Presque tous les ministres de l’Intérieur ont été pris de la même fièvre. Ils se réveillent un matin, réalisent que l’organisation de l’Islam en France est une catastrophe, remettent en cause leurs prédécesseurs, et refont les mêmes erreurs.
Chacun d’eux s’est heurté aux mêmes trois écueils :
la main-mise de l’Algérie et du Maroc qui veulent par ce biais contrôler ceux qu’ils estiment être leurs ressortissants.
l’influence des Frères musulmans qui se disent hors Etat, qui revendiquent un « islam du juste milieu » tout en véhiculant un discours politique radical considéré comme terroriste par plusieurs pays.
l’impossibilité d’entendre la société civile ni religieuse, ni intégriste qui représente pourtant la quasi totalité de l’implication des Français par ailleurs musulmans.
Les trois mêmes écueils sont présents dans ce projet qui a été fait à la main du CFCM et de l’UOIF. Quelques personnalités extérieures figurent bien mais ne sont pas représentatives de la société civile non religieuse représentant pourtant la quasi totalité de l’implication des Français par ailleurs musulmans.
120 personnes et associations se retrouveront au Ministère de l’Intérieur ce 15 juin 2015.
Europe 1 a interrogé le ministère de l’Intérieur sur l’absence d’un thème lors de cette rencontre : la radicalisation. « Nous avons estimé que ce serait un mauvais message adressé aux Français et à la communauté musulmane que de le mettre à l’ordre du jour de la première réunion de l’instance », indique la Place Beauvau, qui veut éviter toute « stigmatisation ».
Au programme :
«La sécurité des lieux de cultes, la lutte contre les actes antimusulmans et l’image de l’islam»
«La construction et la gestion des lieux de cultes».
«La formation et le statut des aumôniers et des cadres religieux»
Les «pratiques rituelles»
Officiellement, les seuls critères de la participation à la réunion sont : « L’adhésion au principe de laïcité » et le « respect des lois et des valeurs de la République ». Si tel était le cas, plusieurs participants ne devraient pas être présents.
Il est de notoriété publique désormais que le Qatar achète des « voix » pour l’organisation des tournois sportifs internationaux ; finance des mosquées UOIF ; assure des fonds de roulement à des associations islamistes ; participe aux frais de gestion et de construction d’établissements scolaires privés, sous contrat d’association avec l’Etat ; accueille et finance un courant « Frère Musulman » très puissant depuis plus d’un demi siècle ; achète une chaire universitaire à Oxford, taillée sur mesure, pour y introniser un certain Tariq Ramadan ; abreuve les poulains qatarophiles de ce dernier – Nabil Ennasri & Co – dans l’Hexagone pour défendre des idées et projets islamistes sous couvert de lute contre l’islamophobie ; … Le Qatar s’est offert désormais la « voix » d’Edwy Plenel. Son livre « Pour les Musulmans » vient d’être traduit en arabe (en accès libre ici), publié et offert « gratuitement » par la revue « Doha Magazine » ( مجلة الدوحة ) à ses lecteurs ! Mon maître disait que le « gratuitement » n’existe pas en vérité. Il doit y avoir toujours quelqu’un qui paie l’addition et efface l’ardoise.
Mais à quelles conditions ? s’interrogeait-il. Je n’ai toujours pas compris certains « silences » de Mediapart. Des courriels que j’ai adressés à Edwy Plenel et à d’autres membres de la rédaction de Mediapart restent, pour l’instant, sans réponses. De nombreuses interpellations cordiales, sur certains fils de commentaires, ne semblent pas mériter l’attention des auteurs (Edwy Plenel, François Bonnet, Pierre Puchot …). Je ne sais pas si ces silences trouvent un début d’explication dans cette large diffusion gratuite du livre d’Edwy Plenel dans le monde arabe par un certain vecteur … qatari ?!
Par ailleurs, je ne sais pas si la rédaction de Mediapart a vraiment conscience de certains de ses choix, pour le moins incompréhensibles ?! Connait-elle les vrais desseins d’une politique culturelle qatarie faite de promotion d’un certain « modèle » pour le compte d’une certaine tendance visant à atteindre un certain « but ». Je ne sais pas si elle est au courant des tenants et des aboutissants de cette diffusion gratuite et qu’elles sont/seraient ses contreparties ?
Pour que cela soit clair, je ne suis pas contre la traduction, la diffusion gratuite d’une littérature cosmopolite, dans un monde arabe où la crise de l’édition et celle des livres sont à l’image d’autres crises structurelles, dont souffre le monde arabe, depuis bien longtemps. Bien au contraire, je suis archi pour toute diffusion « gratuite » et surtout « inconditionnelle » et « non orientée », de toute sorte de littérature et pas seulement de celle qui est désormais « instrumentalisée » par des cheikhs pétrodollars conquérants, dans une course de déstabilisation et de « chaostisation » du monde arabe et d’ailleurs. Le livre de Plenel est le quarante-neuvième livre gratuit, édité et diffusé par cette revue du ministère de la culture et des arts qatari. Une série commençant par « Tabaîa Al-Istibdad wa Massariâ Al-Istiâbad» (طبائع الاستبداد و مصارع الاستعباد) – Les traits de la répression et le combat contre l’esclavage – d’Al Kawakibi. L’on y trouve aussi, dans le trente-quatrième rang, la traduction du magnifique texte d’Etienne de La Boétie : « Discours de la servitude volontaire » ainsi que d’autres essais traitant des conditions du renouveau arabe souhaité. Bizarrement, aucun livre gratuit de cette série, ne traite du jeu trouble du Qatar et de son rôle dans ledit « printemps arabe » et dans le financement et le soutien permanent aux « Frères Musulmans » et aux groupes jihadistes. Aucun livre ne traite de la monarchie qatarie et de ses entorses aux droits de l’homme. Même un certain Tariq Ramadan n’a pas le privilège dont bénéficie désormais … Edwy Plenel !
Pour éclairer la lanterne de Mediapart, entre autres, je me chargerai prochainement et « gratuitement » de publier une enquête, en bonne et due forme, documentée et argumentée comme d’habitude, concernant l’historique incontestable de l’installation durable des « Frères Musulmans » au Qatar depuis les années cinquante du siècle dernier. En effet, je proposerai au lecteur de remonter le temps, plus de cinquante années en arrière, pour expliquer les débuts de la confrérie sur ce désert qatari lorsque des « frères » ont fui la répression égyptienne à l’époque de Gamal Abdel Nasser. J’expliquerai comment ces « frères » s’y sont installés et comment ils ont misé sur « l’enseignement », la « culture », les « jeunes » pour préparer et endoctriner les futurs « agents » du Tamkine. Je montrerai, en travaillant sur des documents historiques, que les « frères » sont à l’origine de la création du ministère de l’éducation et de la culture qui, aujourd’hui, diffuse « gratuitement » le livre d’Edwy Plenel. J’expliquerai comment ces « frères » se sont chargés de créer des établissements scolaires, de rédiger des programmes éducatifs officiels et de sélectionner et former les enseignants selon les standards idéologiques de la confrérie. J’expliquerai comment ces « frères » ont réussi à atteindre un tel pouvoir aujourd’hui dont les efforts sont fournis, en permanence, depuis plus d’un demi-siècle. J’expliquerai aussi comment ces « frères » ont fini, vers l’année 1999, par dissoudre, pour des raisons sécuritaires et stratégiques, leur Tanzim qatari, affilié jusqu’à lors aux Tanzim international des « Frères Musulmans » égyptien. Et pourquoi ils ont opté pour une présence discrète, efficace et sans étiquettes, sous forme, disent-ils, d’un courant large de pensée et d’action, très puissant et intelligemment disséminé dans les sphères du pouvoir, à l’échelle de l’Emirat, comme à l’échelle internationale : Médias, Education, Culture, Politique, Economie, Justice, Associations, Instances internationales, etc. Les agents de ce courant frériste, comme Al-Qaradawi et Tariq Ramadan, font toujours le boulot en Orient comme en Occident. Ils instrumentalisent quelques noms, quelques figures – comme celui d’Edgar Morin. Ils séduisent d’autres voix, d’autres alliés, par des procédés dont ils ont le secret : la victimisation à outrance ! La voix de Mediapart n’est plus à capter. Ici, Pierre Puchot nie l’existence de l’islamisme. Il ne qualifie plus, par exemple, le mouvement « Ennahda » tunisien, de Rached Ghannouchi, de parti « islamiste » mais uniquement de « parti musulman ». Comme s’il fallait rajouter le qualificatif « musulman » à un parti politique tunisien où tous les autres partis politiques, 144 au total, revendiquent, d’une manière ou d’une autre, une islamité – religieuse et culturelle – transcendant le jeu politique. L’on ne dit pas, par exemple, le « Parti socialiste … musulman ». Cela va de soit dans une Tunisie où 99 % de la population est considérée musulmane !
Là-bas, au Qatar, la « voix » d’Edwy Plenel est diffusée « gratuitement » et à grande échelle. Comme si les mécènes qataris voulaient primer Mediapart pour ses loyaux services. Si c’est cela l’objet de cette reconnaissance, qui en dit long, par ailleurs, sur certains « silences » assourdissants de Mediapart, maintenant c’est chose faite !
L’Organisation des Frères Musulmans fut créée en 1928 en Egypte par Hassan Al Banna, un enseignant. Ce mouvement, qui prône l’organisation de la société autour des valeurs de la charia, serait présent dans 70 pays d’après son Guide. Bien qu’elle s’inscrive originellement dans une historicité Moyen-Orientale, l’Organisation est également présente aux Etats-Unis et en Europe. Mais L’Islam qu’elle prône est-elle compatible avec nos démocraties ? Eléments de réponse.
En France, les disciples des Frères Musulmans sont à l’origine de la polémique sur le voile. Ils comptent aussi parmi ceux qui, les premiers, ont jeté l’anathème sur les dessinateurs de Charlie Hebdo lorsqu’en 2006, l’Union des Organisation Islamiques de France (UOIF), dont les responsables se réclament de la pensée « Frériste » attaquèrent en justice l’hebdomadaire dans lequel avait été publiées des caricatures du prophète. En judiciarisant l’affaire, les clercs français de la confrérie comptaient sans doute imposer au pays des droits de l’Homme et de la liberté d’expression leur vision d’un Islam politique et « prescrire » aux journalistes et dessinateurs de presse les limites à ne pas franchir.
Bien que l’UOIF ait perdu le procès qui l’opposait à nos confrères de l’hebdomadaire satirique, cette tentative d’imposer sa vision de l’Islam fondamentaliste en attaquant tous ceux et celles qui la critiquaient ou osaient la parodier commença à faire peur, tant les débats avaient été passionnés. L’UOIF et ses alliés mettaient en effet au rang d’islamophobes les caricaturistes qui avaient l’outrecuidance de « moquer » la religion musulmane, mais aussi ceux qui, plus sérieusement, se permettaient de débattre de ses dérives sectaires au sein de la société française. Combien de journalistes, combien de responsables politiques eurent alors peur de se trouver affublés de l’étiquette « islamophobe » parce qu’ils pointaient du doigt cette structure, où tout simplement l’islamisme politique dont elle se réclame ?
L’attitude des responsables de l’UOIF eut alors pour effet de diaboliser toute forme de débat critique sur des thèmes tels le port du voile ou la non mixité dans les piscines.
Aujourd’hui, l’UOIF, en se disant « proche » du courant de pensée incarné par la mouvance des Frères musulmans égyptiens, revendique sa proximité avec une organisation islamiste dont la doctrine semble bien loin de nos valeurs démocratiques. Contrairement aux affirmations de ses dirigeants, elle ne semble pas davantage représenter l’Islam – ou la majorité des citoyens de confession musulmane – de France.
A toutes fins utiles, il est important de préciser que l’organisation égyptienne des Frères Musulmans, qui prône l’organisation de la société autour des valeurs de l’Islam et le retour au califat, a compté parmi ses proches des éléments liés à Al Qaïda, à commencer par Oussama Ben Laden qui eut pour mentor Abdallah Azam, véritable égérie des Frères, perçu dans les années 80 comme « l’imam du Jihad ». Autre précision : Selon la charte du Hamas – la branche palestinienne de l’organisation égyptienne – les croyants doivent « porter le drapeau du jihad contre tous les oppressants pour débarrasser la terre et le peuple de leur impureté, de leur bassesse et de leurs plaies ». Cette même charte explique qu’il n’existe pas de solution à la question palestinienne, excepté le jihad. Enfin, elle assume pleinement le fait « que le jihad devient le devoir individuel de chaque musulman » et que « l’invasion sioniste (…) s’appuie sur les organisations qu’elle a créées, à savoir les francs-maçons, les clubs Lions, le Rotary, pour les opérations d’infiltration et d’espionnage. (…) ».
Dans l’hexagone, l’Union des Organisations Islamiques de France dispose d’un centre de formation à l’Islam dans la Nièvre, lequel compta comme membre de son conseil scientifique, des années durant le cheikh islamiste Youssef Al Qardawi, prédicateur qui, en pleine intifada, encourageait les jeunes palestiniens à se faire sauter dans les bus israéliens !
Autant dire qu’il est difficile de voir la compatibilité de l’UOIF (et des dizaines de structures associatives proches de celle-ci) avec notre démocratie, son fondement et sa filiation étant contraires au principe de laïcité qui régit le rapport au fait religieux.
Surtout, cette association – placée sur la liste des organisations terroristes par les Emirats Arabes Unis en 2014 ! – assume une historicité qui prouve qu’elle situe son action bien au-delà de la seule pratique religieuse, et qu’elle porte un projet d’islamisation de la société à laquelle elle veut imposer son dogme.
Il est toutefois utile de na pas faire porter à l’UOIF la seule responsabilité du discours et de la méthode islamiste. D’abord parce que d’autres courants islamistes existent en France et plus largement en Europe, à commencer par le salafisme, lequel revendique la pratique d’un islam fidèle à celui des origines, exclusivement fondé sur la sunna, incarnant la « pratique » de l’Islam des premiers siècles. Un salafisme bien loin d’être, lui aussi, compatible avec les valeurs républicaines et démocratiques, qui a conduit des centaines de jeunes sur la voie du Jihad. Sans qu’on l’interdise pour autant.
Ainsi, le mal est fait. Et le ras-le bol de nos contemporains a pour effet de déplacer le curseur de la bien-pensance vers l’extrême droite, le temps des amalgames entre islam et terrorisme ayant remplacé celui du discours complaisant. Une situation d’autant plus dommageable à la cohésion de notre société que la majeure partie des citoyens français de confession musulmane, parfaitement intégrés, ne doivent pas être assimilés aux fondamentalistes, encore aux assassins qui ont commis les attentats contre Charlie Hebdo.
Alors que faire ?
La réponse est au fond assez simple. Pour protéger ses concitoyens (y compris musulmans), l’Etat, comme l’a justement dit le premier ministre français Manuel Valls, doit « combattre le discours des Frères musulmans dans notre pays (…) combattre les groupes salafistes dans les quartiers ».
Mais comment combattre ce « discours » et ces idées d’un autre temps ? La France doit-elle interdire les organisations se revendiquant de l’Islam prôné par les Frères Musulmans ?
Le gouvernement ne devrait-il pas confier cette réflexion à une commission d’experts indépendants composée de théologiens musulmans, de responsables du renseignement, de juristes, de sociologues et bien sûr de spécialistes de la mouvance Frériste qui étudieraient le fonctionnement de cette organisation, ainsi que le fond de son discours?
On ne peut en effet prétendre combattre cette mouvance islamiste sans à un moment se poser la question de son interdiction.
Durant les vingt derniers mois, du 30 juillet 2013 au 30 avril 2015, l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), a publié sur son site Internet (ici), cent et un communiqués officiels. En moyenne, un communiqué officiel tous les six jours. Ainsi, comme l’indique le graphique ci-dessous, cette organisation, représentant l’idéologie islamiste, et s’inscrivant incontestablement dans le projet Tamkine des « Frères Musulmans », appliqué à la France, s’est précipitée à condamner, ou à exprimer sa profonde tristesse, ou à prendre position « pour » ou « contre » quelque chose, à chaque fois elle a jugé indispensable de le faire. Et à chaque fois où sa prise de position politique devait préserver quelques intérêts (surtout en terme d’image et de résonance médiatique) et aussi lorsqu’une telle expression officielle ne mettait surtout pas en péril d’autres intérêts politiques et financiers supranationaux.
Ses prises de positions peuvent être ainsi classées en six groupes synthétiques :
Condamnation du terrorisme islamiste international : Vingt-neuf communiqués ;
Informations au sujet des affaires courantes de l’UOIF et de l’islam « en » France : Vingt-six communiqués ;
Condamnation de ladite « islamophobie » (et sommairement du racisme) : Dix-neuf communiqués ;
Soutien à la Palestine et au Gaza : Douze communiqués ;
Questions internationales diverses (inondations, accident minier, glissement de terrain, tremblement de terre, etc.) : Dix communiqués ;
Soutien aux « Frères Musulmans » d’Egypte et ceux de la diaspora : Cinq communiqués.
L’UOIF s’est habituée à condamner, entre autres, des attentats et autres exécutions barbares, commises par « l’Etat Islamique », ou par « Boko Haram », ou par d’autres groupes salafistes jihadistes, en Orient comme en Occident. Elle se montre, à chaque drame, solidaire des familles des victimes du terrorisme islamiste international. Elle exprime ses inquiétudes lorsque ses leaders égyptiens souffrent de la répression et des lourdes condamnations judiciaires, prononcées sous le régime putschiste pseudo-militaire en place. Elle se positionne systématiquement du côté palestinien, et des gazaouis du Hamas en particulier, lors des hostilités contre Israël. Elle pleure la mort d’un ministre palestinien ou le décès d’un leader « frère musulman » syrien, résident en Espagne. Elle déplore les victimes des frappes aériennes israéliennes contre la bande de Gaza, etc. Bref, la ribambelle des communiqués de l’UOIF fait croire à une réactivité impartiale de condamnation de tout ce qui pourrait, voire devrait, être condamnable. Cependant, l’UOIF, comme bien d’autres organisations politiques, a bel et bien ses limites, ses partialités, ses partis pris, ses intérêts, ses complicités et ses silences.
D’ailleurs, force est de constater que cette entité frériste se tait, volontairement, quand il s’agit de prendre clairement position par rapport aux racines idéologiques, religieuses et historiques des violences commises au nom d’Allah. Mis à part ses répétitions machinales à outrance devant des caméras, à chaque attentat commis par des jihadistes, que : « l’islam est une religion de paix et d’amour », « les musulmans de France ne peuvent être comptables des actes terroristes », « Not in my name », etc. Aucun communiqué officiel, aucun article instructif et documenté, aucune publication sérieuse, s’attaquant frontalement, et sans ambiguïté, aux racines idéologiques de toutes ces calamités islamistes sanguinaires, contenues expressément dans de nombreux textes et fatwas, ne sont hélas disponibles aujourd’hui, ou accessibles sur ses plateformes numériques et interfaces publiques. S’agirait-il d’oublis ? De simples erreurs d’appréciation ? De condamnations très sélectives ? De partialités non avouées ? De silences à peine troublés par le retentissement des bombes ici ou là ? Ou bien de choix idéologiques assumés de «dire », en vérité, pour « ne rien dire » ? De montrer ses larmes, tout en exaltant les armes?
En effet, l’UOIF condamne l’exécutant jihadiste mais ne condamne jamais le cheikh salafiste pétrodollar, ultra-médiatisé qui le télécommande depuis l’Arabie Saoudite ou le Qatar. L’UOIF condamne celui qui appuie sur la gâchette, tuant au passage enfants, hommes et femmes, mais ne condamne jamais le « prince de guerre » qui lui livre armes, munitions, fatwas et couverture médiatique. Elle condamne le soldat jihadiste et épargne le grand cheikhtakfiriste. Elle condamne l’acte terroriste mais ne condamne jamais le texte religieux qui le sous-tend et le justifie (lire par exemple le hadith authentique ci-dessous). Elle condamne, parfois, le sabre mais épargne, toujours, les recueils « sacrés » qui attribuent ce genre de paroles au Prophète, je cite : « Sachez que le paradis est à l’ombre des sabres »[1] !
Ce même hadith est l’un des nombreux textes, Coran et Sunna, que le guide Hassan Al-Bannaavait cités dans son épître intemporelle du Jihad, adressée de son vivant aux « Frères Musulmans », ceux de son temps, comme ceux de tous les temps après lui. Une épître idéologique rouge-sang, très explicite en dix-sept pages, que je traduirai prochainement et qui se termine par cette prière peu surprenante : « Chers frères, sachez que la nation qui excelle dans l’industrie de la mort, et qui sait comment mourir honorablement, Allah lui offre une vie généreuse ici-bas et la béatitude dans l’au-delà … Œuvrez, chers frères, pour une mort noble, vous obtiendrez certainement le bonheur parfait. Qu’Allah nous accorde la dignité du martyre pour sa cause »[2]. Amen !
Les « frères », ennemis de la liberté de conscience ?
Par ailleurs, l’UOIF se dit « pour » la liberté de conscience, de religion et d’expression. L’on pourrait presque s’en réjouir. Cependant, elle ne condamne jamais les atteintes graves à ces mêmes libertés fondamentales, surtout dans des pays arabo-musulmans où ces libertés ne sont ni reconnues par la loi, ni protégées dans les faits. De mémoire d’ancien « frère », l’UOIF n’a jamais condamné des textes sacrés fondateurs de la peine de mort, pour apostasie, ou de la lapidation ou d’autres châtiments corporels ancestraux, toujours sollicités par des dictatures wahhabites ou par des gouvernements islamistes, qui comme l’UOIF, sont liés par allégeance, explicite ou tacite, au guide-suprême égyptien. Le « frère Tariq » avait osé évoquer vaguement, dans un passé antérieur, l’idée d’un « moratoire ». L’UOIF, jamais !
Bien au contraire, des imams métropolitains de l’UOIF n’hésitent pas à solliciter ce même « arsenal » textuel meurtrier et délirant pour terroriser des intelligences critiques, et assombrir bien des perspectives. Là-bas, quelque part dans la région lyonnaise, il y a presque un mois, un imam « frère musulman », visiblement irrité par la parution de quelques témoignages, publia une tribune, sur son profil Facebook public, contre ceux désignés, par son éminence verte, et dès le titre, comme étant des « Faux-musulmans ». Sa sainteté les a prénommés : Malek, Rachid, Abdennour, Farid et Mohamed. Les concernés se reconnaitront de toute évidence.
Quelques heures plus tard, en prenant conscience, me semble-t-il, de la dangerosité de son propos, d’un point de vue légal – peut-être, a-t-il été averti, presque à temps, par le service juridique de la confrérie ? – il supprima sitôt cette tribune inquisitoire de son profilFacebook, mais certainement pas de certains disques durs, qu’il en soit rassuré ! Ensuite, il la republia sur son blog (ici) après avoir modifié le titre et supprimé les prénoms de ses cibles vilipendées. Il n’était plus question de « Faux-musulmans » – les Malek, Rachid, Abdennour,Farid et Mohamed – mais plutôt de «Faux réformateurs musulmans ». Toute une nuance, me dirait-on. Mais, une chose est sûre, son texte regorge toujours de jugements graves, de procès inquisiteurs, de prétentions vaniteuses, de suspicions dangereuses, et de contre-vérités et autres confusions très malhabiles. Comme d’habitude, aucune critique instructive du fond des idées des uns et des autres. Toujours fidèle à la pratique d’étiquetage, différenciant ce qui est produit halal de ce qui ne l’est pas. C’est juste Calvin qui s’en prend à Servet. Ainsi parla sa sainteté valentinoise !
Ici, quelque part dans la métropole lilloise, un autre cheikh « frère » n’hésite pas a usé des « perles » de cet « arsenal » moyenâgeux, pour désigner des apostats, des hypocrites, des égarés et j’en passe. L’actuel président national de l’UOIF, en personne, s’en sert fréquemment dans ses prêches de vendredi, pour parler d’un « nous » et d’un « eux », d’un axe du bien et d’un axe du mal. Un « nous » le désignant lui le baron du Nord et ses inféodés comme des bons croyants, des bons musulmans, le groupe sauvé selon un autre hadith. Et un « eux » désignant, instrumentalisation et perversion des versets et hadiths à l’appui, les autres, des faux-croyants, des hypocrites, des égarés, des musulmans non-pratiquants – s’adressait-il par médias interposés à Manuel Valls – une cinquième colonne au sein de ladite communauté musulmane et des musulmans qui, à l’entendre, ne seraient pas si musulmans que ça. Ah, comme ils sont tolérants les « frères » d’Hassan !
Au demeurant, l’UOIF n’a jamais condamné les fatwas ou les jugements des tribunaux d’inquisition islamiste, accusant des libres-penseurs musulmans d’apostasie et les sanctionnant à de la peine de mort, ou aux coups de fouets, ou à de l’emprisonnement, etc. L’UOIF entretient des paradoxes et des confusions. D’un côté, elle s’est toujours montrée solidaire et sensible aux douleurs des familles des journalistes et autres humanitaires occidentaux, pris en otage ou exécutés lâchement par la barbarie islamiste : Sa tactique l’oblige. De l’autre côté, elle ne s’est jamais montrée solidaire avec des blogueurs, des journalistes, des libres-penseurs et des hommes politiques, menacés ou exécutés par ce « fascisme vert » – qui ne doit pas être confondu avec la confession de la majorité des français musulmans – et qui s’étend aux quatre directions de Riyad, de Doha et de Paris : Sa stratégie l’interdit.
En vingt mois, l’UOIF, bien qu’elle soit associée aux manifestations d’unité nationale condamnant les attentats de Paris de janvier dernier, et bien qu’elle ait exprimé ses profondes (!) et sincères (!) convictions en faveur de la liberté d’expression et de conscience – Il ne faudrait tout de même pas oublier qu’elle avait porté plainte contre « Charlie Hebdo » et que, désormais, l’une de ses structures de conquête tamkiniste porte plainte contre un professeur de philosophie – elle n’a publié aucun communiqué, parmi ses cent et un communiqués mis en ligne, condamnant, par exemple, l’excommunication de l’auteur algérien Kamal Daoud par un cheikh salafiste. Elle n’a publié aucun communiqué de condamnation du jugement à la peine de mort, pour apostasie, du jeune écrivain mauritanien Mohamed Cheikh Ould Mkheitir, qui croupit toujours dans le couloir de la mort. Elle n’a publié aucun communiqué condamnant le jugement saoudien sanctionnant à mille coups de fouets, le jeune blogueur Raïf Badawi. Elle n’a publié aucun communiqué condamnant le jugement de la soudanaise Meriam Yahia Ibrahim Ishag à la de peine capitale pour avoir, soi-disant, renié la religion musulmane. Elle n’a publié aucun communiqué condamnant l’assassinant de l’opposant tunisien Mohamed Brahmi, par un jihadiste franco-tunisien, et juste avant lui l’opposant ChokriBelaïd. D’autres noms n’ont jamais figuré sur aucun communiqué officiel de l’UOIF. Hassan Al-Banna ne priait-il pas ses « frères » d’exceller dans « l’industrie de la mort » ?
L’on pourra facilement multiplier les exemples concrets et incontestables des silences de l’UOIF. Ceux-là sont hélas très nombreux, à l’image de ses partialités doctrinales, partisanes et sectaristes. L’on me dirait, peut-être, qu’il n’est pas condamnable en soi de ne pas condamner. Soit. Et que l’UOIF n’est pas obligée de prendre position, pour tout et pour rien, concernant des affaires extra-hexagonales. Néanmoins, lorsque l’on est habitué à prendre, toutes les semaines, sur un coin d’une table ovale à La Courneuve, ce genre de positionnements politiques, pour atteindre différents objectifs, tantôt clairs tantôt obscurs, certains silences deviennent embarrassants. Certains silences sont coupables. Qui ne dit mot …
C’est vrai, le Yémen n’est pas Gaza !
Sur un autre registre, l’UOIF a certes condamné l’explosion de plusieurs bombes dans des mosquées chiites du Yémen. Mais, elle n’a jamais condamné les fatwas émanant de son « hémisphère droit » sacré, le cheikhYoussef Al-Qaradawi – devenu avec l’âge mufti officiel de l’OTAN – qui excommunie sans ambiguïté les chiites et appelle à les tuer et à les combattre partout : au Yémen, en Irak, en Syrie, au Liban, et partout ailleurs. Plus clairement, que dire du silence de l’UOIF au sujet de l’opération militaire baptisée « Tempête de fermeté » ou « Tempête décisive », lancée le 25 mars 2015 au Yémen, depuis Washington ? Une opération sanglante qui vient de prendre fin, depuis quelques jours, en annonçant au passage, le début d’une nouvelle opération militaire, menée toujours par ces coalisés sunnites, baptisée « Restaurer l’espoir ». Depuis le 25 mars, l’UOIF n’a dit mot à ce sujet ! Maintenant, si c’était des « sunnites » attaqués par l’Iran, ou des gazaouis par Israël, ou des « frères » égyptiens par Al-Sissi, l’UOIF aurait-elle préféré le silence ? Simple question.
En effet, une coalition militaire « sunnite », conduite par l’Arabie Saoudite et huit autre pays arabes – parmi lesquels le Qatar, le Koweït, le Maroc, etc. – sous l’œil bienveillant des Etats-Unis, et avec la bénédiction religieuse, très fervente et très optimiste, de Youssef Al-Qaradawi, et de son « Union Internationale des Savants – frères – Musulmans » (UISM) – à lire ici un communiqué datant du 17 mars 2015 – cette coalition a bombardé sans miséricorde, durant vingt-sept jours consécutifs, une bonne partie du Yémen, habitée par une population majoritairement « chiite ».
La coalition militaire « sunnite », cumulant pas moins de cent-quatre-vingt avions de chasse et quatre navires de guerre, a mené plus de deux mille raids aériens, causant la mort sous les décombres de presque mille personnes, dont de nombreux civils, parmi eux des enfants et des femmes, et d’environ quatre mille trois cent blessés. Sans parler des dégâts matériels, des infrastructures terrassées et d’une situation humanitaire et sanitaire juste dramatique. Ni avant ces vingt-sept longues journées d’agression « sunnite » meurtrière, ni pendant, ni après, l’UOIF n’a jugé indispensable – humainement parlant – de publier un quelconque communiqué de condamnation (ou même de soutien). Pire encore, lorsque la coalition balançait aveuglement ses bombes sur les « chiites » du Yémen, l’UOIF amusait la galerie, avec sa foire annuelle à Paris-Le Bourget, sous le thème : « Mohammed, Prophète de miséricorde et de paix » ! L’on ne sait plus de quel « Mohammed » parle l’UOIF ? Est-ce celui qui appuyait sur le bouton de lance-missile à partir de son Rafale ou de son F16 ? Est-ce celui qui vient de perdre ses parents et ses deux jambes dans un village désertique au Nord de Sanaa ? Est-ce « Mohamed » le sunnite ? Est-ce « Mohamed » le chiite ? Dans son communiqué du 6 avril (ici), clôturant sa foire annuelle, l’UOIF relégua le Yémen à la queue d’un peloton de pays rongés par des conflits religieux et des guerres civiles. Le mot condamnation n’y figure pas. Elle se déclarait être du côté de la justice et de la dignité humaine : Un comble de cynisme et de perversion. En somme : Silence, on tue !
Ce silence devient symptomatique d’« un deux poids, deux mesures » sordide, lorsque l’on sait que l’UOIF avait publié, le 10 décembre 2014, un communiqué intitulé : « Assassinat d’un ministre palestinien par l’armée de l’occupation » (ici). Ou lorsque l’on se rafraichit un peu la mémoire en lisant, au moins, les quatre communiqués de l’UOIF publiés en un peu plus d’un mois, lors du dernier conflit israélo-palestinien à Gaza : « Gaza sous les bombes », le 10 juillet 2014 (ici) ; « Appel à la mobilisation pour la Palestine », le 12 juillet 2014 (ici) ; « Gaza face au silence de la France », le 25 juillet 2014 (ici) ; « Un lourd tribut et des crimes contre l’humanité à Gaza », le 31 août 2014 (ici).
Je suis vraiment désolé car j’avais oublié que le Yémen n’était pas Gaza. J’avais oublié qu’un enfant, né dans une famille « chiite », avait moins d’importance, et peut-être était moins humain, aux yeux des « frères », que l’enfant d’un kamikaze « sunnite » du Hamas. J’avais oublié que le goût de la mort d’un yéménite « chiite », sous les bombes de « l’Etat Islamique » dans une mosquée – que l’UOIF avait condamnée – était plus amer que le goût de la mort sous les bombes d’une coalition d’ « Etats islamiques » sous les décombres d’autres mosquées et bâtiments. L’UOIF a certes condamné l’attaque commanditée par le calife Al-Baghdadi, tentant de se distancier de la barbarie de Daesh, mais elle n’a pas dit mot contre l’attaque commanditée par le roi Salman, le prince Tamim et le cheikh Al-Qaradawi. Ces quatre saintetés respectives, ne promeuvent-elles pas la même « industrie de la mort » ?
L’on est presque pressé d’entendre les explications de l’UOIF – qui n’arriveront jamais de toute façon. Que le lecteur soit rassuré ! – pour savoir si la vie d’un ministre palestinien avait-elle, par exemple, plus de valeur, aux yeux de la confrérie politico-religieuse, que celles de mille vies yéménites ? Ou si les raids israéliens, sur la bande de Gaza, étaient-ils plus condamnables que les raids arabo-sunnites visant la population chiite du Yémen ? Ou si l’agression arabo-sunnite contre des civils et milices chiites d’opposition était plus « légitime », et donc moins condamnable, que les attaques, ou les ripostes, du Tsahal contre le Hamas et la population civile gazaouis ?
Les « frères » : moines salafistes et cavaliers sunnites.
En somme, l’abondance des prises de positions officielles et publiques de l’UOIF dissimule, en vérité, plus de choses qu’elle en exprime. Entre silence à peine gêné et partialité totalement assumée, de nombreux slogans, valeurs et principes, tant scandés et pérorés, ici ou là, se vident de toute substance humaniste présumée, de toute miséricorde et de toute paix, pour céder la place aux constances idéologiques authentiques et immuables de la confrérie internationale depuis sa création, en Egypte en 1928. Il semblerait que l’essence d’une idéologie de conquête ait toujours le dernier mot face à la superficialité des apparences et face aux masques de circonstances.
Ainsi, les « frères musulmans », en France, semblent avoir bien compris et assimilé la lettre de leur guide-suprême de tous les temps, Hassan Al-Banna, lorsque celui-ci a défini, dans son discours prononcé lors du fameux « cinquième congrès », célébrant le dixième anniversaire de la confrérie en 1938, ce qu’était réellement l’idée et l’identité même des « Frères Musulmans ». Hassan Al-Banna définissait, en arabe et en huit points, la confrérie islamiste comme une combinaison, presque fourre-tout, étant à la fois : un « appel salafiste », une voie « sunnite », une « vérité soufie », une « organisation politique », un « groupe sportif », une « ligue scientifique et culturelle », une « entreprise économique » et une « idée sociale et sociétale »[3].
Hassan Al-Banna après avoir rappelé, lors de ce congrès, la définition idéologique frériste de l’islam comme étant à la fois, je cite : « croyance et cultes, patrie et nationalité, religion et Etat, spiritualité et action, Coran et sabre »[4], il a répondu à la question cruciale de l’usage de la « force des armes » en expliquant que le recours à la violence et à la « force des bras et des armes » est le dernier degré d’une stratégie progressive, articulée autour de trois degrés ou priorités consécutives : Premièrement, « la force de la croyance et de la foi ». Deuxièmement, « la force de l’union et du lien d’appartenance » et troisièmement, « la force des bras et des armes »[5]. Il expliqua ensuite que « les frères » useront de la violence des armes, si nécessaire, dès lors que les deux premiers niveaux sont atteints.
La stratégie du Tamkine nécessite l’usage des « bras et des armes » à partir d’un certain niveau de domination politique, mais pas avant. Il ne faudrait jamais brûler les étapes. Préserver le pouvoir religieux, exercé par les « frères » au nom du Coran, a besoin d’au moins deux sabres. Gare à la tête qui se place au point d’intersection des deux ! Ceci étant très explicite dans toutes les épîtres du guide-suprême aux « frères ». Il répétait dans tous ses discours un leitmotiv, repris par certains « frères » ici, qui décrivait les « frères musulmans », à l’image des compagnons du Prophète, comme étant, je cite : « Des moines la nuit et des cavaliers le jour »[6]. Comment l’UOIF pourrait-elle donc contredire ses constances idéologiques ?
Par conséquent, l’on ne peut pas s’attendre, par exemple, à ce que l’UOIF puisse condamner ses propres sources scripturaires et références religieuses « salafistes », surtout celles qui sous-tendent les violences, les exécutions barbares et la haine. L’on ne peut pas s’attendre à ce que l’UOIF puisse se détourner de son identité « sunnite » et ses dogmes anti-chiisme. L’UOIF ne pourrait jamais soutenir la cause humanitaire des populations « chiites » ensevelies sous les bombes du wahhabisme et des monarchies pétrodollars et asservies. L’on ne peut pas s’attendre à ce que l’UOIF puisse faire l’économie de sa dimension théologico-politique en contredisant, au passage, un consensus religieux et des intérêts géostratégiques de ses mécènes financiers. L’on ne peut pas s’attendre à ce que l’UOIF puisse se démarquer et se désolidariser de la vision stratégique de son fondateur salafiste, sunnite, tamkiniste et guerrier. Un « frère musulman » est, par définition, à la fois « moine » et « cavalier ».
L’UOIF reste donc fidèle à cette définition octogonale. Sa parole officielle reste emprisonnée de ce schéma statique originel. Ses partialités et ses silences ne sont en rien conjoncturels, ils sont bel et bien structurels. Peut-être, existerait-il encore un mince espoir pour un rebond salutaire ? Cette confrérie, oserait-elle un jour rompre avec le sectarisme et les oppositions meurtrières, dont elle est habituée, sunnite/chiite, nous/eux, au risque de perdre tous ses soutiens financiers étrangers ? Oserait-elle engager une vraie « réforme radicale », qui la réconcilierait avec une certaine idée républicaine, humaniste, libre, désintéressée, dépolitisée et totalement indépendante de toutes les influences étrangères, idéologiques et financières ? Peut-être. Désormais, entre être « moines » ou « cavaliers » sur le chemin du Tamkine politique global, les « frères » et les « sœurs » de l’UOIF doivent choisir, pour l’amour de la Terre et du Ciel.
Libres « grenouilles » de France, unissons-nous !
En attendant ce choix difficile et quasi improbable, il va falloir rester sur ses gardes, en méditant au passage, en la moralité philosophique de la métaphore dite de « La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite … », qui est aussi le titre d’un livre passionnant du philosophe Olivier Clerc, paru en 2005, dans lequel ce conte philosophique est cité, approché et analysé.
Ce conte propose d’imaginer « une marmite remplie d’eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu est allumé sous la marmite, l’eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue à nager. La température continue à grimper. L’eau est maintenant chaude. C’est un peu plus que n’apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu, mais elle ne s’affole pas pour autant. L’eau est cette fois vraiment chaude. La grenouille commence à trouver cela désagréable, mais elle s’est affaiblie, alors elle supporte et ne fait rien. La température continue à monter jusqu’au moment où la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir. Si la même grenouille avait été plongée directement dans l’eau à 50° C, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l’aurait éjectée aussitôt de la marmite » !
Je n’ai jamais tenté de reproduire cette expérience. Je n’ai jamais testé « pratiquement » cette thèse dans ma cuisine. D’ailleurs, je n’aime pas tuer les grenouilles. Je ne sais pas si ce conte renferme une quelconque vérité scientifique, vérifiable par des procédés expérimentaux empiriques. Cependant, ce dont je suis presque certain, c’est que les « Frères Musulmans » n’aiment pas les cocottes minutes (!) Je sais aussi que la marmite de l’UOIF, remplie d’eau « wahhabénite », est posée sur un feu doux, depuis maintenant trente deux ans, sans couvercle, mais avec plein de grenouilles dedans, de toute origine, et de toutes les couleurs. Je sais aussi que l’UOIF avait compris ce qui a échappé à François Bayrou lorsqu’il avait dit : « Vouloir rassembler les centres, c’est comme vouloir mettre des grenouilles dans une brouette, elles sautent tout le temps ». L’UOIF, quant à elle – tout comme l’extrême droite – n’utilise jamais de brouettes pour avancer sur le chemin duTamkine. Elle préfère la marmite pour rassembler, dans la chaleur fraternelle, les centres de son « juste-milieu ». De temps en temps, quelques grenouilles conscientes, épuisées par la chaleur, réussissent tout de même à s’échapper. Mais la majorité s’habitue, avec beaucoup de passivité, à l’étourdissement suffisamment lent, progressif et redoutablement efficace.
Par-dessus la « marmite », je suis convaincu que la vision islamiste de l’UOIF, tout comme d’autres extrémismes, ne doit jamais être banalisée. Daesh, pour ne pas la citer, et les « Frères musulmans » puisent le même salafisme des mêmes sources doctrinaires et défendent la sacralité des mêmes références scripturaires. Pour l’anecdote, Al-Qaradawi confirme, dans une vidéo, que le calife Al-Baghdadi était « frère musulman »[7]. La différence entre les deux est juste une différence de degrés, d’ordre et non de nature. Daesh vise leTamkine immédiat. C’est maintenant le Califat. Les « frères » de l’UOIF préfèrent le long terme. Daesh coupe les têtes sans foi ni loi. Les « frères », une fois le Tamkine est atteint, ou presque, se précipitent pour imposer des lois, pour couper ensuite des têtes. Les « frères » du Maroc, ces islamistes du PJD par exemple, tentent déjà au nom d’une certaine modernisation du « Code pénal », à criminaliser le « mépris des religions » (?) et à maintenir des peines, plus ou moins, lourdes contre l’adultère, le prosélytisme des autres religions, l’homosexualité, le non-respect, en public, du jeûne durant le mois de ramadan, etc.
Ainsi, derrière des slogans « attrape-grenouilles », comme : « Mohammed, Prophète de miséricorde et de paix » se cache, en vérité, un autre paysage brumeux. Il va falloir avancer avec prudence et scruter les marécages obscurs et terrifiants, d’une idéologie de conquête très pragmatique, avant que ce ne soit vraiment trop tard. D’ailleurs, ne sommes-nous pas déjà à moitié cuits ?
Certes, la République, la Laïcité et la Démocratie, peuvent traverser des épisodes et des séquences de faibles intensités. Ceci n’est point réjouissant par ailleurs. C’est une situation compliquée qui exige le sursaut de toutes les consciences éveillées, surtout celles qui ont échappées, par chance, au gradient calorifique de la marmite frériste. Maintenant, si par malheur ce sursaut laïque et démocratique est empêché, par le silence des uns et les connivences des autres, il me paraît évident que notre sort collectif ressemblerait, peut-être, à celui de toutes ces « grenouilles » qui, lassées de l’état démocratique, demandèrent un nouveau monarque, une première fois, puis une deuxième, puis une troisième à « Jupin », le roi des dieux dans les « Fables de Jean de La Fontaine ». En réponse à ces requêtes, « Jupin » leur a envoyé d’abord un « soliveau » pacifique – en bois massif – puis « une grue » tyrannique qui les gobait à son plaisir. Et juste avant de leur envoyer un « frère calife », si je ne me trompe pas, il s’adressa à ces amphibiens désabusés, par leur propre faute, en ces termes :
« … Vous avez dû premièrement Garder votre gouvernement ; Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire Que votre premier roi fut débonnaire et doux De celui-ci contentez-vous, De peur d’en rencontrer un pire. »
Enfin, qu’y a-t-il de plus pire que l’habituation et l’indifférence ?
Mohamed Louizi
[1]Hadith authentique rapporté par Al-Bukhari, Muslim et Abu Daoud.
[2]Hassan Al Banna, Épîtres de l’imam martyr Hassan Al-Banna(en arabe),DãrAl-Hadarah Al-Islamiyyah, p. 437.
Parmi les contemporains, on peut compter des Egyptiens issus des Frères musulmans comme Sayyid Qutb (1906-1966) ou Youssouf al-Qaradawi, qui ne cesse de justifier les attentats suicides et l’instauration de la charia. Bien qu’il s’en défende, Tariq Ramadan, qui se laisse complaisamment affubler parfois du titre de théologien, est en réalité un idéologue de la pensée salafiste des Frères musulmans. Il n’hésite pas à fustiger le wahhabisme saoudien, mais cela ne fait pas de lui un progressiste ou un libéral ni un réformateur. Ses références idéologiques demeurent les fondateurs de la pensée des Frères et les théoriciens qui l’ont sophistiquée pour en faire un instrument de lutte politico-idéologique, en l’occurrence son propre grand-père Hasan al-Banna, auquel il voue une admiration sans pareille, ou encore le Pakistanais Abu al-Ala al-Mawdoudi (1903-1979). Tariq Ramadan s’est singularisé en utilisant des codes de langage et d’écriture occidentaux pour propager une pensée frériste qui a su adapter son discours aux opinions publiques européennes. Il ne propose qu’une version d’un salafisme en apparence plus « doux ».
Depuis le 30 mars dernier, différents palmarès 2015 des lycées publics et privés sont disponibles. A partir de données statistiques fournies par le Ministère de l’Education Nationale, de nombreux quotidiens, hebdomadaires et journaux numériques ont établi des classements de ces établissements scolaires, en tenant compte de divers critères. Ces palmarès, et selon les critères de classement adoptés, arrivent à des conclusions relativement différentes. Pour ne citer que l’exemple du « Lycée Averroès », celui-ci occupe le 15ème rang dans le classement national du journal « Le Parisien », le 116ème rang dans celui du journal « Le Point » et le 373ème rang dans le classement établi par « L’Express ». Les données brutes du ministère sont exploitées différemment d’un journal à l’autre. Ce qui explique, en partie, ces dissemblances relatives.
En 2014, le « Lycée Averroès » avait présenté 86 élèves aux examens du baccalauréat, toutes séries confondues (L, ES, S, STMG). 97% des candidats présents aux examens ont obtenu leur diplôme. Avec un tel taux de réussite, l’on est tenté de considérer cet établissement comme étant un lycée d’excellence. D’ailleurs, c’est bien l’argument de « l’excellence » qui a été le plus souvent utilisé par ses responsables pour discréditer les propos de Soufiane Zitouni, suite à sa deuxième tribune dans Libération. La direction, tout comme certains notables de l’UOIF et certains soutiens aussi, ont brandi cet argument pour alimenter l’idée de l’existence d’un « complot islamophobe » contre une expérience « musulmane » qui réussit. Mais qu’en est-il vraiment de « l’excellence » averroessienne ?
Suite à la publication de mon livre-témoignage, un ex-président de l’ « Association des Parents d’Elèves », qui a exercé ses fonctions pendant deux années au sein du « lycée Averroès », m’a contacté pour me féliciter et pour m’apporter son propre témoignage circonstancié et argumenté, validant, de part son expérience et son regard de l’intérieur, l’ensemble des thèses que j’ai développées dans mon livre-témoignage.
Ainsi, les thèses concernant l’instrumentalisation des élèves, et de certains professeurs aussi, dans un projet d’islamisation visant le fameux Tamkine, selon l’idéologie des « Frères Musulmans », et utilisant la « question palestinienne », en particulier, comme outil privilégié de renforcement du sentiment identitaire d’appartenance communautariste et d’endoctrinement idéologique précoce, financé hélas par l’argent du contribuable, toutes ces thèses sont validées sans l’ombre d’une hésitation.
Au cours de nos discussions, l’argument de « l’excellence » a été évoqué aussi. Cet ex-président m’a expliqué qu’au sein du « Lycée Averroès », il y a bel et bien une véritable première sélection, sur dossier, avant l’inscription. Ce que font de nombreux établissements privés. Mais il y a surtout une deuxième véritable sélection, quelques mois seulement avant les examens du baccalauréat, opérée parmi les élèves déjà scolarisés au sein de l’établissement pour ne présenter, sous les couleurs du « Lycée Averroès » que les élèves brillants ou très au-dessus de la moyenne. Ainsi, les dirigeants se débarrasseraient, sans état d’âme, des élèves considérés comme « déchets » !
En effet, cet ex-président de l’association des parents d’élèves, rapporte que le « Lycée Averroès » organise en début d’année des examens blancs. Après la correction des copies, certains élèves, qui n’ont pas eu des moyennes générales satisfaisantes, se voient convoqués par la direction de l’établissement. Lors de cet entretien, le directeur, ou son adjoint, expliquerait à l’élève qu’il ne pourrait pas faire parti de la liste des candidats au baccalauréat du « Lycée Averroès ». Ensuite, le directeur, ou son adjoint, proposerait à l’élève de signer un papier – préparé préalablement par la direction – signifiant sa démission « volontaire » et sa sortie définitive des effectifs de l’établissement. On lui proposerait de s’inscrire dans un autre établissement ou de passer les examens en « candidat libre ». On lui suggérerait également un accompagnement éducatif pour mieux préparer ses examens. Cela permettrait à cet établissement de se débarrasser de certains élèves, à faibles moyennes générales, et de ne présenter aux examens nationaux que ceux qui ont la capacité de décrocher le bac sans difficulté, et d’assurer, surtout, un taux de réussite au baccalauréat avoisinant les 100 % !
Cet ex-président atteste que sa propre fille – inscrite, il y a quelques années, en série ES – était victime de cette procédure d’exclusion, voire de discrimination par la note aux examens blancs. Elle avait très mal vécu cette démission forcée et cette expulsion inhumaine à peine voilée, à l’aube du baccalauréat. Il y aurait, selon ses dires, une cinquantaine d’élèves, dans le même cas, qui, depuis la création du « Lycée Averroès » en 2003, se sont vus encouragés, par la direction, à démissionner, juste avant les examens du baccalauréat. Par ce procédé étonnant, la direction assurerait, à juste temps, un « demi-écrémage » parfait qui garantirait une apparente « excellence », mais à quel prix humain ?
Cet ex-président m’a expliqué que ce procédé a très bien servi et fonctionné durant, au moins, les cinq premières années de cet établissement. Et c’est, principalement, grâce à cette politique d’ « écrémage » systématique, qu’il aurait su affiché, habilement, d’excellents taux de réussite au baccalauréat, à la veille de la signature de son contrat d’association avec l’Etat. Serait-on désormais, en droit, de demander que toute la lumière soit faite autour de cette question ? Peut-on réclamer une enquête académique examinant les cas d’élèves qui au départ – et durant les années de seconde et de première – étaient scolarisés au sein de cet établissement mais qui se sont inscrits au baccalauréat comme « candidats libres » ? Si cette pratique inhumaine s’avère fréquemment utilisée, que reste-t-il de l’argument de ladite « excellence » ? Que sont devenus ces élèves poussés à la démission ? Comment ont-ils vécu cette séparation ? Quels impacts aurait eu cette discrimination sur leurs parcours ultérieurs ?
Michel Soussan, conseiller pédagogique de la direction du « Collège-Lycée Averroès », conseiller municipal au sein du groupe UMP d’opposition à Martine Aubry à la Mairie de Lille et rédacteur des statuts de la « Fédération Nationale des Etablissements Scolaires Musulmans » – domicilié au « Lycée Averroès » et présidé par un « frère musulman » Makhlouf Mamèche – avait justement écrit en 2010, sur son blog, un article intitulé « La violence à l’Ecole » dans lequel il dit, je cite : « Les jeunes ont à apprendre de la société les repères et les valeurs pour grandir, se structurer et se construire ».
L’on est pressé de savoir si Michel Soussan, de part son poids et son importance magistrale au sein de cet établissement, avait eu connaissance, ou pas, de ce procédé discriminatoire ? Si ce procédé est toujours adopté, sacrifiant l’honneur de certains élèves sur l’autel des chiffres de « l’excellence », quel repère et quelle valeur leurs apprend-t-on alors ? Cela ne peut-il pas être considéré comme une vraie violence produisant des dégâts insondables ? Que penserait l’Inspection Académique de cette pratique ?
J’ai vraiment du mal à croire que les choses se passeraient de cette façon, surtout lorsque les responsables ne jurent que par « l’éthique musulmane ». J’ai du mal à admettre qu’il y aurait au moins une cinquantaine d’élèves, filles et garçons, à qui l’on aurait demandé de signer un papier pour être « licencié » et lâché dans la nature, après des mois et des années de scolarité et des milliers d’euros payés par les familles. J’ai du mal à croire qu’un élève, qui serait jugé faible scolairement, puisse être mis à part et exclu sur la base du seul critère de sa note dans un examen blanc. J’ai du mal à croire que l’on pourrait sacrifier une part de la jeunesse, juste pour figurer parmi les premiers établissements dans des palmarès publiés à titre indicatif mais sans aucune autre valeur. J’ai envie de ne pas croire mon interlocuteur mais, hélas, force est de constater que pour atteindre le Tamkine, l’on peut se sacrifier soi-même, ou sacrifier d’autres, pourvue que la marche avance.
La République se doit de protéger ses enfants contre l’infamie. La République, sera-t-elle au rendez-vous ce vendredi 3 avril ?
Annexes :
Ci-après :
1- Un tableau récapitulatif de l’évolution des effectifs du « Lycée Averroès » selon les promotions, de l’année 2007/2008 à 2013/2014 ;
2- Un graphique représentatif de cette évolution ;
3- Quelques constats et interrogations.
Les chiffres sont issus des données statistiques du site du Ministère de l’Education Nationale.
Quelques constats et interrogations :
1- Toutes promotions confondues, le nombre d’élèves présentés aux examens du bac est toujours inférieur aux effectifs à la rentrée en classe de seconde.
2- Toutes promotions confondues, le nombre d’élèves présentés aux examens du bac est toujours inférieur aux effectifs à la rentrée en classe de première.
3- Promo A : Sur 45 élèves inscrits en seconde (en 2007), seulement 30 élèves sont présents, trois ans plus tard (en 2010), aux examens du baccalauréat. 15 élèves – c.à.d. 33 % – manquent à l’appel. Pourquoi ? S’agit-il de redoublements ? De réorientations ? D’abandons ? Ou d’écrémage ? En somme, cela reflète-t-il une quelconque « excellence » ?
4- Promo B : Sur 56 élèves inscrits en seconde (en 2008), seulement 34 élèves sont présents, trois ans plus tard (en 2011), aux examens du baccalauréat. 22 élèves – presque 40 % – manquent à l’appel. Pourquoi ? S’agit-il de redoublements ? De réorientations ? D’abandons ? Ou d’écrémage ? En somme, cela reflète-t-il une quelconque « excellence » ?
5- Promo E : Sur 118 élèves inscrits en seconde (en 2011), seulement 86 élèves sont présents, trois ans plus tard (en 2014), aux examens du baccalauréat. 32 élèves – presque 40 % – manquent à l’appel. Pourquoi ? S’agit-il de redoublements ? De réorientations ? D’abandons ? Ou d’écrémage ? Cela reflète-t-il une quelconque « excellence » ?
6- Promo D : Sur 100 élèves inscrits en première (en 2011), seulement 55 élèves sont présents, deux ans plus tard (en 2013), aux examens du baccalauréat. 45 élèves – c.à.d. 45 % – manquent à l’appel ! Pourquoi ? S’agit-il de redoublements ? De réorientations ? D’abandons ? Ou d’écrémage intensif ? Cela reflète-t-il une quelconque « excellence » ? Bizarrement, c’est en 2013 que cet établissement a été placé en tête de plusieurs palmarès, à l’échèle nationale.
Ces chiffres bruts, bien qu’ils renseignent, objectivement, sur l’évolution des effectifs, par promotion, depuis 2007/2008 jusqu’à 2013/2014, suscitent plutôt des interrogations quant à cette « excellence » fanfaronnée et peuvent éventuellement accréditer, en l’absence d’explications tangibles et argumentées, la thèse d’un « écrémage », plus ou moins, intensif depuis, au moins, la signature du contrat d’association avec l’Etat. Chacun tirera ses conclusions.
Soufiane Zitouni raconte ses difficultés suite à la publication de sa tribune intitulée «Le Prophète est aussi Charlie», ainsi que son quotidien durant les cinq mois passés au sein de ce lycée.
Depuis la rentrée 2014, Soufiane Zitouni enseigne au lycée Averroès, établissement privé musulman, sous contrat avec l’Etat, situé à Lille. Le 15 janvier, il publiait dans Libération une tribune intitulée «Le Prophète est aussi Charlie» dans laquelle il concluait «le prophète de l’islam, Mohamed, pleure avec nous toutes les victimes innocentes de la barbarie et de l’ignorance, et demande à Allah le pardon pour les nombreuses brebis égarées se réclamant de sa religion alors qu’elles n’ont toujours pas compris l’essentiel de son message.»
Il raconte ici ses difficultés suite à la publication de ce texte, ainsi que son quotidien durant les cinq mois passés au sein de ce lycée. Depuis deux semaines, démissionnaire de son poste, Soufiane Zitouni est en arrêt maladie. D’origine algérienne, il se réclame du soufisme, un courant ésotérique de l’islam moins attaché au caractère prescriptif de la religion, privilégiant une voie intérieure. Pendant une vingtaine d’années, il a enseigné dans des établissements catholiques et souhaite favoriser le dialogue interreligieux, tout en prônant un Islam plus ouvert et fraternel.
Depuis la publication de mon texte intitulé «Aujourd’hui, le Prophète est aussi Charlie» dans Libération le 15 janvier, il y a eu quelques «rebonds» dans ma vie, et certains d’entre eux, très négatifs, m’ont mené à démissionner du lycée musulman Averroès de Lille, lycée sous contrat avec l’Etat où j’ai tenté d’exercer durant cinq mois éprouvants mon métier de professeur de philosophie.
J’ai reçu de nombreux soutiens et remerciements après la publication de ce texte, certains m’ont même parlé de «courage». Mais pour moi, prendre la plume pour faire entendre ma voix en tant que citoyen français de culture islamique après les horribles attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher était surtout de l’ordre du devoir. Or, le jour même de la publication de ce texte, un proche de la direction de mon lycée vint m’interrompre en plein cours pour me dire en catimini dans le couloir attenant à ma classe : «Il est très bien ton texte, je suis d’accord avec toi sur le problème des musulmans qui manquent d’humour et de recul par rapport à leur religion, mais tu dois savoir que tu vas te faire beaucoup d’ennemis ici, et je te conseille de regarder derrière toi quand tu marcheras dans la rue…».
Par la suite, un enseignant décida d’afficher une photocopie de mon texte en salle des professeurs. Bien mal lui en prit ! Ma pauvre tribune libre sera retirée plusieurs fois du tableau d’affichage «Vie de l’établissement» par des collègues musulmans furieux qui crieront au sacrilège ! Puis le 20 janvier, un professeur du lycée, proche des frères Tariq et Hani Ramadan, publia une sorte de «réplique» sur le site «L’Obs Le plus». Dans cette tribune, il incrimina mon manque de raison, et tira à boulets rouges sur Charlie Hebdo en affirmant que ce journal «cultive l’abject» et qu’il «concourt, chaque jour, à la banalisation des actes racistes» (sic). Voilà donc ce que pensait un «représentant» du lycée Averroès d’un journal qui venait d’être attaqué tragiquement par des terroristes au nom d’Al Qaeda ! Pas étonnant alors que certains de mes élèves m’aient affirmé en cours que les caricaturistes de Charlie Hebdo assassinés l’avaient bien cherché, voire mérité… Et évidemment, nombre d’élèves me tiendront exactement le même discours que mon «contradicteur» : «vous n’auriez jamais dû écrire dans la presse que le Prophète est aussi Charlie !», «c’est un blasphème !», «vous léchez les pieds des ennemis de l’islam !», etc. Ce texte sera ensuite affiché à côté du mien en salle des professeurs, par souci du «débat démocratique», a-t-on essayé de me faire croire…
J’ai commencé à enseigner la philosophie au lycée Averroès en septembre 2014. Bien qu’on m’ait prévenu que cet établissement était lié à l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), réputée proche de l’idéologie de Frères Musulmans, j’ai tout de même voulu tenter cette expérience en espérant pouvoir travailler dans l’esprit du grand philosophe Averroès, et donc contribuer, à ma mesure, au développement sur notre territoire national d’un islam éclairé par la raison, comme le philosophe andalou du XIIe siècle a tenté de le faire lui-même de son vivant. Mais en cinq mois de travail dans ce lycée, mon inquiétude et ma perplexité n’ont fait que s’accroître jusqu’à l’épilogue que fut cette réaction incroyable à un texte dont le tort principal aux yeux de mes détracteurs était sans doute d’être intitulé : «Aujourd’hui, le Prophète est aussi Charlie»…
Pour vous donner une première idée de l’illusion qui fait office d’image positive dans la vitrine publique de ce lycée, je vais vous relater ma première mauvaise surprise : la direction m’a confié des élèves de seconde pour deux heures hebdomadaires d’enseignement d’exploration en «Littérature et Société», alors en tant que professeur de philosophie, j’ai décidé de travailler avec eux sur un projet que j’ai nommé «L’esprit d’Averroès» afin de leur faire découvrir celui qui a donné son nom à leur lycée. Mais quelle n’a pas été ma surprise de constater que sur les rayons du CDI de cet établissement, il n’y avait ni livres du philosophe andalou, ni livres sur lui ! En revanche, j’y ai trouvé des ouvrages des frères Ramadan, très prisés dans ce lycée… J’ai dû alors me rabattre sur des bibliothèques municipales de Lille pour pouvoir commencer mon travail.
Pendant mes cours de philosophie avec mes quatre classes de terminale, les désillusions ont continué. Tout d’abord, le thème récurrent et obsessionnel des Juifs… En plus de vingt années de carrière en milieu scolaire, je n’ai jamais entendu autant de propos antisémites de la bouche d’élèves dans un lycée ! Une élève de terminale Lettres osa me soutenir un jour que «la race juive est une race maudite par Allah ! Beaucoup de savants de l’islam le disent !» Après un moment de totale sidération face à tant de bêtise, j’ai rétorqué à l’adresse de cette élève et de toute sa classe que le Prophète de l’islam lui-même n’était ni raciste, ni antisémite, et que de nombreux textes de la tradition islamique le prouvaient clairement. Dans une classe de terminale ES, un élève au profil de leader, m’a soutenu un jour en arborant un large sourire de connivence avec un certain nombre de ses camarades, que les Juifs dominent tous les médias français et que la cabale contre l’islam en France est orchestrée par ce lobby juif très puissant. Et j’ai eu beau essayer de démonter rationnellement cette théorie du complot sulfureuse, rien n’y a fait, c’était entendu : les Juifs sont les ennemis des musulmans, un point c’est tout ! Cet antisémitisme quasi «culturel» de nombre d’élèves du lycée Averroès s’est même manifesté un jour que je commençais un cours sur le philosophe Spinoza : l’un d’entre eux m’a carrément demandé pourquoi j’avais précisé dans mon introduction que ce philosophe était juif ! En sous-entendant, vous l’aurez compris, que le signifiant «juif» lui-même lui posait problème !
Autre cause de grosses tensions avec mes élèves : ma prétendue non-orthodoxie islamique ! Car évidemment, en tant que professeur de philosophie de culture islamique travaillant dans un lycée musulman, il m’arrivait régulièrement d’établir des passerelles entre mon cours et certains passages du Coran ou de la Sunna (un ensemble d’histoires relatant des propos et des actes du Prophète). Mais j’ai été agressé verbalement par des élèves qui considéraient que je n’avais aucune légitimité pour leur parler de la religion islamique, et de surcroît dans un cours de philosophie ! J’avais beau leur dire que c’était précisément la grande idée du philosophe Averroès que de considérer qu’il ne pouvait y avoir de contradiction entre la vérité philosophique et la vérité coranique, rien n’y faisait.
Et puis il y avait les thèmes et les mots tabous… La théorie darwinienne de l’évolution ? Le Coran ne dit pas cela, donc cette théorie est fausse ! J’avais beau me référer au livre de l’astrophysicien Nidhal Guessoum, Réconcilier l’islam et la science moderne dont le sous-titre est justement l’Esprit d’Averroès ! [Aux Presses de la Renaissance, ndlr], qui affirme avec de très solides arguments scientifiques et théologiques que la théorie de l’évolution est non seulement compatible avec le Coran, mais que plusieurs versets coraniques vont dans son sens, rien n’y faisait non plus.
Le mot «sexe» lui-même pouvait être tabou. Un jour, une élève (voilée) qui s’était proposée pour lire un texte de Freud, refusa de prononcer le mot «sexe» à chacune de ses occurrences dans l’extrait concerné, et c’est la même élève qui refusa lors d’un autre cours de s’asseoir à côté d’un garçon alors qu’il n’y avait pas d’autre place possible pour elle dans la salle où nous nous trouvions ! J’ai dû alors lui rappeler fermement que la mixité dans l’enseignement français était un principe intangible et non négociable. Enfin, combien d’élèves du lycée n’ai-je pas entendu encenser, défendre, soutenir Dieudonné ! Avec toujours cette même rengaine, comme répétée par des perroquets bien dressés : pourquoi permet-on à Charlie Hebdo d’insulter notre Prophète alors qu’on interdit à Dieudonné de faire de l’humour sur les Juifs ?
Je peux vous parler aussi de la salle des professeurs du lycée Averroès, où des collègues musulmans pratiquants font leurs ablutions dans les toilettes communes, donc en lavant leurs pieds dans les lavabos communs, et où la prière peut être pratiquée à côté de la machine à café… Quid des collègues non musulmans (il y en a quelques-uns) qui aimeraient peut-être disposer d’un espace neutre, d’un espace non religieux, le temps de leur pause ?
En réalité, le lycée Averroès est un territoire «musulman» sous contrat avec L’Etat… D’ailleurs, certains collègues musulmans masculins se sont permis de faire des remarques sur des tenues vestimentaires de collègues féminines non musulmanes, sous prétexte qu’elles n’étaient pas conformes à l’éthique du lycée ! Et l’une de ces collègues féminines non musulmane m’a dit un jour également qu’elle ne se sentait pas «légitime» (sic) dans le regard de ses élèves, parce qu’elle n’était pas musulmane précisément…
Je ne pouvais donc plus cautionner ce qui se passe réellement dans les murs de ce lycée, hors caméras des médias et derrière la vitrine officielle, même si je sais pertinemment que les adultes y travaillant et les élèves ne sont pas tous antisémites et sectaires. Mais, j’ai fini par comprendre au bout de cinq mois éprouvants dans cet établissement musulman sous contrat avec l’Etat français (mon véritable employeur en tant que professeur certifié), que les responsables de ce lycée jouent un double jeu avec notre République laïque : d’un côté montrer patte blanche dans les médias pour bénéficier d’une bonne image dans l’opinion publique et ainsi continuer à profiter des gros avantages de son contrat avec l’Etat, et d’un autre côté, diffuser de manière sournoise et pernicieuse une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme, c’est-a-dire, un mélange malsain et dangereux de religion et de politique.
Enfin, last but not least, il y a ce propos entendu de la bouche même d’un responsable du lycée, lors d’un discours prononcé à l’occasion d’une remise des diplômes à l’américaine aux bacheliers du lycée de la session 2014, en présence de deux «mécènes» du Qatar : «Un jour, il y aura aussi des filles voilées dans les écoles publiques françaises !» Un programme politique ?
Les islamistes ont reconnu leur défaite. Elle est historique et vient démentir ceux qui, parmi les journalistes et les diplomates, n’ont cessé de répéter que les intégristes représentaient la Tunisie véritable. Ceux-là n’ont pas voulu voir la colère, profonde et populaire, contre Ennahdha et ses alliés.
Une photographie plus juste qu’après la Révolution
Le résultat annoncé n’est pas un revirement, mais le retour à une photographie réelle de la Tunisie. Le score des intégristes au lendemain de la Révolution s’expliquait essentiellement par le fait qu’ils étaient à la fois les martyrs les plus connus du régime de Ben Ali et les mieux organisés pour tirer profit de son départ. Les forces laïques s’étaient présentées en ordre très dispersé. Près d’une centaine de listes, parfois inconnues du grand public. Trois ans plus tard, la Tunisie a mûri. Les listes sont toujours nombreuses mais les Tunisiens ont souhaité voter utile pour placer Nidaa Tounes en tête et tirer les leçons de cet éparpillement. Tout valait mieux que le retour au pouvoir des intégristes, leur louvoiement face au terrorisme et leurs tentatives pour inscrire la charia dans la Constitution.
Même si elle a fini par être votée et qu’elle contient à peu près tout et son contraire -la liberté de conscience et le refus de porter atteinte au sacré-, cette Constitution a été adoptée dans un climat très lourd.
Les Ligues dites de protection de la Révolution, longtemps encouragées par la troïka au pouvoir, ont fait régner une terreur toute salafiste… Qui a culminé avec le meurtre de deux figures de la gauche tunisienne anti-islamiste, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Leurs morts, aggravées par la menace terroriste grandissante, ont provoqué un électrochoc dans un pays plongé dans une crise à la fois morale, économique et politique. Une crise qui a contraint les islamistes à quitter le gouvernement jusqu’aux élections, qu’ils espéraient gagner.
L’évolution tactique d’Ennahdha
Le fait que ce parti islamiste ait accepté de quitter le pouvoir pour laisser un gouvernement provisoire organiser les élections législatives n’est pas, contrairement à ce que l’on entend partout, la preuve qu’il ait renoncé à tout objectif d’islamiser la société, de la base jusqu’au sommet. Conformément à la doctrine des Frères musulmans, il s’agit d’un repli stratégique. Ne pas être au pouvoir quand cette échéance législative arriverait était le seul moyen de limiter la casse.
Et encore… Il aura fallu leur tordre le bras, la peur du scénario égyptien et d’assumer la mise en faillite du pays, pour qu’ils rendent les clefs d’un gouvernement qui est allé bien au-delà du mandat pour lequel il avait été nommé. C’est donc un gouvernement de transition qui a permis de mettre la Tunisie sur les rails de ces élections. Elles donnent raison à ceux qui ont cru à l’espoir soulevé par le printemps arabe, malgré le chaos et les difficultés.
Que penser de Nidaa Tounes ?
Béji Caïd Essebsi est un vieux renard de la vie politique tunisienne. Ministre sous Bourguiba, simple élu sous Ben Ali, retiré de la vie politique dans les années 90, il a gagné en popularité pour avoir bien géré, comme premier ministre, l’un des gouvernements provisoires de l’après révolution. Aidé par la peur des islamistes, il a réussi le tour de force de rassembler autour de lui à la fois des anciens du RCD et des gens bien plus à gauche. De ceux qui ont fait la révolution et veulent conserver ses acquis démocratiques, tout en craignant plus que tout les intégristes.
Le fait que Nidaa Tounes arrive en tête va permettre de sauver cette modernité, tout en conservant les acquis démocratiques. Surtout si Nidaa Tounes doit faire alliance avec un parti plus à gauche. Après les débats pour la survie du pays et l’affrontement entre laïcs et intégristes, le pays pourrait enfin connaître des débats plus classiques.
On espère déjà le jour où les Tunisiens pourront véritablement choisir entre un camp conservateur non dangereux, un centre et un véritable camp progressiste. En attendant, le « vote utile » a évité le pire. En chemin, il y aura encore de nombreuses crises politiques, des claquages de porte, des alliances étonnantes et des revirements… Mais c’est la loi de la démocratie. Si Nidaa Tounes parvient à les accepter sans céder à la tentation paternaliste, la Tunisie deviendra, après bien des sacrifices, la démocratie sûre que son peuple et sa société civile méritent.
Les enjeux de l’élection présidentielle égyptienne
23.05.2014 La rédaction
Les 26 et le 27 mai prochains, un événement d’une importance considérable se déroulera de l’autre côté de la Méditerranée : les élections présidentielles égyptiennes. Ce pays, le plus grand et le plus peuplé du monde arabe (90 millions d’habitants), disposant d’une armée solide, est l’une des clés de la stabilité du Proche-Orient.
Or, l’Egypte a traversé, depuis trois ans, de violents soubresauts internes. Elle a connu deux révolutions successives, en 2011 contre le régime de Moubarak et en 2013 contre la dictature des Frères musulmans. Celles-ci, bien qu’étant le fruit d’une vive volonté populaire, ont profondément fragilisé le pays sur les plans politique, sécuritaire et surtout économique. Ces événements ont provoqué un accroissement des tensions et des divisions internes, une instabilité institutionnelle, des difficultés économiques, la croissance du chômage et surtout l’accroissement de l’insécurité quotidienne.
Le pays est aujourd’hui avide de retrouver la stabilité et de vivre enfin une expérience démocratique, même si celle-ci doit se dérouler dans une ambiance de haute sécurité en raison des menaces d’attentats terroristes.
Sabbahi est entré en politique, dans les années 1970. Etudiant, il prône des principes socialistes à l’université et milite contre Sadate. Sous Moubarak, il essaie de convaincre, en vain, socialistes et nassériens qu’il est l’« héritier » de Nasser, mais sans en avoir le charisme et sans présenter aucun projet. Il décide alors de créer son parti politique, El Karama (L’honneur), en 1997. En 2005, il est élu au Parlement avec le soutien obtient le soutien des Frères musulmans. Après la chute de Moubarak, Sabbahi se présente aux élections présidentielles de 2012 mais n’obtient que le troisième score, avec 20,72%. Dans la campagne actuelle, il bénéficie du soutien officiel des Frères musulmans, qui rêvent de se venger d’El-Sisi à tout prix. Mais ce soutien est contre-productif car l’écrasante majorité des Égyptiens sont convaincus que les Frères musulmans sont des terroristes, responsables des assassinats de policiers et des attentats qui, presque chaque jour, ensanglantent le pays.
Au contraire, le maréchal Abdel Fattah El-Sisi, entame la campagne avec un très fort soutien populaire de toutes les composantes de la société égyptienne – musulmans modérés, coptes, soufis, Nubiens, Bédouins et même socialistes –, en particulier des jeunes et des femmes, en raison de son action contre les Frères musulmans.
Ancien chef des renseignements militaires et ancien ministre de la défense, il connait bien les dossiers épineux qui l’attendent s’il est élu. C’est un homme d’expérience qui a derrière lui quarante-cinq ans de carrière militaire et une réelle expérience internationale, car il a étudié aux États-Unis et en Angleterre. Son discours est très réaliste : il ne promet pas de recettes magiques pour résoudre les défis colossaux que l’Égypte doit surmonter, mais il s’engage à ne jamais revenir en arrière, à l’époque de Moubarak ou à celle des Frères musulmans. Il encourage les Égyptiens à se mettre au travail et promet que l’État rétablira la situation économique, car le pays dispose de nombreux atouts. El-Sisi précise également que la sécurité et la stabilité de l’Égypte sont ses priorités. Enfin, il reconnaît les aspirations du peuple égyptien qui a acquis une grande maturité politique après ses deux révolutions et qui sait sanctionner ses dirigeants.
Surtout, il apparait comme le champion de l’indépendance et de l’honneur national. La destitution de Morsi l’a conduit à une confrontation périlleuse avec l’Administration Obama, mais El-Sisi n’a pas cédé aux pressions américaines. Au niveau international, il entretien d’excellentes relations avec les pays du Golfe, à l’exception du Qatar qui soutient les Frères musulmans. Il a su reconstruire une coopération stratégique avec la Russie, suite au profond désaccord avec Washington qui préfèrerait une Egypte dirigée par les Frères musulmans, en dépit de l’opposition populaire.
Le futur président égyptien aura une responsabilité historique : redresser le pays et restaurer sa place en tant que puissance régionale. Pour cela, tous les Égyptiens sont d’accord sur une chose : il ont besoin d’un leader audacieux et non d’un technocrate falot, car le nouveau chef d’Etat devra prendre des décisions courageuses et difficiles.
Depuis 2011, le peuple égyptien a montré qu’il était déterminé à éliminer les obstacles à sa liberté, qu’il s’agisse du régime autoritaire et corrompu de Moubarak ou de celui Frères musulmans, intégriste, théocrate et tout aussi corrompu. Au Caire, la place Tahrir (Libération) a été l’épicentre des mouvements qui ont provoqué la chute de deux régimes qui dirigeaient le pays d’une main de fer. C’est pourquoi la population aborde cette consultation démocratique avec optimisme et espoir. Beaucoup d’Égyptiens déclarent, qu’au cas où le président élu ne satisferait pas leurs demandes, la place Tahrir sera toujours là…
Eric Denécé est aussi l’auteur avec Dabid Elkaïm, de Les services secrets israéliens, Tallandier, 2014
Eric Denécé (Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R))
La justice Égyptienne vient de rendre un jugement odieux. Le tribunal d’Al Minya a condamné à mort 529 sympathisants des Frères musulmans pour le meurtre d’un policier. On leur reproche d’avoir contribué, tous ensemble, à cette mort intervenue dans le cadre des manifestations de soutien au président islamiste déchu, Mohammed Morsi, en août dernier.
Ce crime collectif, matériellement impossible, débouche sur une sentence monstrueuse. La peine de mort n’est jamais justifiable. Elle déshumanise toute la société qui l’applique. Mais une peine de mort collective, à l’issue d’un procès collectif et politique, trahit une justice tout simplement sauvage… Au service d’un processus politique inquiétant.
Après le procès absurde contre des journalistes d’Al Jazira, c’est une preuve supplémentaire que ce régime de transition, issu d’un « coup populaire » (soutenu par des millions de manifestants) et non d’un coup d’État, vire à l’État répressif. Il doit rendre, au plus vite, les clefs au peuple, avant de trahir l’espoir de restauration démocratique qu’il a su incarner.
Menace islamiste et démocratie
Quoi que l’on pense des Frères musulmans, sans doute l’internationale la plus dangereuse qui soit à l’échelle du monde, rien ne peut justifier d’utiliser à leur encontre des méthodes qui bafouent aussi grossièrement l’État de droit.
C’est une erreur que trop de gouvernements arabes ont faite et que leurs peuples leur demandent de ne plus faire depuis le printemps démocratique. Le général Sissi, si populaire, devrait entendre le message du peuple qui l’a porté. Avant que sa transition ne transforme une fois de plus les extrémistes des Frères musulmans en martyrs…
Avant de refaire toutes les erreurs que Nasser, en son temps, a commises face aux Frères.
Nasser et les Frères « martyrs »
Menacé par la confrérie (qui lui avait intimé l’ordre d’établir la charia), il a cru qu’on pouvait éradiquer ce danger, bien réel, en violant les droits de l’homme. Procès arbitraires, tortures, sentences collectives… Toute la sauvagerie de la police et de la justice Égyptienne a été mobilisée pour les briser. Elle n’a fait que les renforcer.
Les scènes de centaines de cadres des Frères musulmans mis en cage, puis relâchés (plus radicaux que jamais) ont donné lieu au cercle infernal que l’on sait. C’est en prison que Sayyed Qutb, l’un des cadres des Frères, a théorisé le droit de tuer les tyrans apostats et de passer au jihadisme. D’autres récits de tortures en prison, souvent à base de chiens, ont hanté des générations de jeunes Égyptiens au point de les faire basculer dans l’islamisme le plus radical, par refus du régime autoritaire de Nasser… Pendant que l’opposition démocrate et laïque, sans mosquées pour se réunir ni soutiens financiers étrangers, subissait le double fouet de la répression et de l’isolement.
La suite, nous la connaissons tous. Les cadres radicalisés des Frères musulmans ont essaimé en exil, dans les autres pays arabes et en Europe, où ils ont semé leur poison et lever des troupes pour préparer la revanche.
Dommages collatéraux algériens… et tunisiens ?
Les Algériens ont payé le plus lourd tribut. Tout juste sortis de leur guerre pour l’indépendance, alors que le FLN cherchait à « arabiser » les écoles, le pays manquait de cadres et de professeurs. Le grand frère Nasser s’est fait un plaisir de leur envoyer en priorité des enseignants issus de la confrérie des Frères musulmans, pour s’en débarrasser.
Une génération plus tard, des jeunes algériens formés à apprendre à réciter le Coran par cœur, dans un arabe qui n’était pas le leur, sont devenus non seulement acculturés mais fanatiques et ont ravagé l’Algérie. Des années noires qui ont fait plus de 100 000 morts.
Est-ce le destin funeste que l’Égypte actuelle souhaite à la Tunisie ? Sur les 529 condamnés à mort, seuls 153 sont en état d’arrestation. Les autres sont dans la nature et pourraient bien trouver refuge en Tunisie. Du moins si le président Moncef Marzouki, l’allié historique des islamistes tunisiens, saisit le prétexte des droits de l’homme pour les accueillir à bras ouverts. Ce qui semble se dessiner.
La faute Égyptienne se transformerait alors en fardeau supplémentaire pour la Tunisie, tout juste convalescente et déjà menacée par le retour de ses propres jihadistes partis en Syrie. Le printemps arabe, qui sortait enfin de l’hiver, pourrait replonger. Les Frères musulmans, réorganisés et de nouveau martyrs, pourraient de nouveau le gâter. Et cette fois pour longtemps.