de philosophie  – elle n’a publié aucun communiqué, parmi ses cent et un communiqués mis en ligne, condamnant, par exemple, l’excommunication de l’auteur algérien Kamal Daoud par un cheikh salafiste. Elle n’a publié aucun communiqué de condamnation du jugement à la peine de mort, pour apostasie, du jeune écrivain mauritanien Mohamed Cheikh Ould Mkheitir, qui croupit toujours dans le couloir de la mort. Elle n’a publié aucun communiqué condamnant le jugement saoudien sanctionnant à mille coups de fouets, le jeune blogueur Raïf Badawi. Elle n’a publié aucun communiqué condamnant le jugement de la soudanaise Meriam Yahia Ibrahim Ishag à la de peine capitale pour avoir, soi-disant, renié la religion musulmane. Elle n’a publié aucun communiqué condamnant l’assassinant de l’opposant tunisien Mohamed Brahmi, par un jihadiste franco-tunisien, et juste avant lui l’opposant Chokri Belaïd. D’autres noms n’ont jamais figuré sur aucun communiqué officiel de l’UOIF. Hassan Al-Banna ne priait-il pas ses « frères » d’exceller dans « l’industrie de la mort » ?

L’on pourra facilement multiplier les exemples concrets et incontestables des silences de l’UOIF. Ceux-là sont hélas très nombreux, à l’image de ses partialités doctrinales, partisanes et sectaristes. L’on me dirait, peut-être, qu’il n’est pas condamnable en soi de ne pas condamner. Soit. Et que l’UOIF n’est pas obligée de prendre position, pour tout et pour rien, concernant des affaires extra-hexagonales. Néanmoins, lorsque l’on est habitué à prendre, toutes les semaines, sur un coin d’une table ovale à La Courneuve, ce genre de positionnements politiques, pour atteindre différents objectifs, tantôt clairs tantôt obscurs, certains silences deviennent embarrassants. Certains silences sont coupables. Qui ne dit mot …

C’est vrai, le Yémen n’est pas Gaza !

Sur un autre registre, l’UOIF a certes condamné l’explosion de plusieurs bombes dans des mosquées chiites du Yémen. Mais, elle n’a jamais condamné les fatwas émanant de son « hémisphère droit » sacré, le cheikh Youssef Al-Qaradawi – devenu avec l’âge mufti officiel de l’OTAN – qui excommunie sans ambiguïté les chiites et appelle à les tuer et à les combattre partout : au Yémen, en Irak, en Syrie, au Liban, et partout ailleurs. Plus clairement, que dire du silence de l’UOIF au sujet de l’opération militaire baptisée « Tempête de fermeté » ou « Tempête décisive », lancée le 25 mars 2015 au Yémen, depuis Washington ? Une opération sanglante qui vient de prendre fin, depuis quelques jours, en annonçant au passage, le début d’une nouvelle opération militaire, menée toujours par ces coalisés sunnites, baptisée « Restaurer l’espoir ». Depuis le 25 mars, l’UOIF n’a dit mot à ce sujet ! Maintenant, si c’était des « sunnites » attaqués par l’Iran, ou des gazaouis par Israël, ou des « frères » égyptiens par Al-Sissi, l’UOIF aurait-elle préféré le silence ? Simple question.

En effet, une coalition militaire « sunnite », conduite par l’Arabie Saoudite et huit autre pays arabes – parmi lesquels le Qatar, le Koweït, le Maroc, etc. – sous l’œil bienveillant des Etats-Unis, et avec la bénédiction religieuse, très fervente et très optimiste, de Youssef Al-Qaradawi, et de son « Union Internationale des Savants – frères – Musulmans » (UISM)  – à lire ici un communiqué datant du 17 mars 2015 – cette coalition a bombardé sans miséricorde, durant vingt-sept jours consécutifs, une bonne partie du Yémen, habitée par une population majoritairement « chiite ».

La coalition militaire « sunnite », cumulant pas moins de cent-quatre-vingt avions de chasse et quatre navires de guerre, a mené plus de deux mille raids aériens, causant la mort sous les décombres de presque mille personnes, dont de nombreux civils, parmi eux des enfants et des femmes, et d’environ quatre mille trois cent blessés. Sans parler des dégâts matériels, des infrastructures terrassées et d’une situation humanitaire et sanitaire juste dramatique. Ni avant ces vingt-sept longues journées d’agression « sunnite » meurtrière, ni pendant, ni après, l’UOIF n’a jugé indispensable – humainement parlant – de publier un quelconque communiqué de condamnation (ou même de soutien). Pire encore, lorsque la coalition balançait aveuglement ses bombes sur les « chiites » du Yémen, l’UOIF amusait la galerie, avec sa foire annuelle à Paris-Le Bourget, sous le thème : « Mohammed, Prophète de miséricorde et de paix » ! L’on ne sait plus de quel « Mohammed » parle l’UOIF ? Est-ce celui qui appuyait sur le bouton de lance-missile à partir de son Rafale ou de son F16 ? Est-ce celui qui vient de perdre ses parents et ses deux jambes dans un village désertique au Nord de Sanaa ? Est-ce « Mohamed » le sunnite ? Est-ce « Mohamed » le chiite ? Dans son communiqué du 6 avril (ici), clôturant sa foire annuelle, l’UOIF relégua le Yémen à la queue d’un peloton de pays rongés par des conflits religieux et des guerres civiles. Le mot condamnation n’y figure pas. Elle se déclarait être du côté de la justice et de la dignité humaine : Un comble de cynisme et de perversion. En somme : Silence, on tue !

Ce silence devient symptomatique  d’« un deux poids, deux mesures » sordide,  lorsque l’on sait que l’UOIF avait publié, le 10 décembre 2014, un communiqué intitulé : « Assassinat d’un ministre palestinien par l’armée de l’occupation » (ici). Ou lorsque l’on se rafraichit un peu la mémoire en lisant, au moins, les quatre communiqués de l’UOIF publiés en un peu plus d’un mois, lors du dernier conflit israélo-palestinien à Gaza : « Gaza sous les bombes », le 10 juillet 2014 (ici) ; « Appel à la mobilisation pour la Palestine », le 12 juillet 2014 (ici) ; « Gaza face au silence de la France », le 25 juillet 2014 (ici) ; « Un lourd tribut et des crimes contre l’humanité à Gaza », le 31 août 2014 (ici).

Je suis vraiment désolé car j’avais oublié que le Yémen n’était pas Gaza. J’avais oublié qu’un enfant, né dans une famille « chiite », avait moins d’importance, et peut-être était moins humain, aux yeux des « frères », que l’enfant d’un kamikaze « sunnite » du Hamas. J’avais oublié que le goût de la mort d’un yéménite « chiite », sous les bombes de « l’Etat Islamique » dans une mosquée – que l’UOIF avait condamnée –  était plus amer que le goût de la mort sous les bombes d’une coalition d’ « Etats islamiques » sous les décombres d’autres mosquées et bâtiments. L’UOIF a certes condamné l’attaque commanditée par le calife Al-Baghdadi, tentant de se distancier de la barbarie de Daesh,  mais elle n’a pas dit mot contre l’attaque commanditée par le roi Salman, le prince Tamim et le cheikh Al-Qaradawi. Ces quatre saintetés respectives, ne promeuvent-elles pas la même « industrie de la mort » ?

L’on est presque pressé d’entendre les explications de l’UOIF – qui n’arriveront jamais de toute façon. Que le lecteur soit rassuré ! – pour savoir si la vie d’un ministre palestinien avait-elle, par exemple, plus de valeur, aux yeux de la confrérie politico-religieuse, que celles de mille vies yéménites ? Ou si les raids israéliens, sur la bande de Gaza, étaient-ils plus condamnables que les raids arabo-sunnites visant  la population chiite du Yémen ? Ou si l’agression arabo-sunnite contre des civils et milices chiites d’opposition était plus « légitime », et donc moins condamnable, que les attaques, ou les ripostes, du Tsahal contre le Hamas et la population civile gazaouis ?

Les « frères » : moines salafistes et cavaliers sunnites.

En somme, l’abondance des prises de positions officielles et publiques de l’UOIF dissimule, en vérité, plus de choses qu’elle en exprime. Entre silence à peine gêné et partialité totalement assumée, de nombreux slogans, valeurs et principes, tant scandés et pérorés, ici ou là, se vident de toute substance humaniste présumée, de toute miséricorde et de toute paix, pour céder la place aux constances idéologiques authentiques et immuables de la confrérie internationale depuis sa création, en Egypte en 1928. Il semblerait que l’essence d’une idéologie de conquête ait toujours le dernier mot face à la superficialité des apparences et face aux masques de circonstances.

Ainsi, les « frères musulmans », en France, semblent avoir bien compris et assimilé la lettre de leur guide-suprême de tous les temps, Hassan Al-Banna, lorsque celui-ci a défini, dans son discours prononcé lors du fameux « cinquième congrès », célébrant le dixième anniversaire de la confrérie en 1938, ce qu’était réellement l’idée et l’identité même des « Frères Musulmans ». Hassan Al-Banna définissait, en arabe et en huit points, la confrérie islamiste comme une combinaison, presque fourre-tout, étant à la fois : un « appel salafiste », une voie « sunnite », une « vérité soufie », une « organisation politique », un « groupe sportif », une « ligue scientifique et culturelle », une « entreprise économique » et une « idée sociale et sociétale »[3].

Hassan Al-Banna après avoir rappelé, lors de ce congrès, la définition idéologique frériste de l’islam comme étant à la fois, je cite : « croyance et cultes, patrie et nationalité, religion et Etat, spiritualité et action, Coran et sabre »[4], il a répondu à la question cruciale de l’usage de la « force des armes » en expliquant que le recours à la violence et à la « force des bras et des armes » est le dernier degré d’une stratégie progressive, articulée autour de trois degrés ou priorités consécutives : Premièrement, « la force de la croyance et de la foi ». Deuxièmement, « la force de l’union et du lien d’appartenance » et troisièmement, « la force des bras et des armes »[5]. Il expliqua ensuite que « les frères » useront de la violence des armes, si nécessaire, dès lors que les deux premiers niveaux sont atteints.

La stratégie du Tamkine nécessite l’usage des « bras et des armes » à partir d’un certain niveau de domination politique, mais pas avant. Il ne faudrait jamais brûler les étapes. Préserver le pouvoir religieux, exercé par les « frères » au nom du Coran, a besoin d’au moins deux sabres. Gare à la tête qui se place au point d’intersection des deux ! Ceci étant très explicite dans toutes les épîtres du guide-suprême aux « frères ». Il répétait dans tous ses discours un leitmotiv, repris par certains « frères » ici, qui décrivait les « frères musulmans », à l’image des compagnons du Prophète, comme étant, je cite : « Des moines la nuit et des cavaliers le jour »[6]. Comment l’UOIF pourrait-elle donc contredire ses constances idéologiques ?

Par conséquent, l’on ne peut pas s’attendre, par exemple, à ce que l’UOIF puisse condamner ses propres sources scripturaires et références religieuses « salafistes », surtout celles qui sous-tendent les violences, les exécutions barbares et la haine. L’on ne peut pas s’attendre à ce que l’UOIF puisse se détourner de son identité « sunnite » et ses dogmes anti-chiisme. L’UOIF ne pourrait jamais soutenir la cause humanitaire des populations « chiites » ensevelies sous les bombes du wahhabisme et des monarchies pétrodollars et asservies. L’on ne peut pas s’attendre à ce que l’UOIF puisse faire l’économie de sa dimension théologico-politique en contredisant, au passage, un consensus religieux et des intérêts géostratégiques de ses mécènes financiers. L’on ne peut pas s’attendre à ce que l’UOIF puisse se démarquer et se désolidariser de la vision stratégique de son fondateur salafiste, sunnite, tamkiniste et guerrierUn « frère musulman » est, par définition, à la fois « moine » et « cavalier ».

L’UOIF reste donc fidèle à cette définition octogonale. Sa parole officielle reste emprisonnée de ce schéma statique originel. Ses partialités et ses silences ne sont en rien conjoncturels, ils sont bel et bien structurels. Peut-être, existerait-il encore un mince espoir pour un rebond salutaire ? Cette confrérie, oserait-elle un jour rompre avec le sectarisme et les oppositions meurtrières, dont elle est habituée, sunnite/chiite, nous/eux, au risque de perdre tous ses soutiens financiers étrangers ? Oserait-elle engager une vraie « réforme radicale », qui la réconcilierait avec une certaine idée républicaine, humaniste, libre, désintéressée, dépolitisée et totalement indépendante de toutes les influences étrangères, idéologiques et financières ? Peut-être. Désormais, entre être « moines » ou « cavaliers »  sur le chemin du Tamkine politique global, les « frères » et les « sœurs » de l’UOIF doivent choisir, pour l’amour de la Terre et du Ciel.

Libres « grenouilles » de France, unissons-nous !

En attendant ce choix difficile et quasi improbable, il va falloir rester sur ses gardes, en méditant au passage, en la moralité philosophique de la métaphore dite de « La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite … », qui est aussi le titre d’un livre passionnant du philosophe Olivier Clerc, paru en 2005, dans lequel ce conte philosophique est cité, approché et analysé.

Ce conte propose d’imaginer « une marmite remplie d’eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu est allumé sous la marmite, l’eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue à nager. La température continue à grimper. L’eau est maintenant chaude. C’est  un peu plus que n’apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu, mais elle ne s’affole pas pour autant. L’eau est cette fois vraiment chaude. La grenouille commence à trouver cela désagréable, mais elle s’est affaiblie, alors elle supporte et ne fait  rien. La température continue à monter jusqu’au moment où la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir. Si la même grenouille avait été plongée directement dans l’eau à 50° C, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l’aurait éjectée aussitôt de la marmite » !

Je n’ai jamais tenté de reproduire cette expérience. Je n’ai jamais testé « pratiquement » cette thèse dans ma cuisine. D’ailleurs, je n’aime pas tuer les grenouilles. Je ne sais pas si ce conte renferme une quelconque vérité scientifique, vérifiable par des procédés expérimentaux empiriques. Cependant, ce dont je suis presque certain, c’est que les « Frères Musulmans » n’aiment pas les cocottes minutes (!)  Je sais aussi que la marmite de l’UOIF, remplie d’eau « wahhabénite », est posée sur un feu doux, depuis maintenant trente deux ans, sans couvercle, mais avec plein de grenouilles dedans, de toute origine, et de toutes les couleurs. Je sais aussi que l’UOIF avait compris ce qui a échappé à François Bayrou lorsqu’il avait dit : « Vouloir rassembler les centres, c’est comme vouloir mettre des grenouilles dans une brouette, elles sautent tout le temps ». L’UOIF, quant à elle – tout comme l’extrême droite – n’utilise jamais de brouettes pour avancer sur le chemin duTamkine. Elle préfère la marmite pour rassembler, dans la chaleur fraternelle, les centres de son « juste-milieu ». De temps en temps, quelques grenouilles conscientes, épuisées par la chaleur, réussissent tout de même à s’échapper. Mais la majorité s’habitue, avec beaucoup de passivité, à l’étourdissement suffisamment lent, progressif et redoutablement efficace.

Par-dessus la « marmite », je suis convaincu que la vision islamiste de l’UOIF, tout comme d’autres extrémismes, ne doit jamais être banalisée. Daesh, pour ne pas la citer, et les « Frères musulmans » puisent le même salafisme des mêmes sources doctrinaires et défendent la sacralité des mêmes références scripturaires. Pour l’anecdote, Al-Qaradawi confirme, dans une vidéo, que le calife Al-Baghdadi était « frère musulman »[7]. La différence entre les deux est juste une différence de degrés, d’ordre et non de nature.  Daesh vise leTamkine immédiat. C’est maintenant le Califat. Les « frères » de l’UOIF préfèrent le long terme. Daesh coupe les têtes sans foi ni loi. Les « frères », une fois le Tamkine est atteint, ou presque, se précipitent pour imposer des lois, pour couper ensuite des têtes. Les « frères » du Maroc, ces islamistes du PJD par exemple, tentent déjà au nom d’une certaine modernisation du « Code pénal », à criminaliser le « mépris des religions » (?) et à maintenir des peines, plus ou moins, lourdes contre l’adultère, le prosélytisme des autres religions, l’homosexualité, le non-respect, en public, du jeûne durant le mois de ramadan, etc.

Ainsi, derrière des slogans « attrape-grenouilles », comme : « Mohammed, Prophète de miséricorde et de paix » se cache, en vérité, un autre paysage brumeux. Il va falloir avancer avec prudence et scruter les marécages obscurs et terrifiants, d’une idéologie de conquête très pragmatique, avant que ce ne soit vraiment trop tard. D’ailleurs, ne sommes-nous pas déjà à moitié cuits ?

Certes, la République, la Laïcité et la Démocratie, peuvent traverser des épisodes et des séquences de faibles intensités. Ceci n’est point réjouissant par ailleurs. C’est une situation compliquée qui exige le sursaut de toutes les consciences éveillées, surtout celles qui ont échappées, par chance, au gradient calorifique de la marmite frériste. Maintenant, si par malheur ce sursaut laïque et démocratique est empêché, par le silence des uns et les connivences des autres, il me paraît évident que notre sort collectif ressemblerait, peut-être, à celui de toutes ces « grenouilles » qui, lassées de l’état démocratique, demandèrent un nouveau monarque, une première fois, puis une deuxième, puis une troisième à « Jupin », le roi des dieux dans les « Fables de Jean de La Fontaine ». En réponse à ces requêtes, « Jupin » leur a envoyé d’abord un « soliveau » pacifique – en bois massif – puis « une grue » tyrannique qui les gobait à son plaisir. Et juste avant de leur envoyer un « frère calife », si je ne me trompe pas, il s’adressa à ces amphibiens désabusés, par leur propre faute, en ces termes :

« … Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement ;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire. »

Enfin, qu’y a-t-il de plus pire que l’habituation et l’indifférence ?

Mohamed Louizi


[1] Hadith authentique rapporté par Al-BukhariMuslim et Abu Daoud.

[2] Hassan Al BannaÉpîtres de l’imam martyr Hassan Al-Banna (en arabe), Dãr Al-Hadarah Al-Islamiyyah, p. 437.

[3] Hassan Al BannaIbid. p. 121-123.

[4] Hassan Al BannaIbid. p. 119.

[5] Hassan Al BannaIbid. p. 135.

[6] Hassan Al BannaIbid. p. 180.

[7] À visionner ici.

L’UOIF, LES FRÈRES ET LA FAMILLE RAMADAN

L’UOIF, les Frères et la famille Ramadan

29.04.2015 Fiammetta Venner

Non seulement l’UOIF s’inspire des Frères musulmans, mais elle travaille en réseau, presque exclusivement, avec des islamistes formés par les Frères : Ghanouchi, Mawlawi et Qaradhawi. Des références auxquelles il faut ajouter la famille Ramadan et le Centre islamique de Genève, avec qui l’UOIF collabore de façon très étroite. Le Centre islamique de Genève est l’un des QG européens des Frères musulmans.

Il a été fondé en 1961, grâce à l’argent saoudien, pour islamiser le Vieux continent et fédérer contre « le matérialisme athée » à l’initiative de Saïd Ramadan, chef en exil de la branche internationale des Frères musulmans. Surnommé le « petit Banna » parce qu’il était le disciple favori de Hassan al-Banna, Saïd Ramadan a épousé la fille préférée de Banna, Wafa et ils ont rêvé ensemble de voir triompher l’islam totalitaire de Banna depuis l’Europe. Le Vieux continent est même devenu un enjeu en soi à la génération suivante, lorsque les enfants de Saïd Ramadan et Wafa al-Banna furent en âge de prendre la relève. Tous sont administrateurs du Centre islamique de Genève et les deux plus jeunes fils nés en Suisse, Hani et Tariq Ramadan, ont tout particulièrement repris le flambeau depuis la mort du père, en 1995.

Le directeur officiel du Centre, Hani Ramadan, fait partie des conférenciers les plus sollicités par les différentes associations de l’UOIF. Il a même rédigé plusieurs brochures de la collection Islam, le saviez-vous ?, des prospectus édités par l’UOIF pour être distribués au Congrès du Bourget et servir de corpus théorique aux militants de base. L’une d’elles, Le Sens de la soumission, insiste sur le fait qu’un bon musulman est totalement soumis à Dieu. L’autre, Islam et démocratie, explique que l’islam est incompatible avec la démocratie telle que l’entendent les occidentaux[1]. On imagine aisément l’influence exercée par le directeur du Centre islamique de Genève, digne successeur du petit et du grand Banna, sur les militants de l’Union. Comme son grand-père, Hani Ramadan est hanté par l’idée d’être contaminé par la décadence de l’Occident : « N’observons-nous pas aujourd’hui encore en effet, que dans nos sociétés modernes, malgré le progrès des sciences et le confort matériel, nous sommes envahis par toutes sortes de maux qui traduisent une dérive constante vers l’adoration du Taghut sous tous ses aspects ? Ne serait-ce qu’au niveau d’une sexualité débridée qui s’exprime dans les relations hors mariage, dans la prostitution, l’homosexualité, le harcèlement, le viol, la pédophilie, l’inceste ? »[2]. Le spectre de la libération des mœurs fait partie de ses obsessions. Dans ses interviews, le directeur du Centre islamique de Genève ne perd jamais une occasion de rappeler qu’en islam « l’homosexualité est une impasse, aussi bien du point de vue de la loi révélée que de la logique : on n’ouvre pas une porte avec deux clés »[3]. En 1998, il a publié un livre, la Femme en Islam, dans lequel il défend le droit à la polygamie comme le meilleur moyen de lutter contre le risque d’adultère et manifeste sa haine vis-a-vis des laïques souhaitant interdire le voile à l’école : « Le voile, en Islam, est le signe de la soumission de la croyance aux commandements divins. Pourquoi donc vouloir empêcher une jeune lycéenne d’exprimer sa conviction ? La contraindre à se dévoiler, n’est-ce pas refaire le geste de l’inquisition impitoyable et des bourreaux communistes ? (…) Contre les extrémistes laïcs, l’islam restera en tous les cas une école de sagesse et de tolérance : ‘Pas de contrainte en religion’, dit le Coran. Leçon que les tortionnaires laïcs ne nous ont pas apprise ! »[4] Ce livre a fait scandale en Suisse. Mais Hani Ramadan n’a été congédié de l’Éducation nationale suisse qu’après avoir publié une tribune dans le journal Le Monde, dans laquelle il justifie la lapidation comme « une punition, mais aussi une forme de purification » et le sida comme un châtiment divin : « Qui a créé le virus du sida ? Observez que la personne qui respecte strictement les commandements divins est à l’abri de cette infection, qui ne peut atteindre, à moins d’une erreur de transfusion sanguine, un individu qui n’entretient aucun rapport extraconjugal, qui n’a pas de pratique homosexuelle et qui évite la consommation de drogue ». Moralité : « Les musulmans sont convaincus de la nécessité, en tout temps et tout lieu, de revenir à la loi divine »[5].

Voilà, en quelques phrases, la pensée de l’un des théoriciens islamistes servant de modèle aux fidèles de l’UOIF. Intervenant souvent à ses côtés, son frère, Tariq Ramadan[6], est un modèle pour tous les jeunes de l’Union depuis 1992, date à laquelle il est intervenu pour la première fois au Congrès annuel du Bourget, puis a répondu à toutes les invitations des associations satellites de l’UOIF. Cette année-là au Bourget, le jeune prédicateur est attendu comme le Messie par tous les participants. Il revient tout juste d’une formation rapide sur les questions islamiques en Égypte, mais le public a beaucoup entendu parler de lui grâce à sa parenté avec Hassan al-Banna et Hani Ramadan. Il tombe immédiatement sous le charme. Depuis, Tariq Ramadan a exercé une influence décisive sur la stratégie et la rhétorique de l’UOIF — qui sort de l’enfermement séparatiste pour devenir plus politique, et donc plus efficace, à son contact. En 2003, nous y reviendrons, les cadres de l’UOIF vont se brouiller avec Tariq Ramadan au sujet du CFCM, mais le prédicateur n’a jamais cessé d’être admiré et invité par les associations satellites de l’UOIF. D’ailleurs, lorsque France 2 programme un Envoyé spécial critique sur le prédicateur en novembre 2004, l’UOIF monte aussitôt au créneau pour prendre sa défense et demander à la chaîne de déprogrammer ce documentaire. Preuve que les liens ne sont pas si distendus que cela. Entre Frères, la division ne peut jamais durer vraiment longtemps, même si les stratégies à court terme peuvent diverger ponctuellement. Même si la moindre dispute sur la forme est souvent interprétée, hâtivement, comme une guerre sur le fond démontrant l’indépendance de pensée de l’UOIF vis-a-vis des Frères musulmans. C’est ce que l’Union aimerait faire croire.

Fouad Alaoui, son secrétaire général, tient à prouver son indépendance : « Nous n’éprouvons pas le besoin d’appartenir à une école de pensée extérieure. Nous nous considérons comme une école de l’islam de France ». Pourtant, lorsqu’on le pousse dans ses retranchements, il confesse volontiers être en contact régulier avec le Syrien al-Houweidi, l’un des ambassadeurs officiels de la confrérie[7]. Autant dire que la fin de la tutelle formelle vis-a-vis des Frères musulmans en tant qu’organisation n’a rien d’une rupture idéologique et tout d’une émancipation, visant en priorité l’efficacité sur le plan national. Mais cette indépendance formelle et ce recentrage n’annoncent pas pour autant une modification idéologique. L’UOIF reste une organisation ayant pour modèle la pensée et la méthode de Hassan al-Banna, prenant pour références des prédicateurs formés par les Frères musulmans, travaillant en réseau avec les Frères musulmans et, plus que tout, défendant le même islam que celui des Frères musulmans.

Fiammetta Venner

Repris de  OPA sur l’islam de France : Les ambitions de l’UOIF

[1] Prospectus édités par l’UOIF et distribués au Congrès du Bourget en 2003.

[2] Hani Ramadan, Aspects du monothéisme musulman, Tawhid, Lyon, 1998, p. 98.

[3] « L’impasse de l’homosexualité », interview réalisée par Yann Gessler pour Le Nouvelliste du 25 janvier 2003.

[4] Hani Ramadan, La Femme en Islam, Lyon, Tawhid, 2000.

[5] « La Charia incomprise », publié par Le Monde le 10 septembre 2002.

[6] Malgré l’influence décisive exercée par Tariq Ramadan sur l’UOIF, je ne développerai pas plus ici sur le personnage. Son parcours et son discours ont été parfaitement décryptés dans : Caroline Fourest, Frère Tariq, Paris, Grasset, 2004, 425 p.

[7] Xavier Ternisien , Le Monde, 13 décembre 2002.